Culture

Le Paris d'Agnès Varda de-ci, de-là (Musée Carnavalet- Paris Musée),

Publié par Patrice Gree le 24 avril 2025

Après ‘Viva Varda’ de la Cinémathèque, le musée Carnavalet dévoile « l’Avant Varda » jusqu’au 24 août 2025. Ses débuts en tant que photographe à Paris, avec une prédilection humaniste pour les « invisibles » …avant de nous plonger dans la cour-atelier du 88 rue Daguerre, qui fut son lieu de vie et de création durant presque soixante-dix ans. Les 130 tirages souvent inédits témoignent qu’Agnès Varda était une magicienne faisant dialoguer documentaire et fiction et qui dévoilait ses trucs en les regardant !
Cette singularité a ému Patrice Gree qui habita rue Liancourt parallèle à la rue Daguerre et écoutait le couple Varda-Demy au troquet.

Dans l’un de ses derniers films « Les plages d’Agnès », réalisé en 2008, Agnès Varda (1928-2019) introduit son auto-fiction par ce court résumé d’elle-même

« C’est l’histoire d’une petite vieille rondouillarde qui raconte sa vie et pourtant ce sont les autres qui l’intéressent ».

La cinéaste, comme son chat, était une femme de territoire… Ses personnages, artistes amis ou anonymes dans les rues de la capitale, extraits de la réalité, s’incarnent toujours dans des lieux : Paris, les plages de Belgique, Sète, Île de Noirmoutier et bien sûr…la fameuse rue Daguerre !

Rue Daguerre, au n° 88, dans le XIVe arrondissement

J’ai habité rue Liancourt – parallèle à la rue Daguerre – au milieu des années 80. C’était un très joli studio de 32m2 avec un balcon, qui donnait sur un immense entrepôt de pompes funèbres, d’où, entre deux enterrements et quatre planches, fumant ma clope, amusé, je regardais les croque-morts jouer à la pétanque ! Je débutais ma vie professionnelle et gagnais le smic…
À l’époque avec un SMIC, tu pouvais louer un studio de 32 m2 entre Denfert et Montparnasse et manger au dessert le dimanche soir un énorme Paris-Brest, aller et retour. Aujourd’hui, le loyer, c’est le montant du SMIC, ton Paris-Brest est terminus au Mans – tellement il est minuscule – et te coûte un billet en première classe. Le temps qui passe ne se mesure pas qu’en années…

du coté du 88 rue Daguerre, Le Paris d’Agnès Varda de-ci, de-là (Musée Carnavalet) photo OOlgan

Pas bien d’écouter les conversations dans les troquets

Bref tout ça pour dire que je croisais Varda et Jacques Demy dans leur troquet favori de la rue Daguerre. Je m’installais mine de rien à la table libre d’à côté et j’écoutais leur conversation en faisant semblant de lire Libé. Oui, j’étais comme ça. J’aimais leur ciné et leur regard étonné, joyeux, un brin mélancolique parfois,
mais toujours décalé sur la belle rue Daguerre et le reste du monde.

Le petit chien, 1949 Le Paris d’Agnès Varda de-ci, de-là (Musée Carnavalet) photo OOlgan


Rosalie avec le portrait de Delphine Seyrig, 1961 Le Paris d’Agnès Varda (Musée Carnavalet) photo OOlgan

Photographe avant d’être cinéaste

Cette très belle expo du Musée Carnavalet tourne beaucoup autour de l’histoire de sa petite maison rose au bout de la rue Daguerre, nous permet aussi avec une redécouverte. Et quelle photographe ! Et quelle cinéaste.

Une série de portraits posés d’enfants, nous rappelle que Varda était photographe avant d’être cinéaste.

Extraire l’étonnant de l’ordinaire

Daguerréotypes,1975 Le Paris d’Agnès Varda de-ci, de-là (Musée Carnavalet) photo OOlgan

Dans ses docs, Varda avait le don d’extraire l’étonnant de l’ordinaire, le singulier du pluriel. Ainsi ses visages anonymes filmés au milieu d’une foule de passants pressés, qui sous le regard de sa caméra attentive et affectueuse racontent tous quelque chose de leur histoire !

Sa caméra – c’est-à-dire son œil -, n’était ni sourde, ni muette ! Elle donnait à ses personnages de notre vie quotidienne une existence, que la répétition des jours identiques semblait leur avoir volée !

Les quelques extraits de Daguerréotype consacrés à ses voisins boulanger, épicier, coiffeur, tenant commerce à moins de 90 mètres de sa maison, diffusés dans l’expo, témoignent de sa singularité pour les « invisibles ».

Le Paris d’Agnès Varda de-ci, de-là (Musée Carnavalet) photo OOlgan

Une magicienne qui dévoilait ses trucs en les tournant !

Comme une enfant, Varda franchissait clandestinement la frontière qui sépare la réalité de la fiction et tu rentrais avec un bonheur de môme sautant dans une flaque d’eau, sur son terrain de « Je ». Sa passion pour les pommes de terre l’amènera en 2003 à défiler habillée en patate lors de la prestigieuse cinquantième Biennale de Venise, pour y présenter son film Patatutopia,

avant de réaliser en 2005 un magnifique documentaire – dispo sur Arte-boutique -, sur les veuves de Noirmoutier, quinze années après la mort de Jacques Demy.

Agnès Varda, c’est un univers bricolé d’enchantements graves et joyeux.
Une très belle expo.

Auteur de l'article

jusqu’au 24 août 2025, Le Paris d’Agnès Varda de-ci, de-là, musée Carnavalet– Paris Musée), 23 rue Madame de Sévigné, 75003 Paris
Ouverture du mardi au dimanche de 10h à 18h.

Catalogue, sous la direction d’Anne de Mondenard, commissaire scientifique, avec les textes de Antoine de Baecque, Anne de Mondenard, Dominique Païni, Carole Sandrin et Rosalie Varda, 240 p. 39€

S’appuyant essentiellement sur le fonds photographique d’Agnès Varda et les archives de Ciné-Tamaris.immersion dans la vie du 88 rue Daguerre, à la fois un studio de prise de vue, un laboratoire de développement et de tirages et le lieu de sa première exposition personnelle en 1954. La même cour est revisitée dans les années 1960, à l’époque où Agnès Varda la partage avec le cinéaste Jacques Demy, quand elle est fréquentée par des personnalités du cinéma après avoir accueilli des gens de théâtre. sur un mode aussi libre qu’expérimental à travers les rues de Paris qu’elle photographie et filme.

Paris est passionnante au sens où elle nous invite à observer l’œuvre autrement, à approfondir sa vie de photographe, encore peu connue, puis à éclaircir les liens complexes entre photographie et cinéma.
Anne de Mondenard

Découvrir les films d’Agnès Varda sur france.tv 

Partager

Articles similaires

Edi Dubien, Eclairer sans fin (musée de la Chasse et de la Nature-JBE Books)

Voir l'article

Quatre Conseils de spectacles à textes: Baudelaire, David Braun, Camus et Anne-Marie Sapse

Voir l'article

(25 ans de cinéma du XXIe) 2000 – Les Neuf reines, de Fabiàn Bielinsky, parfait film d’arnaque débonnaire.

Voir l'article

Belinda Cannone dévoile lucidement comment écrivent les écrivains

Voir l'article