Culture

Le carnet de lecture du Trio Sõra: Pauline Chenais, Fanny Fheodoroff, Angèle Legasa

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 28 mai 2024

Elles n’ont pas froids aux cordes, les musiciennes du Trio Sõra ! Pour leur premier enregistrement en 2020, elles signent d’emblée une interprétation de référence de l’un des sommets de leur répertoire, une intégrale des Trios pour piano, violon et violoncelle de Beethoven (Naïve). Quatre ans, plus tard, c’est à ceux de Brahms (Dolce Volta) que Pauline Chenais au piano, Fanny Fheodoroff au violon et Angèle Legasa au violoncelle (Alpha) insufflent leur singularité. La modernité de leur interprétation cisèle un raffinement sonore captivant. Le Trio le joue au Bal Blomet le 12 juin, et dans plusieurs festivals, dont les Nuits Musicales d’Uzès, le 28 juillet et Les Musicales du Luberon, le 13 septembre. Inséparables, les musiciennes ont partagé avec Olivier Olgan à la Fondation Singer-Polignac où elles sont en résidence leur quête d’identité sonore.

Sōra : « oiseau qui chante en prenant son envol » (nom amérindien)

Une ascèse individuelle et collective pour rendre justice aux Trios

Elles viennent de signer un nouveau sommet de leur répertoire, les Trios de Brahms après une intégrale de ceux Beethoven, considérés dès leur sortie par la critique comme des enregistrements de référence, dans une discographie très encombrée de pépites prestigieuses.

Leur secret ?

Elles abordent le Trio pour piano, avec la « même vision » et les mêmes exigences de cohésion instrumentale et de vie collective dédiée qu’un Quatuor à cordes. Elles revendiquent même qu’elles ne voient aucune différence entre les deux formations de chambre ; aussi bien dans la manière d’aborder le répertoire, que dans la manière d’appréhender cette musique de chambre, de la travailler et de l’élargir avec des créations, comme celles de Kelly Marie Murphy, Suzanne Giraud (Caressant), Arthur Lavandier (Danses phrygiennes) ou Michele Reverdy.

« Le sentiment humain, l’audace nouvelle de l’expression du « moi intérieur » qui se détache du classicisme, l’amour et l’admiration pour la Nature sont autant de nouveautés que Beethoven a fait naître sous sa plume et qui sont très présentes dans ses trois derniers grands trios. Il est donc le fondateur d’une nouvelle orchestration dans l’écriture du trio avec piano, dont Schubert, Schumann, Brahms ou Mendelssohn s’inspireront. »
Trio Sõra, livret des Trios de Beethoven, Naïve

Nous ne sommes plus trois solistes, mais un trio qui mène un travail de fond sur notre répertoire au même titre qu’un Quatuor à cordes.

Pour forger une identité sonore « unique » au double sens du mot, à la fois identifiable et fusionnée dans le collectif, les trois musiciennes se retrouvent tous les jours pour acquérir et partager un ressenti commun de la musique.  Le prix à payer de cette ascèse, consistent à renoncer à toutes formes de « distractions » en soliste, en dehors de ce travail « en famille », gage de l’approfondissement de leurs réels choix d’interprétations.

Une quête incessante d’un son singulier

Ce qui est passionnant dans l’entretien que ces trois inséparables nous ont confiés, c’est qu’elles ont chacune des mots différents pour évoquer leur quête de leur « son ». Pour la violoncelliste, Angele Legasa, c’est comme « la quête d’un type de lumière particulière, dans le sens où nous décidons de rendre clair un discours à travers nos émotions, nos analyses, et nos couleurs ».  Fanny Fheodoroff, violoniste viennoise passée par la Juilliard School, qui les a rejoints depuis 2022, évoque aussi « une lumière chaude, mais aussi brillante et pure, de l’énergie mêlée avec de l’intimité ». La pianiste Pauline Chenais rajoute la dimension du temps dans la gestion du son, « qui permet de moduler la manière dont on va jouer un son. Le temps, c’est très intime, parce que cela nous oblige chacune à avoir le même gestion du temps, qui va influencer sur la qualité de notre son. Cela va au-delà de la manière de respirer. »

« Comme celle de Beethoven, la musique de Brahms est reconnaissable dès ses premiers opus. Elle est cependant marquée en bien des points par l’héritage classique : la structure, la forme notamment, auxquelles Brahms reste attaché. Dans notre version de ses trios, Beethoven regardait vers le futur. Avec le romantisme qui le caractérise, Brahms tourne son regard vers le passé, s’en inspire, y plonge ses racines. Ce point de vue a orienté notre travail sur ses trios. »
Angèle, livret des Trios de Brahms, La Dolce Volta

Un épanouissement personnel dans le collectif

Quel bonheur d’écouter ce Trio aussi rayonnant dans l’échange qu’en concert. On ne sait qu’admirer le plus : leurs qualités individuelles et d’ensemble, leur sonorité charnue, mais jamais épaisse, la grand fluidité de leurs discours, la toute aussi grande clarté de leur polyphonie. Dans cette réussite, les trois musiciennes rendent hommage à Mathieu Herzog, ex-membre du Quatuor Ebene qui leur a prodiguées autant son énergie que sa bienveillance pour qu’elles osent tout, à commencer d’emblée par les grands sommets de leur répertoire. C’est précisément leur naturel confondant, leur maitrise parfaite tant instrumentale que musicale, sans ostentation, sans démonstration, qui aspire l’oreille.
Et c’est communicatif, surtout en concert. Bonne nouvelle, le Trio Sõra vous invite à de nombreuses dates.

Olivier Olgan

Le carnet de lecture du Trio Sora

Référence commune
Les enregistrements du Quatuor Ebène

À Paris, à Tours ou à Vienne, nous avons toutes les trois grandi avec les enregistrements des EbèneCes albums sont autant de chocs, coups de foudre, moments hors du temps, qui ont toujours été une source d’inspiration infinie. Un monde musical dans lequel chaque note est jouée avec l’intensité indescriptible qui leur est propre et qui a assurément contribué à construire notre identité musicale…

Fanny Fheodoroff

Sechs Klavierstücke op. 118, de Johannes Brahms

Les six pièces pour piano op. 118 ont été composées durant l’été 1893 à Bad Ischl, en Autriche, et sont les derniers recueils que Brahms a consacrés à cet instrument.

Clara Schumann, sans doute la dédicataire secrète des pièces, les décrit dans son journal comme « une véritable source de plaisir ; tout, poésie, passion, exaltation, intimité, plein des effets sonores les plus merveilleux. » Les pièces contiennent vraiment le cosmos musical du compositeur sous une forme concentrée, ses pensées musicales les plus profondes, pleines de tendresse et de mélancolie. Comme pour Clara, elles reflètent pour moi aussi une multitude de sensations, également sur un plan personnel : Ayant grandi avec mon frère, qui est pianiste et organiste, je l’ai toujours entendu répéter ces morceaux. Elles me rappelleront toujours l’intimité de notre relation et me relieront à ma famille.  

Le monde d’hierde Stefan Zweig

Le monde d’hier est le mémoire de l’auteur juif autrichien Stefan Zweig. Le livre est écrit à la fois comme un souvenir du passé et un avertissement pour les générations futures. Il évoque l’âge d’or du Vienne littéraire, la stabilité apparente de l’empire Austro-Hongrois, ses promesses et sa chute dévastatrice.
Zweig dresse un portrait saisissant de sa vie et de ses voyages à Vienne, Paris, Berlin et Londres, au cœur même de la culture européenne, qu’il vit à travers le traumatisme de la Première Guerre mondiale et la désolation de la Seconde.

Voir ma ville natale, Vienne, à travers les yeux de Zweig est vraiment fascinant, et ses mémoires me permettent de mieux comprendre non seulement la culture et l’histoire de cette ville, mais aussi l’ensemble de l’Europe, que Zweig appelle sa « patrie spirituelle ».

Angèle Legasa

Pride, de Matthew Warchus 

Du génie, des rires, des larmes, et beaucoup d’espoir… Ce film de 2014, inspiré d’une histoire vraie, suit le parcours de deux communautés opprimées par le gouvernement Margaret Thatcher : les mineurs et les homosexuel.le.s. Quand un petit village du Pays de Galles reçoit un appel téléphonique d’une communauté gay londonienne, cela fait quelques étincelles… Pourtant, ces derniers ne se découragent pas, récoltent de l’argent pour soutenir les familles de mineurs et partent à la rencontre d’un monde où tout les oppose. 

Réalisé avec la grande classe de l’humour anglais, cette poésie nous rappelle la beauté d’une union et d’une solidarité pour un combat commun quand on croyait tout perdre.

Journal d’un corps, Daniel Pennac

Une idée merveilleuse que de raconter une vie avec ce que raconte un corps… une forme incroyable qui nous fait voyager dans la vie d’un garçon, d’un jeune homme, d’un homme, d’un vieillard : ses relations, ses passions, ses psychoses, son métier, ses fiertés, ses regrets…
Notre corps raconte plus que ce que nous voulons bien entendre, et c’est avec une tendresse infinie que ce livre me l’a rappelé !

Pauline Chenais

Les Filles d’Égalie, Gerd Brantenberg 

Gerd Brantenberg est une écrivaine Norvégienne née en 1941. Elle nous livre avec ce roman un manifeste féministe avant-gardiste en nous embarquant dans une société matriarcale, avec humour, fougue et dérision, où le féminin l’emporte coûte que coûte. 
Elle* est plus que temps de redonner aux femmes la place qui leur est dûe dans une société entre trop invisibilisante ! 
Lisez, vous comprendrez ! 

Moins qu’hier et plus que demain, Fabcaro

Connu pour ses romans, « Moins qu’hier et plus que demain » compte parmi les plus acérées des bandes dessinées de Fabcaro (difficile de faire un choix, je les ai toutes lues et relues des dizaines de fois !). 

Il y met en scène des couples page par page sur le déroulé d’une journée. Ces petits strips dans lesquels les personnages ne bougent quasiment pas mettent l’accent sur des dialogues décapants, dans des situations souvent déjantées et incongrues. Cet humour noir délicieusement féroce me fait un bien fou, quel bonheur de rire autant ! 

Pour suivre le Trio Sõra

Le site du Trio Sõra

Discographie

  • Beethoven, Piano Trios op.1, op. 70 et ‘Archiduke’ op.97 (intégrale) (Naïve, 2021)
  • Brahms. Piano Trios n°1 opus 8, n°2 opus 87 et n°3 opus 101 à une œuvre plus rarement jouée : le Trio pour piano, violon et cor opus 40 dans sa version avec violoncelle, écrite par Brahms (La Dolce Volta, 2024)

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