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Le robot mannequin Euveka d’Audrey-Laure Bergenthal réduit les invendus de création textile
Auteur : Anne-Sophie Barreau
Article publié le 1er mars 2023.
[Pour un design éthique] Dans les enseignes où les collections, d’une semaine à l’autre, se suivent à un rythme effréné, qui n’a jamais vu ces montagnes aux tailles improbables dont beaucoup ne trouveront pas preneurs ? Ces taux de retours et d’invendus atteignent des records dans les petites et grandes tailles. La solution s’appelle Euveka. Le robot-mannequin inventé par Audrey-Laure Bergenthal est capable de reproduire une infinité de données morphologiques. Du sur-mesure indispensable selon Anne-Sophie Barreau pour réduire le gaspillage textile.
On retrouvait partout ce problème d’un vêtement fait sur une seule morphologie.
L’idée m’est venue qu’il fallait robotiser le mannequin de bois.
Audrey-Laure Bergenthal, fondatrice de Euveka.
Euveka, il fallait y penser !
Un changement de lettre est l’exclamation passée à la postérité grâce au professeur Tournesol alerte de son invention. Euveka, donc, le robot intelligent qui aujourd’hui révolutionne l’industrie textile, est assurément bien nommé. Jugez plutôt.
Au départ, rien ne destinait son inventrice Audrey-Laure Bergenthal, à travailler dans le secteur de la mode. La jeune femme achevait un cursus en droit et s’apprêtait à devenir avocate en droit de la propriété industrielle quand « à force d’entendre des plaintes concernant des vêtements qui n’allaient pas », elle s’est interrogée sur les rouages de production dans l’industrie textile. « J’ai réalisé qu’ils étaient faits sur un mannequin de bois à la morphologie standardisée. Un jour, comme dans un flash, l’idée m’est venue qu’il fallait robotiser ce mannequin ».
Il y avait alors encore loin de l’idée à sa concrétisation. Qu’à cela ne tienne, la jeune femme change d’orientation et s’inscrit en BTS de stylisme-modélisme. Son intuition se vérifie : « Cette formation m’a confortée dans l’idée qu’il fallait désormais se passer du mannequin : si on avait de tels taux de retours et d’invendus, c’est parce que les apprentissages étaient faits sur une seule morphologie ». Plus de doute, donc, quant au besoin, avec en prime la certitude « d’une compatibilité entre le secteur de la mode et la sphère technologique de la 3D ».
Déconstruire le vêtement standardisé
Audrey-Laure Bergenthal travaille ensuite pendant quelques années dans la mode homme, femme, et enfant en France et à l’international le temps de s’imprégner des méthodes de travail des uns et des autres. Tous les voyants, de nouveau, sont au vert : « la mode étant française, ses usages le sont aussi. Le robot avait de facto une application à l’international. On retrouvait partout ce problème d’un vêtement fait sur une seule morphologie, et, partant, de gens exclus et complexés, avec, à la clé, un impact psychologique, écologique, et financier énorme ».
Le résultat, c’est donc Euveka, nom identique pour le mannequin-robot et la start-up implantée dans la Drôme que dirige Audrey-Laure Bergenthal. Dix ans ont été nécessaires pour structurer l’entreprise auto-financée pendant cinq ans, « le temps d’avoir des clients intéressés, un prototype, et des partenaires technologiques leaders mondiaux de la 2D et de la 3D ».
Grâce à son algorithme, Euveka fait instantanément ressortir les défauts
et incite à corriger, enlever, ajouter un ou plusieurs centimètres.
Audrey-Laure Bergenthal
Un concentré d’expertise morphologique
Commercialisé depuis 2021, Euveka « convertit sous forme d’algorithme un concentré d’expertise sur cinq ans de l’évolution du corps humain à travers le monde et les âges des populations ». Le robot est ainsi capable dans chaque taille de se décliner en différentes morphologies. Pour les femmes – celles et ceux qui prisent les émissions de Cristina Cordula le savent bien – il existe ainsi six morphologies caractérisées par des lettres, X, H, O, V, A et 8. Mieux : Euveka peut à l’intérieur des tailles « cibler un maximum de groupes et sous-groupes de morphologies existant dans le monde ».
C’est ensuite au tour des « fit experts » de la startup – des professionnels du monde de la mode pour lesquels cette méthode de modélisme morphologique n’a plus de secrets – d’entrer en scène : ils embarquent le robot, le logiciel qui va avec, et vont chez les clients leur apprendre à travailler le vêtement comme ils ne l’ont jamais fait. « La force d’Euveka est de faire instantanément ressortir les défauts et d’inciter à corriger, enlever, ajouter un ou plusieurs centimètres. L’objectif est d’aller vers une production responsable où les vêtements pour chaque taille ont le plus large éventail de couverture morphologique possible et soient adaptés en quantité avec la zone géographique à couvrir ».
Mettre à disposition des professionnels l’outil de leur rêve
Pas étonnant dans ces conditions que l’entreprise qui, dès le départ, a séduit Adidas et Chanel, travaille aujourd’hui avec les leaders du luxe, du prêt-à-porter luxe, du sport, et du retail. Mais aussi avec des plateformes de vente en ligne, des centres de recherche internationaux et des écoles de mode. Pas étonnant non plus que l’invention ait été plusieurs fois primée.
Seule ombre au tableau : un environnement économique dont le filet de sécurité n’est pas suffisant en cas de coup dur . Conséquence : le délai pour accéder à des financements a ainsi récemment mis la startup en difficulté.
Humaniser au sens propre la vente du vêtement
Mais rien ne saurait arrêter Euveka et sa charismatique fondatrice : « Nous sommes en train d’automatiser toutes les remontées de data. En 2024, nos clients auront des tableaux de bord avec des indications de performance, et notamment, l’analyse automatique des raisons de retour. L’objectif est de rendre la vente plus performante ».
Mais qu’en est-il alors des professionnels, retoucheurs, tailleurs, couturières ? Euveka ne leur fait-il pas de l’ombre ? La réponse fuse : « Au contraire ! Nous revalorisons et ré-humanisons leur métier, nous les remettons au cœur du changement et les projetons dans le monde de demain. Nous bouleversons leur quotidien en leur donnant l’outil de leur rêve : ils ont toujours imaginé d’avoir un mannequin qui évolue et représente la réalité des corps humains ».
#Anne-Sophie Barreau