Culture

L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux (MAD Paris - Gallimard)

Auteur : Patrice Gree
Article publié le 18 février 2025

Faut-il sauver l’intime ? Des écrans bruyants qui nous « mondialisent » à la chambre silencieuse qui nous protège, du selfie narcissique aux drones épieurs… l’intime caché, exposé, volé, est décortiqué comme une noix dans toutes ses expressions artistiques au MAD Paris jusqu’au 25 mars 2025.
Cette ‘exposition‘ au sens propre de notre ambivalence contemporaine à l’intime bouscule les exigences de nos narratifs, entre liberté et protection et pose pour Patrice Gree plus de questions intimes qu’elle n’en résout! Même si le magnifique catalogue Gallimard explore en profondeur toutes les nuances de l’intime.

Jean-Honoré Fragonard, Le verrou, vers 1777 Paris, musée du Louvre L’intime (MAD Paris) Photo Patrice Gree

Une conquête du moi sur l’emprise du collectif

Qu’est-ce qui ne nous regarde pas ! C’est donc en voyeur déculpabilisé que je parcours l’espace consacré au caché…
Du bidet à la chaise percée, des baignoires aux coiffeuses, des lits clos aux banquettes cocons, des livres cochons aux sex-toys rigolos, des bibliothèques de l’enfer pour adultes aux journaux intimes de jeunes filles, du nu provençal de Willy Ronis à la femme assise au bord d’une baignoire de Degas, …l’enjeu est autant une affaire de regard de soi que des limites aux regards des autres

František Kupka, Le Rouge à lèvres, 1908
Paris, Centre Pompidou L’intime (MAD Paris) Photo Patrice Gree

L’ambivalence Intime/Extime

Mais le grand mérite de cette expo de près de 470 œuvres mêlant beaux-arts, arts décoratifs et design est de fouiller l’ambivalence de notre relation contemporaine à l’intime.
Cette exposition de l’histoire de nos données personnelles – de la toilette aux datas profileuses – vaut presque plus pour les questions qu’elle nous pose, que pour les objets avec tout le respect qu’on leur doit…qu’elle expose !

Sigmund Freud photo Meister Drucke

Un bémol, cependant. Un bémol en forme d’oubli… Rien sur Freud !

Hors s’il y a un lieu où l’intime peut en toute liberté, en toute vérité, se dire, le miroir s’explorer, le moi oser courageusement se regarder droit dans les yeux…c’est le cabinet du psychanalyste. Bien plus que dans mon cabinet de toilette, j’y ai passé des années totalement à poil !

Au fond c’est quoi l’intime ?

D’abord un lieu ? Un lieu clos, une chambre, un endroit à nous, où solitaire nous nous protégeons des agressions du monde ? Un silence tranquille dans le brouhaha de nos conflits internes ?
Mais l’intimité s’éprouve lors d’une rencontre avec l’autre.

Mathieu Pernot, Les Migrants, série « Les Migrants » 2009 (éd. 3/5 + 2 EA)
Paris, musée d’Art Contemporain
– Paris Collections – L’intime (MAD Paris) Photo Patrice Gree

C’est dans la solitude que l’intime germe, mais c’est dans la rencontre qu’il fleurit…

Qu’y a-t-il de plus apaisant, qu’une parole prisonnière, tenue secrète, qui se délivre de ses liens dans une confidence intime, entendue et acceptée par l’amie aimée ? Autant l’intimité avec soi est nécessaire, indispensable, autant son partage avec l’autre est libérateur et délicieux. L’intimité partagée, c’est le règne de la confiance accordée.

L’intime, c’est le lieu de la vérité, et non des apparences.

Paul Delvaux, La Fenêtre, 1936, Bruxelles, musée d’Ixelles – L’intime MAD Paris) photo OOlgan

L’intimité exposée sur les réseaux sociaux n’est que posture normalisée.
Dis donc, toi, tu ne passes pas ta vie à la raconter sur FB ?
Oui…mais moi, ce n’est pas pareil !

Patrice Gree

Pour aller plus loin dans l’intime

 

L’intime, de la chambre aux réseaux sociaux 

Jusqu’au 23 mars MAD Paris

Catalogue, sous la direction de Christine Macel, éditions Gallimard. Longtemps conquête et libération de l’emprise du collectif : qu’est devenu l’intime à l’heure de la surveillance généralisée et de l’exposition permanente de nos vies et datas sur les réseaux sociaux !
D’une liberté salvatrice conquise grâce à la chambre, le lit individuel, le cabinet de toilettes et la baignoire, sommes-nous passer à une «  tyrannie », dans une société trop narcissique qui oublie la chose publique ? A travers 1000 nuances, une redéfinition de l’intime est une dynamique (plus qu’un « progrès » que le catalogue documente), pour mieux la préserver dans sa précarité.

Il faudra à la fois sauver l’intime, lorsque la vie privée s’avère de plus en plus fragilisée, mais aussi réhabiliter l’homme public en ne cédant pas aux injonctions de l’intime, qui affaiblissent les sociabilités et l’engagement envers la res publica. En attendant, la chambre a de beaux jours devant elle puisque, comme le rappelait déjà Georges Perec, on passe plus d’un tiers de sa vie dans un lit.
Christine Macel, commissaire, Les objets de l’intime, catalogue

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