Culture

L’Intercontemporain lance sa saison avec Michael Jarrell (Cité de la Musique)

Auteur : Michele Tosi
Article publié le  15 septembre 2024

Sur la scène de la Cité de la Musique, Michael Jarrell est à l’honneur. L’Ensemble Intercontemporain (EIC) et son chef Pierre Bleuse ont interprété le 13 septembre pour le premier concert de la saison deux commandes du compositeur suisse : Reflections II, version pour piano et ensemble du concerto pour piano, et son « arrangement » pour soprano et ensemble de la Symphonie n°4 de Gustav Mahler. Michèle Tosi y était et attend avec gourmandise le retour de Jarrell le 28 mars avec une création pour ensemble et chœur en hommage au centenaire de la naissance de Pierre Boulez, créateur de l’EIC.

Les commandes sont d’un caractère bien particulier

Michael Jarrell (centre) en répétition avec le pianiste Hideki Nagano et le chef Pierre Bleuse, 0924 Photo Ensemble Intercontemporain.

Il s’agit de deux réductions au format de l’Ensemble Intercontemporain (31 musiciens) d’œuvres orchestrales déjà existantes. Ainsi l’EIC a-t-il demandé au compositeur une version pour grand ensemble de son concerto pour piano Reflections et de la Symphonie n°4 de Gustav Mahler. La soirée inaugure en effet le week-end « Mahler Perspectives » de la Philharmonie du 13 au 16 septembre où s’entendront, sous des effectifs et des lutheries divers, interprétation, relecture voire réécriture des symphonies du Viennois.

Ce n’est pas du tout l’objectif de Michael Jarrell qui entend faire sonner les deux pièces du concert au plus près de l’original, même si ce travail l’oblige à trouver des solutions qui vont modifier sensiblement l’écriture pour s’approcher des intentions premières du compositeur.

Une réflexion à géométrie variable

Créé en 2019 par les forces de l’Orchestre Philharmonique de Radio France et le pianiste Bertrand Chamayou, Reflexions est son deuxième concerto pour piano, réduit, pour l’heure (Reflection II), à un ensemble où les vents vont par deux et où les cordes ne comptent que trois violons, deux altos, deux violoncelles et une contrebasse! « Il y a moins « d’habits », dit en substance le compositeur en conversation avec Arnaud Merlin, mais les habits sont flamboyants, donnant une autre lumière et d’autres couleurs à ma partition ». C’est Hidéki Nagano qui est aux côtés de ses collègues de l’EIC sous la direction de Pierre Bleuse.

Le pianiste Hidéki Nagano et le chef Pierre Bleuse, créent Reflection II de Michael Jarrell Photo Ensemble Intercontemporain.

Le titre, Reflections, doit être pris dans son double sens, de réfléchir (penser) et de refléter ; l’œuvre est écrite à la mémoire du compositeur, pédagogue et réalisateur en informatique musicale Éric Daubresse décédé il y a quelques années. Cette pensée à l’ami disparu s’entend dans le superbe mouvement central invitant à une écoute recueillie. L’écriture du piano y est épurée, reflétée par les sonorités de l’ensemble dont les alliages raffinés et l’intervention ponctuelle des peaux sombres créent l’espace et la profondeur. Les deux volets extrêmes sont d’une folle virtuosité, pour le soliste, toujours conducteur, comme pour le tutti qui en diffracte les sonorités.

Emmené par une direction aussi ferme que précise, et sous le flux dionysiaque du jeu de la pianiste Hidéki Nagano, l’ensemble instrumental imprime ses reliefs et ses couleurs dans un final étourdissant où convergent toutes les énergies.

L’EIC en répétition sur le scène de la Cité de la Musique, lieu de résidence Photo Ensemble Intercontemporain.

« Réduire » la Quatrième symphonie de Gustav Mahler, un défi de taille

Michael Jarrell, sous la demande pressante de Pierre Bleuse, a fini par accepter d’en faire une « réduction ». Certes l’effectif des violons est passé de trois à cinq, les altos et violoncelles vont par trois et le compositeur a ajouté un trombone dans une partition où Mahler avait fait l’économie des cuivres graves : mais les moyens restent fort restreints quand il s’agit de donner l’illusion d’une envergure symphonique dans une acoustique, qui plus est, un rien sèche pour les cordes!

S’agissant de son travail, « exigeant mais passionnant », note-t-il, Jarrell parle volontiers de « traduction », qui restitue au plus près l’idée tout en prenant ses distances vis à vis de l’original.

Achevée en 1900, la Quatrième de Mahler resserre le format des symphonies précédentes, ne comptant que quatre mouvements d’une petite heure. Elle s’achève sur un Lied, Das himmliche Leben (« La vie céleste ») issu du recueil de poésie du Knabenwunderhorn que Mahler mettra plus d’une fois en musique. Il recommande au soprano solo « une expression joyeuse et enfantine »!

La soprano Elsa Benoit chante la réduction de Michael Jarrell de la Symphonie n°4 de Mahler, septembre 24 Photo Ensemble Intercontemporain.

Quatre mouvements

Pierre Bleuse dirige l’EIC dans deux commandes de Michael Jarrell, 0924 Photo Ensemble Intercontemporain.

Délibéré. Sans hâte. Très à l’aise, est-il noté dans un premier mouvement où apparaît, plus en relief encore dans la transparence de l’orchestration, l’originalité de l’écriture, la versatilité des thèmes et le jaillissement coloré (clochettes en sus) d’une gaîté « irraisonnée et déraisonnable » .

L’orchestration de Jarrell imprime une image haute en couleurs où les vents sonnent parfois un peu fort mais sans effacer la présence particulièrement active des cordes et les relais de timbres savants du fait de son écriture.

Avec un premier violon désaccordé et l’effet grinçant de son timbre en surimpression, le deuxième mouvement est particulièrement réussi, gorgé de trouvailles pour restituer les accents cinglants de ce scherzo ironique.

L’EIC en répétition de la réduction de Michael Jarrell de la Symphonie n°’ de Mahler, 0924 Photo Ensemble Intercontemporain.

Conçu par Mahler dans un esprit chambriste, le troisième mouvement sous le geste de Pierre Bleuse fait merveille, donnant leur pleine mesure aux couleurs du Viennois : le hautbois de Philippe Grosvogel, la harpe de Valeria Kafelnikov, le lyrisme des cordes dont le moelleux des textures opère, la profondeur de la polyphonie et les climax sonores dont la percussion magnifie l’ampleur. Mahler tenait ce mouvement lent pour un des plus beaux qu’il ait écrit ; il confine ce soir à l’émotion la plus pure. La soprano Elsa Benoit (remplaçant la très regrettée Jodie Devos à qui le concert est dédié) s’installe en hauteur, derrière les cordes pour le Lied final :

« Nous goûtons les joies célestes / Détournés des choses terrestres ».

Il fait apprécier le timbre généreux de la chanteuse même si elle se laisse un rien débordée par les vents dans le grave de sa tessiture. Les contrastes s’accusent entre le refrain extatique et les itérations piaffantes des bois et des grelots, un rien agressives peut-être sous le geste énergétique du chef.

À Michael Jarrell le soin d’achever le quatrième mouvement en entretenant la résonance avec une longue tenue de l’unique contrebasse (étonnant Nicolas Crosse) créant l’illusion d’un son amplifié!

Michele Tosi

Pour suivre l’EIC

Le site de l’ Ensemble Intercontemporain : Créé par Pierre Boulez en 1976, l’EIC se consacre à la musique du XXe siècle à aujourd’hui.
Les 31 musiciens solistes qui le composent sont placés sous la direction du chef d’orchestre français Pierre Bleuse depuis deux saisons. Unis par une même passion pour la création, ils participent à l’exploration de nouveaux territoires musicaux aux côtés des compositeurs et compositrices, à qui des commandes de nouvelles œuvres sont passées chaque année.
L’EIC développe également des projets intégrant les nouvelles technologies (informatique musicale, multimédia, techniques de spatialisation, etc.) pour certains en collaboration avec l’Ircam (Institut de Recherche et Coordination Acoustique/Musique).

Nous jouerons Boulez, intensément, intensivement et passionnément — mais pas uniquement, puisque nous avons voulu ces célébrations à son image : nous présenterons donc ses sources d’inspiration (Debussy, la Seconde École de Vienne) sans jamais perdre de vue l’avenir, en mettant son œuvre en perspective avec celles de compositeurs et compositrices des générations actuelles.
Pierre Bleuse, directeur musical de l’EIC, présentant de la saison 24-25

Concert Michael Jarrell du 9 septembre 2024 a été enregistré et sera diffusé le 9 octobre sur les ondes de France Musique :

  • Reflections II, concerto pour piano et ensemble (CM)
  • Gustav Mahler/Michael Jarrell : Symphonie n°4, version pour soprano et ensemble (CM). Elsa Benoit, soprano ; Hidéki Nagano, piano

Tous les concerts de la saison 24-25, marquée par les nombreuses célébrations de l’anniversaire du centenaire de la naissance de Pierre Boulez

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