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Les « librairies de la baie » ont le vent en poupe en Loire-Atlantique
Auteur : Anne-Sophie Barreau
Article publié le 7 janvier 2025
La première a ouvert ses portes en 2015, la seconde en 2018, et la dernière en 2023 : à La Baule, au Pouliguen, et à Pornichet, le succès des « librairies de la baie » fait rimer bord de mer et attachement pour un commerce culturel de proximité qui n’a jamais été autant plébiscité qu’aujourd’hui, Anne-Sophie Barreau songe à l’explosion du nombre d’ouvertures de librairies indépendantes depuis la crise sanitaire. Un succès qui puise aussi dans l’histoire de Catherine Gaultier, leur créatrice. La libraire se confie à Singular’s.
La mer et les livres
Dans quel contexte avez-vous créé la librairie Lajarrige à La Baule en 2015 ?
J’ai depuis toujours une passion pour la mer et les livres. En 2001, lorsque je suis arrivée à La Baule, le « hall des informations », librairie emblématique de la ville, est vite devenu une deuxième maison. A l’époque, je ne travaillais plus, et à force de passer du temps dans la librairie, j’ai souhaité découvrir le métier de libraire. En 2010, j’ai suivi une formation intitulée « créer et reprendre une librairie » avec le projet à terme d’ouvrir une librairie sur la côte. Je me suis vraiment lancée quand une partie des locaux du « hall des informations » est devenue disponible après le décès de sa propriétaire.
A l’origine de cette aventure, il y a un coup de cœur pour un lieu, l’intuition qu’il y avait ici un bassin de lecteurs, et un concours de circonstances qui a fait que j’ai pu reprendre cet espace dans un contexte où il n’y avait plus de librairie à La Baule
Comment avez-vous constitué votre équipe ?
La formation que j’ai suivie, bien que courte, a été précieuse. Elle m’a notamment donné la possibilité de faire des stages dans trois librairies, chez « Nouvelles Impressions » à Dinard, « Dédicaces » à Rueil-Malmaison, et à « La librairie du Renard » à Paimpol. Les trois libraires qui, au départ, venaient tous d’un autre environnement professionnel, ont été d’une grande générosité, ils m’ont littéralement ouvert leurs portes, cela a été très formateur. Pour autant, le métier de libraire requiert une technicité que je n’avais pas. Au moment du lancement de la librairie, j’ai naturellement fait appel à une libraire de métier.
J’ai toujours été fascinée par les libraires qui connaissent par cœur les éditeurs, les collections, les lignes éditoriales…
On entre dans une librairie pour acheter un livre, mais aussi pour avoir un contact, un échange, sinon, il n’y a rien de plus simple que d’aller dans une grande surface.
Le succès a-t-il été tout de suite au rendez-vous ?
Nous avons ouvert le 1er décembre 2015. Entre le matin et le soir, une centaine de personnes sont passées, c’est beaucoup, je ne m’y attendais pas. C’était comme si l’absence de librairie pendant trois ans avait permis aux gens de mesurer leur attachement à ce commerce de proximité. La librairie est un équipement structurant. Ayant eu la chance, enfant, de passer mes étés à Saint-Malo chez mes grands-parents, je garde un souvenir vif de notre sortie à la maison de la presse locale. Elle était petite mais elle nous semblait immense. C’était un rituel tous les ans, on avait le droit de choisir des livres, c’était merveilleux. C’est la raison pour laquelle j’ai toujours associé bord de mer et achat de livre.
J’avais envie de recréer ce rituel, et c’en est, de fait, devenu un : les gens viennent avec leurs enfants, leurs petits-enfants, certains disent même qu’ils n’imaginent pas venir à La Baule sans passer à la libraire.
La force du collectif
Le projet a-t-il été soutenu par les pouvoirs publics ?
Il a été soutenu par le Centre national du livre, par la région – une aide malheureusement remise en cause aujourd’hui du fait du repli de celle-ci sur les subventions culturelles – et par l’association pour le développement de la librairie de création (ADELC) qui regroupe des éditeurs désireux de promouvoir la diversité éditoriale. Mais ce qui fait réellement la force, me semble-t-il, des librairies indépendantes, c’est d’appartenir à un collectif. En l’occurrence, nous sommes membre de l’association des librairies indépendantes en pays de la Loire (ALIP).
Amazon nous a incités à nous regrouper et à trouver des solutions ensemble. Nous avons par exemple réussi à prendre le virage du digital et à nous positionner comme une alternative sur la toile. Cette force du collectif est formidable.
Comment se passe la commande de livres au moment de l’ouverture d’une librairie ?
Il y a d’un côté des commandes d’implantation, de l’autre, les nouveautés qui vont paraître pendant la vie de la librairie. S’agissant des premières, le libraire est seul maître à bord. Nous utilisons des catalogues et des outils, et parmi eux, celui développé par l’ADELC, nous permettant de travailler sur les propositions les plus vendues dans les librairies de taille comparable à la nôtre.
S’agissant du volet qualitatif, chacun fait ses choix en fonction de ses appétences.
Je suis par exemple une inconditionnelle de Joyce Carol Oates, il était donc inenvisageable pour moi qu’il n’y ait pas plusieurs titres de cette autrice. Ce choix, quand on y pense, est presque vertigineux. Environ 900 000 titres en langue française sont aujourd’hui disponibles tous ouvrages confondus.
Enfin, les librairies sont visitées par des représentants, leur classification – en niveau 1, 2, ou 3 par les diffuseurs – déterminant la fréquence de leurs visites.
Trois librairies
Qui plus est, il n’y a pas une mais trois librairies…
J’ai découvert récemment qu’il y avait peu de librairies indépendantes multi-magasins. Nos trois points de vente sont très rapprochés géographiquement.
L’enjeu aujourd’hui est de rationnaliser notre fonctionnement et de trouver de nouvelles manières de travailler.
Avec notre fournisseur, nous essayons par exemple de mettre au point une version de notre logiciel qui nous permettra de centraliser une partie de nos réceptions avant de les dispatcher dans chaque librairie.
Pourquoi avez-vous souhaité ouvrir ces deux autres librairies ?
Du fait de notre implantation, nous avons une activité saisonnière : 50% de notre chiffre d’affaire est réalisé l’été et en décembre. Cela veut dire qu’à certains moments, le rythme est calme, et qu’à d’autres, la librairie est trop petite par rapport à la fréquentation.
En créant la librairie du Pouliguen qui au départ n’était ouverte qu’une partie de l’année, l’idée était de déplier la librairie pendant les périodes de forte activité et de la replier pendant les périodes de faible activité. Il se trouve en outre que Le Pouliguen a un vrai charme, une forte identité. Depuis 2021, la librairie ne ferme plus que trois semaines par an et a trouvé sa vitesse de croisière.
Quant à la librairie de Pornichet, il se trouve que pendant la crise sanitaire, en collectant les commandes à travers notre site de l’ALIP, nous avons découvert que nous y avions de nombreux clients. La ville est en effet très étendue et abrite une population jeune et familiale d’où l’idée de développer dans cette librairie une large offre d’illustrés : des livres pour la jeunesse, des albums de bande dessinée et des beaux livres.
La librairie Lajarrige est la plus littéraire avec une sélection large et pointue, celle du Pouliguen, avec l’accent mis sur le régionalisme et la mer, cultive son identité d’équipement de proximité, quand à celle de Pornichet, elle fait, comme je l’indiquais à l’instant, une large place aux illustrés.
Avec des équipes fixes d’un lieu à l’autre ?
Un peu des deux. Le principe est plutôt celui d’équipes fixes mais il y a tout de même un mouvement entre les trois librairies réunies sous la signature des « Librairies de la baie ».
Nous faisons partie de la même équipe et je trouve important que les libraires aillent dans chacune des librairies pour sentir ce que les clients attendent.
Qu’en est-il du volet animation et partenariat ?
Il fait partie de l’esprit des librairies indépendantes. La librairie Lajarrige a obtenu le label « LiR » décerné par le Centre national du livre aux établissements qui conduisent une politique d’animation. Nous espérons qu’il en sera bientôt de même pour celle de Pornichet. Par politique d’animation, on entend aussi bien des rencontres avec des auteurs, que des participations à des festivals, ou l’animation de clubs de lecture… Il y a quelques années, nous avons lancé un concours de nouvelles qui a eu du succès.
Nous travaillons aujourd’hui à un prix des lecteurs des « librairies de la baie ».
Quelle appréciation portez-vous sur le bassin de lecteurs ?
Nous sommes très privilégiés. Il y a, dans les trois villes, une vraie population de lecteurs, très axée, qui plus est, sur la transmission aux plus jeunes.
Quelle est aujourd’hui votre plus grande satisfaction ?
Ce sont les échanges avec les lecteurs. J’avais par exemple un client qui lisait essentiellement des livres que l’on classe en littérature du terroir. Un jour, il m’a entendue parler de Jean-Paul Dubois, un auteur que je vénère. Il m’a dit qu’il allait lire un de ses livres pour essayer, finalement, il les a tous lus !
Propos recueillis par Anne-Sophie Barreau en décembre 2025
Pour aller plus loin
Les « librairies de la baie » sur l’association des librairies indépendantes en pays de la Loire (ALIP)
- Librairie Lajarrige, 2 avenue Louis Lajarrige, 44500 La Baule
- Librairie du Pouliguen, 33 rue du Général Leclerc, 44510 Le Pouliguen
- Librairie de Pornichet, 142 av du Général de Gaulle, 44380 Pornichet
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