Culture

Le Musée d’Art et d’Industrie de St-Etienne inaugure la « mécanique de l’art » du ruban

Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 5 décembre 2023

Valorisant le patrimoine et les activités industrielles phares de la région stéphanoise – les cycles, les armes et le ruban – le Musée d’Art et d’Industrie (MAI) de Saint-Etienne présente depuis le 24 novembre 2023, ses collections permanentes dans une dynamique de la « mécanique de l’art » revendiquant la place du musée « comme modèle esthétique des productions et de la transversalité des savoir-faire » au cœur du développements  historiques des industries stéphanoises. A l’occasion du vernissage du nouveau parcours consacré au ruban, Baptiste Le Guay a pu constater le soin porté à la dimension pédagogique et historique, de sa confection à ses nombreuses utilisations, d’autrefois jusqu’à aujourd’hui.  

vue d’une des salles du nouveau parcours des rubans, La mécanique de l’art Photo MIA, Saint Etienne

« On vit et on meurt dans le textile » dira un journaliste de la presse spécialisée avant que nous arrivions au musée, quoi de plus vrai ?

Au Musée d’Art et d’Industrie (MAI) de Saint-Etienne, la section du ruban a été fermée au public pour travaux pendant un an. L’objectif est de renouveler sa scénographie pour rétablir le dialogue entre art et industrie.

Ce musée est à l’origine un lieu de fabrique et d’art voulu par les armuriers et les rubaniers. Il a toujours été extrêmement lié aux industries du territoire. C’est un lieu de conservation de savoir-faire »
Marie-Caroline Janand, directrice du pôle muséal de la ville de Saint-Etienne.

Le ruban au cœur de la « mécanique de l’art« 

Modèle réduit de doublage fabriqué par Mousset à Saint-Etienne en 1870 Photo MAI

Fabriqué dans des métiers à tisser, machines particulièrement imposantes et bruyantes, le ruban trouve sa place dans la mécanique de l’art. Destiné à un usage précis, le ruban est présent sans forcément que nous le sachions, comme à l’intérieur de nos sous-vêtements par exemple.

Au XVIIème siècle, le ruban est un élément d’apparat dans la mode vestimentaire des hommes et des femmes, avant d’être assimilé aux boudoirs (salon de femmes), devenant l’attribut de la féminité et d’une forme d’intimité le siècle suivant.

Le ruban aura le vent en poupe à partir de 1840 en ornant les robes, les chapeaux et les chaussures des dames coquettes. Il y a également le ruban honorifique (décorations militaires, légion d’honneur), un marché de niche toujours actif aujourd’hui. Encore leader dans ce secteur spécifique, la maison Neyret fondée en 1852 a une pièce entièrement dédiée à l’évolution de l’entreprise.

Visite du président Félix Faure chez Villard le 30 mai 1898, José Frappa, 1898, musée d’Art Moderne et Contemporain de Saint-Etienne métropole, photo Yves Cresson

Le rubanier, un entrepreneur qui ne fabrique rien

Le rubanier supporte l’économie du ruban. Il va fournir les passementiers, il paye le dessin et c’est lui qui commercialise la production ensuite.
Marie-Caroline Janand.

Il ne fabrique pas du ruban mais le fait fabriquer par des passementiers indépendants à domicile, activité appelée « travail à façon ». En 1881, ces façonniers se comptent à 5 425 à St Etienne et ses alentours.

C’est à partir de 1930 que les rubaniers ouvrent des usines et possèdent des métiers à programmation, machines trop onéreuses pour les passementiers indépendants. Le « domestic system » fonctionne en parallèle de la production en usine jusque dans les années 1990.
Aujourd’hui, le travail à domicile a complètement disparu au profit des usines, employant encore 2 700 personnes dans la région.

Photo métier Jacquard, musée d’art et d’industrie de Saint-Etienne, photo Baptiste Le Guay

La révolution industrielle des métiers à tisser

Au départ, les métiers à tisser sont vivement critiqués, allant jusqu’à dire qu’ils produisent des rubans ratés et que l’on chauffe l’usine avec ses chutes ! Une manière d’exprimer la crainte d’un changement technologique et social, où les passementiers quittent la fabrique familiale pour l’usine.

La programmation permet au ruban d’avoir de plus en plus de détail et permet de réaliser une image de soie, comme une fleur ou un portrait grâce à un tissage élaboré, poussé par la demande de la mode notamment. La mécanique Jacquard permet cela où le métier va intégrer des cartons perforés et ainsi transmettre un message binaire (trou ou non) permettant de tisser de manière très précise. Une avancée permettant de réaliser des prouesses techniques !

Pied à lire et sample pour piquage Vincenzi, 1875-1900, MAI, Saint-Etienne, photo Baptiste Le Guay

La production se fera entre la fin du XIXème siècle et le début de la première Guerre Mondiale, notamment par Neyret frères à l’origine de la popularité de ces tableaux de soie en petits et moyens formats.

Le procédé compte 5 étapes : l’esquisse du motif avec les couleurs et la composition du ruban fini, la mise en carte, le lisage de cette carte, le piquage puis l’assemblage où les cartons piqués doivent être mis dans l’ordre pour restituer l’information du dessin final.

Il faut tous ses intermédiaires, le meilleur dessinateur va être traduit par le meilleur metteur en carte, lu par le meilleur liseur. Il y a une amélioration continue dans l’objectif de produire un beau ruban;
Marie-Caroline Janand.

Yamaguchi Itarô a tissé des rouleaux de brocards sur Jacquard d’après le Dit du Genji, 1990, 2ème rouleau, Photo Thierry Olivier Paris, musée Guimet – musée national des Arts asiatiques.

L’intérêt pour le ruban disparaît peu à peu dans la simplification de la mode dans les années 1930, avant de retrouver un second souffle grâce à la haute couture à la fin des années 1990.

Un trésor national de la France au Japon

Un savoir-faire transmit aux Japonais avec les tisseurs de Nishijin en 1872, qui importeront le métier à tisser Jacquart. Le maître Itarô Yamaguchi (1901-2007) réalisera un chef-d’œuvre de minutie en reproduisant en tissage de brocards les rouleaux peints du mythique roman de cour « Dit du Genji ».   voir à la cour du Prince Genji au musée Guimet

Flacon de parfum avec ruban « Miss Dior blooming bouquet », Dior Parfum, 2022

Le ruban, accessoire de luxe et de la haute couture

Au-delà d’attacher nos sous-vêtements et d’être utilisé dans le secteur médical (pansement, atèle, prothèse), le ruban devient particulièrement prisé dans l’industrie du luxe, comme pour orner un flacon de parfum par exemple avec le récent « Miss Dior blooming bouquet ».

Robe et bustier en ruban gros-grain et dentelle, Franck Sorbier, 2022, photo up design Hubert Genouilhac

Le ruban est également utilisé dans la haute couture comme la robe et le bustier en ruban gros-grain et dentelle de la maison Franck Sorbier. Le couturier met à l’honneur les différentes utilisations du ruban : surpiqué, froissé, compressé, entrelacé pour constituer la structure de la robe. Le bustier est quant à lui confectionné avec des dentelles réalisées par la société choletaise tandis que les rubans gros-grain sont tissés par Julien Faure, maison stéphanoise, montrant à quel point une robe nécessite d’expertise technique.

Le musée d’Art et d’Industrie se réinvente en ayant compris que le spectateur avait besoin de contexte pour faire le lien entre les objets exposés et l’histoire de ces derniers. Une scénographie qui sera sûrement appliquée pour les parties sur les armes et l’industrie du cycle dans le futur.

Baptiste Le Guay

Pour aller plus loin avec le musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne

le site du musée d’Art et d’Industrie de Saint-Etienne

Ouvert tous les jours de 10h à 18h – Musée d’art et d’industrie, 2, place Louis Comte, Saint Etienne.

La mécanique de l’art :

  • le parcours des armes, permet de s’interroger sur la place de l’arme à l’heure de notre civilisation, entre attraction et répulsion,
  • le parcours des cycles, accessoire de luxe, objet de la vie quotidienne ou vecteur d’exploit sportif, la bicyclette n’est pas considérée ici comme un simple objet technique, mais bien comme un témoin de pratiques humaines et d’évolutions sociales,
  • le parcours des soies, présente le travail préparatoire de la soie, l’organisation spatiale et symbolique de la fabrique stéphanoise, la richesse technique et artistique de la production de ruban et la manière dont la création artistique a été mise au service des savoir-faire rubaniers.

mais aussi
DESTINS, cinq vies stéphanoises durant la Révolution industrielle; dans cette fiction interactive, cinq personnages se croisent en 1844 autour d’un objet : un eustache (couteau pliable) fabriqué à Saint-Étienne. Ces vies sont emblématiques de la société de la 1ère Révolution industrielle et le parcours permet d’entrer dans leurs pensées les plus profondes, leurs habitudes, leurs amis, leurs intérieurs, leurs désirs, leurs craintes. Cheminez à travers ces vies, aidez les personnages à couper un ruban, à poser des ventouses ou à allumer la mèche d’une lampe de mine.

 

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