Culture

Le carnet de lecture d’Hervé Niquet, chef du Concert Spirituel, DA du Festival de Saintes

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 12 juillet 2023

Même s’il vient de fêter les 35 ans de son ensemble Le Concert Spirituel, avec sa magnifique corne d’abondances de découvertes passionnées ou de relectures percutantes, Herve Niquet a toujours la même soif de partager ses enthousiasmes. En prenant la direction artistique du Festival de Saintes dont la 51e édition se tient du 12 au 21 juillet 2023, le chef charismatique veut faire de l’institution mythique, le creuset d’une expérience ‘historicisante’ renouvelée. L’épicurien musical partage son désir intact de « croustillant » avec Singular’s.

Quoi de neuf au Festival de Saintes avec votre direction artistique ?

Hervé Niquet, chef fondateur du Concert Spirituel et DA Saintes Photo Eric Manas

C’est la 51e année du Festival de l’Abbaye aux Dames. On ne va tout changer quand on a une vieille institution comme celle-ci. On en prend soin ! Je ne vais pas tout révolutionner, je m’inscrit dans une continuation (je n’aime pas le terme de ‘révolution’).
Ce qu’il y a de neuf, c’est peut-être qu’il y a plus d’ensembles français que d’habitude. Toute une génération de chefs d’ensembles confirmés cherche à avoir leur propre répertoire, en développant une vraie personnalité. Cela permet beaucoup de propositions intéressantes. J’observe que ces 10 dernières années, le mouvement «
historicisant » (j’y tiens) est vraiment redevenu plus scientifique, avec beaucoup de recherches, beaucoup d’applications, et de nouveaux répertoires. Internet a permis des communications beaucoup plus fortes.

C’est un répertoire croustillant que l’on n’aurait pas imaginé, il y a 20 ans. L’ instrumentarium a aussi beaucoup évolué, c’est très riche. Pour cette 51e année, j’avais envie de mettre du spectacle, d’offrir de nouvelles sensations, de vraies images, à travers des ensembles (La Tempête) ou des virtuoses (Théotime Langlois de Swarte, Justin Taylor) qui sont éblouissants.  La nouveauté est plutôt dans ce renouvellement.

Dès ma nomination j’ai invité les quatre grands qui ont été des inspirations pour moi Jordi Savall, Ton Koopman, Philippe Herreweghe et William Christie. Ces deux derniers sont présents. Il faut rappeler que sans eux nous en serions pas là. Les grands géants sont toujours là, plein d’envies et d’appétits et nous sommes derrière à creuser leur sillage.

Nouveauté de cette 51e édition, elle débute chaque jour avec des Matines à l’Abbaye aux Dames ?

Je voulais rappeler avec la cloche de 9h que l’Abbaye est avant tout un monastère où les femmes ont prié depuis 1000 ans. Chaque matin pendant une vingtaine de minutes, un chœur de 30 à 40 chanteurs amateurs issus des ensembles vocaux de Saintes, dirigé par Eric de Fontenay entonne le répertoire grégorien, en plain-chant, alternant avec des pièces d’orgue, pour redonner le sens de ce lieu de prières, de foi et de ferveur. Ensuite, la journée peut commencer.

Vous revendiquez d’ »avoir repensé le rythme, plus apaisé » des journées ?

Il fallait repenser la place des repas et laisser de l’espace à nos festivaliers entre 12h et 14h et 19h et 21h. Nous sommes dans une ville, il fallait respecter aussi le rythme des restaurateurs.

Après les Matines à 9h, nous retrouvons les visiteurs sous « la voile » de 10h à 10h45 pour un échange avec les musiciens. Me reste de la journée cet espace de convivialités offre siestes sonores, apéritifs, et restauration midi et soir. Les concerts sont programmés à 11h, 15h, 18h et le grand concert à 21h avec des plages « gastronomiquement ergonomiques ». Il fallait adapter la vie du Festival à la vie de la Cité.

De quoi êtes-vous particulièrement fier pour cette édition ?

D’ avoir amené un peu plus de musique française dans un endroit où pendant 50 ans on a découvert et appliqué les recherches pour révéler tout un patrimoine. Il fallait honorer aussi un véritable « trésor national vivant » crée en 1852. L’Harmonie de la Garde Républicaine. Cet orchestre, qui a un répertoire attaché à lui, a toute sa place dans un festival « historicisant ». Pensez que son chef, le colonel François Boulanger n’est que le 9e chef depuis sa création. Ses 78 musiciens en grand uniforme vont nous donner un concert de plein air. Il sera animé par mes complices Shirley et Dino (cf. Platée). Il est urgent d’amener le public au concert classique qui n’aurait pas idée d’y venir. Il faut décloisonner tous les rites si on veut encore avoir un public dans 20 ou 30 ans.

Sous prétexte d’écouter Shirley et Dino, le public va être face à un trésor musical interprétant son répertoire : Debussy, Chabrier, Dukas, … C’est une passerelle entre deux univers, mais aussi de la pédagogie pour l’avenir.

2022 a marqué aussi les 35 ans du Concert Spirituel, quel bilan d’étape ?

Hervé Niquet dirige le Concert Spirituel au Festival Berlioz 2021 Photo Bruno Moussier

Beaucoup de travail et d’angoisses, beaucoup de découvertes et de plaisirs.
Depuis sa création, notre manière de travailler n’a pas changé : des recherches du répertoire, puis l’application de tout ce que l’on sait depuis 60 ans. On est toujours aussi enthousiasmé quand on aborde une œuvre nouvelle. Et le public le sent bien.

C’est la force de la proposition et le sérieux de l’application. On ne fait pas cela pour surprendre, mais pour apprendre.

Du coup notre public apprend aussi. Au bout de 60 ans de recherches générales lancées par Harnoncourt, le courant « historicisant » a tellement trouvé, il est très simple d’appliquer. Le Concert Spirituel, c’est un étonnement et la production collective d’un son particulier qu’on s’emploie à faire capturer.

De nos 35 ans de découvertes, les deux extrêmes du spectre

Alessandro Striggio, La messe à 40 voix

Ce chef d’œuvre que l’on va reprendre en 2025 pour célébrer les 300 ans de la naissance du Concert Spirituel en 1725 est un disque écrasant, stupéfiant de ferveur et d’intimisme italien. J’avoue que l’ensemble n’a rien fait plus grand. Ce n’est pas grandiloquent, c’est vraiment intense. C’est un travail qui m’ a pris une dizaine d’années. Pour sélectionner les 40 chanteurs, j’en ai auditionné près de 100 !

https://youtu.be/cYY_8aH0ifI

Joseph Bodin de Boismortier, Sonates pour basses

A l’autre bout du spectre du Concert Spirituel, il y a un petit disque, de musique de chambre où je jouais encore de l’orgue et du clavecin.

Musique de chambre et polyphonique gigantesque, cela donne l’amplitude de notre champ d’action, 2027 sera l’année des 40 ans du Concert Spirituel. En avant !

#Olivier Olgan

Le carnet de lecture d’Hervé Niquet

Into the winds, Le Grand embrasement

L’ensemble spécialisé dans la musique des 14e et 15é siècles est vraiment stupéfiant : avec leur instrumentarium étrange, cette musique extérieure épuisante à jouer est énergisante, curieuse, tonique. Il a fait beaucoup de recherches en organologie, le résultat est formidable

La moitié de ma vie est consacrée à la musique symphonique.

Deux sommets de la musique lyrique française :  Reynaldo Hahn et Saint-Saëns, humoristique comme on ne le connaît pas, Phryné est son seul opéra-comique.

Pierre Bouteiller, Missa pro Defunctis a 5 Requiem (Hervé Niquet)

Même si nous avons beaucoup évolué, j’aime beaucoup ce répertoire de voix avec le Requiem de Brossard, tous les deux très puissants.

https://youtu.be/tfxpXsWDDtE

Sacha Distel, La belle vie

On l’a trop brocardé, Sacha Distel était très bon guitariste de jazz, et La belle vie est une chanson formidable

Four no blondes, What’s up

Dans l’âge de mes enfants, je retiens ce groupe de chanteuses un peu déjantées. Leur reprise est folle.

Pour suivre Hervé Niquet

Que de pépites dans cette vaste discographie, le plus simple est de la découvrir 

Agenda

God save the king – Haendel, Te Deum de Dettingen HW 283 – Coronation Anthems

Mozart à Salzbourg, Mozart Messe brève Kv. 192 & K 194 – Sonate d’église Kv. 328 – Kv. 225 – Ave verum KV 618 – Joseph Haydn, Offertorium « Non nobis Domine » – Alleluia, ext. de « O coelitum beati », motet – Te Deum n°1, Michael Haydn, « Sub tuum praesidium » MH 654 – Ave verum en Fa Majeur

12 aout, 20h. Abbatiale de Gigny sur Suran, Les Saisons baroques du Jura

  • 1 septembre, 21h, Folie Parc Anne de Kiev, Blanc Mesnil (gratuite)
  • du 27 sept au 5 octobre 2023, La Fille de Mme Angot, opéra de Lecocq, Opéra Comique
  • 16 novembre, Messes vocales, de Gounod et Saint-Saëns , Auditorium du Musée d’Orsay, Paris.
  • Le mariage forcé, de Molière et Lully
    • 19 décembre, Théâtre Luxembourg, Meaux
    • 21 et 22 décembre, Opéra de Massy
    • 14 avril 2024, Opéra Grand Avignon
  • les 26, 27 & 28 janv 2024, Don Quichotte chez la Duchesse de Boismortier, Opera Royal de Versailles

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