Voyages

Notre-Dame de Paris / sanctuaires d’Ise Jingu : éphémérité et perpétuelle renaissance

Auteur : Thierry Joly
Article publié le 17 avril 2019 à 14 h 27 min – Mis à jour le 23 avril 2019 à 12 h 15 min

Le drame de la quasi-destruction de Notre-Dame de Paris, le 15 avril 2019, nous ramène à l’éphémérité de la vie et à l’impermanence de ce qui la constitue. Dans les grands sanctuaires shinto d’Ise Jingu, les plus vénérés du Japon, la destruction/reconstruction des temples sont un chemin de spiritualité. Voici un article de Thierry Joly, hélas décédé depuis, que nous vous rediffusons dans l’attente de la reconstruction de la cathédrale de Paris… 

 

Qu’elle que soit leur confession, rares sont les Japonais à ne pas faire au moins une fois dans leur vie le voyage jusqu’à Ise. A une centaine de kilomètres de Nagoya, de Kyoto et d’Osaka, cette ville de la péninsule de Kii abrite en effet le sanctuaire shinto le plus sacré du pays, Ise Jingu, qui se compose en réalité de deux complexes distants de 6 km. L’un, le Naikû, dit sanctuaire intérieur dédié à la déesse du Soleil Amaterasu Omikami, l’une des figures majeures du panthéon shinto. L’autre, le Gekû, ou sanctuaire extérieur, dédié à la déesse de l’agriculture, des récoltes, de la nourriture et de la sériciculture Toyouke Omikami. Tous les deux sont nichés au milieu de parcs de plusieurs dizaines d’hectares dont les majestueux cèdres et cyprès pluri-centenaires tutoient le ciel. Sous leurs frondaisons sont disséminés des dizaines d’autres sanctuaires plus petits dédiés à des divinités de rang inférieur.

Ultime partie du Naikû

Ultime partie du Naikû ou sanctuaire intérieur accessible aux pèlerins. Photo © Thierry Joly

En tête-à-tête avec les kami

Un environnement emprunt de sérénité semble spécialement créé pour ressentir le souffle, l’esprit des kami, les divinités shinto qui habitent toutes choses et se manifestent en premier lieu dans la nature.
Mais l’aura des sanctuaires majeurs dépasse le simple cadre du shintoïsme, mélange d’animisme et de culte des Ancêtres qui est vu par certains plus comme une philosophie de vie qu’une doctrine religieuse. Si les Japonais s’y pressent c’est parce qu’ils renvoient à la création mythologique du Japon et aux origines de la famille impériale. Selon la croyance, le Naikû recèle le Yata-no-kagami, miroir que la déesse Amaterasu aurait donné à son petit-fils Ninigi avec la culture du riz et la bénédiction de l’Archipel lorsqu’il descendit du Ciel pour régner sur Terre et d’après la chronologie officielle il est l’arrière grand-père du premier empereur humain connu, Jimmu.

Parc et sanctuaires entourant le Gekû
Parc et sanctuaires entourant le Gekû ou sanctuaire extérieur Ise Gekû. Photo Thierry Joly

Inaccessibles au commun des mortels

Mais n’espérez pas voir cet objet mythique ni même les deux sanctuaires. Ils sont inaccessibles au commun des mortels. Seuls ont le droit d’y pénétrer et de les voir les membres de la famille impériale et les plus hauts dignitaires shinto. Jusqu’à l’ère Meiji, le clergé bouddhiste était même persona non grata dans les parcs les environnant.
Respectivement fondés au Ier siècle av JC et au Ve siècle, avant l’arrivée du Bouddhisme et de ses canons artistiques, ils ont une architecture de style shinmei-zukuri inspirée des greniers à riz surélevés de l’ère Yayoi. Entourés de hautes palissades en bois, ils ne dévoilent aux profanes que leurs toits en pignon recouverts de chaume dont les poutres se prolongent pour former un « V ». Et ne vous avisez pas de vous agripper à cette palissade pour tenter de regarder par dessus, ce que les gardes, les prêtres et même les fidèles vous empêcheraient sans doute de faire.

Ultime partie du Gekû

Ultime partie du Gekû ou sanctuaire extérieur accessible aux pèlerins. Photo © Thierry Joly

Architecture d’une austère beauté

En 1889, le vicomte Mori Arinori alors Ministre de l’Education fut assassiné par un dévot pour avoir soulevé avec sa badine la tenture qui servait alors de porte pour accéder à sa dernière enceinte !!!!
Comme ceux qui les entourent, ces sanctuaires sont entièrement faits de bois de cyprès japonais appelé hinoki et leur architecture épurée n’est rehaussée par aucune peinture, aucune décoration si ce n’est des gohei, bandes de papier blanc plié en forme d’éclair qui sont des offrandes aux kami. Voilà peut-être l’une des raisons expliquant le nombre relativement peu élevé de touristes étrangers qui s’y rendent car il n’y a pas de photos spectaculaires ou de selfies glamour à en ramener. On va à Ise pour s’imprégner de la spiritualité du lieu, jouir de l’harmonie entre les sanctuaires et la nature, se rapprocher des kami, par exemple en apposant ses mains sur les arbres comme le font certains pèlerins.

Impermanence des choses

De plus, n’imaginez pas découvrir des édifices patinés par le temps malgré leur histoire millénaire. La tradition veut qu’ils soient reconstruits périodiquement tout comme quatorze plus petits édifices ainsi que le pont symbolisant le passage entre les mondes profane et sacré qui donne accès au parc du Naikû. Initié en 690, ce rituel, appelé Shikinen Sengu, eut d’abord une fréquence irrégulière et depuis le XVIIe siècle intervient tous les vingt ans. Sauf cas de force majeure tels que troubles civils ou guerres. Pour certains, il aurait pour origine un tabou du culte shinto lié à la pureté qui voulait qu’à la mort de l’empereur sa résidence devait être détruite et reconstruite dans un autre lieu. Pour d’autres, il participerait de la croyance shintô à l’impermanence des choses et au renouvellement de la nature. Mais il a aussi une fonction pratique en permettant la transmission du savoir-faire ancestral des artisans.

Rivière délimitant le parc du Naikû

Rivière délimitant le parc du Naikû ou sanctuaire intérieur. Photo © Thierry Joly

Reconstruction codifiée à l’extrême

Immuable, la procédure obéit à des règles et des consignes de reconstruction compilées dans un ensemble de textes transmis depuis le Xe siècle. Le nouvel édifice est bâti à côté de l’ancien, à un emplacement réservé à cet effet, selon les techniques en vigueur lors de sa construction originelle, sans clou, uniquement avec des chevilles de bois. Avec en accompagnement diverses cérémonies, en particulier à l’occasion du transport des énormes troncs d’arbres qui serviront de piliers à la nouvelle demeure des déesses. Une fois le nouveau sanctuaire achevé, il est laissé du temps aux esprits pour qu’ils y déménagent. Ceci fait l’ancien est démembré, le bois offert à d’autres sanctuaires shinto qui le réutilisent, travaillé et vendu aux pèlerins ou tout simplement détruit. Une tradition unique au monde dont la 63e édition aura lieu en 2033.

Les Rochers Mariés

D’Ise, allez jusqu’au littoral voisin où se trouve un autre site intimement lié à la mythologie japonaise, qui plus est très photogénique. Meoto Iwa ou les Rochers Mariés, deux rochers émergeant des flots à quelques mètres du rivage. Reliés par une corde tressée avec de la paille de riz censée éloigner les mauvais esprits, ils symbolisent, pour le plus grand Izanagi et pour l’autre Izanami, divinités masculine et féminine créateurs du Japon et du panthéon shinto. Que le sanctuaire voisin soit en partie dédié au mariage et au bonheur conjugal n’a donc rien de surprenant et il est fréquent d’y voir de jeunes femmes venir y invoquer les kami pour trouver l’âme sœur.

Rochers Mariés

Rochers Mariés. Photo © Thierry Joly

Informations pratiques et lectures, pour aller au-delà…

– Comment s’y rendre

  • Train depuis Osaka, Kyoto et Nagoya
  • Bus entre les sanctuaires et Meoto Iwa

– Séjourner à Ise

– Comment s’y rendre

  • Train depuis Osaka, Kyoto et Nagoya
  • Bus entre les sanctuaires et Meoto Iwa

– Séjourner à Ise

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