Culture
Orphée aux Enfers, par Emmanuel Ménard et Pierre Boudeville, met le feu à Oya Kephale
Toujours aussi jubilatoire, cet esprit d’Offenbach saisit – au sens propre et figuré- par Oya Kephale ! Et plutôt décomplexé malgré les contraintes d’une troupe amateur. Sur scène elle est dopée par les trouvailles d’Emmanuel Ménard et aiguillonnée de la fosse par le chef de Pierre Boudeville. Après Les Brigands, et Madame Favart, leur Orphée aux Enfers au Théâtre Armande Béjart d’Asnières-sur-Seine jusqu’au 29 mars 2025 cristallise une dynamique de fête et de fraternité qui porte l’association depuis 30 saisons.
Du plaisir à partager mais avec un petit truc en plus, celle de participer à la dynamique de faire bien mais aussi du bien en soutenant deux associations Jeunesse Saint-Vincent de Paul et A Fond la Vie.
Pousser les feux des curseurs du burlesque

Orphèe aux enfers, d’Offenbach, par Pierre Boudeville et Emmanuel Menard, Oya Kephale photo Olivier Lauriot dit Prevost
Pour un metteur en scène un tant soi peu imaginatif, Orphée aux enfers offre un puissant tremplin, pour dépasser les limites qu’Offenbach s’est donné comme règle de dépasser. Surtout si comme Emmanuel Menard, vous êtes baigné dans cet esprit depuis trois années et trois productions.
Autant dire qu’il connait son Offenbach sur les bouts des doigts. Le metteur en scène nous avait prévenu dans son interview en pleine préparation : il allait « pousser les curseurs du burlesque, parfois jusqu’à une esthétique de cartoon ».
Spoiler. La promesse de l’ironie du cartoon est tenue ! et l’on sourit souvent de ses transpositions qui confirment que la critique sociale visant les affres politiques du Second Empire semble avoir été aussi écrit pour le 21e siècle.
Une version musicale hybride

Orphèe aux enfers, d’Offenbach, mis en scène par Emmanuel Menard, collectif Oya Kephale photo OOlgan
L’originalité pour les mélomanes commence par la fusion opérée pour la bonne cause par le chef Pierre Boudeville du meilleur des deux versions qu’Offenbach à écrite : l’opéra bouffe en deux actes et quatre tableaux de 1858, âprement discutée pour desserrer les contraintes légales de l’époque et « l’opéra féérie » en quatre actes de 1874.
De la première, l’orchestration restreinte est parfaite pour la fosse du Théâtre Armande-Béjart, et sonne comme jamais !

Orphèe aux enfers, en l’occurence une discothèque photo Olivier Lauriot dit Prevost
De la seconde, pour mettre en valeur la troupe, et ses chanteurs solistes, quelques pépites parfois rarement donnés sont rèvélées. Sont ainsi inclus : des chœurs (prologue, Ronde des bourdons), des couplets avec de petits rôles (couplet des métamorphoses, Septuor du Tribunal des Enfers) ainsi que des airs bien entendus iconiques : le rondo Saltarelle de Mercure le couplet des baisers de Cupidon, l’air en prose de Pluton, la scène du Tribunal des Enfers ou encore l’intégralité des interventions des « policemen », sbires de Pluton, dont on vous laisse découvrir l’accoutrement!
Indice, l’Enfer ressemble ici à une Boîte de Nuit disco!
Un transcription temporelle débridée

Orphèe aux enfers, d’Offenbach, mis en scène par Emmanuel Menard, collectif Oya Kephale photo OOlgan
Ce qui fait la modernité d’Offenbach depuis deux décénnies, c’est la façon dont ses charges au « Galop Infernal » (politiques et sociales) sont transposées.
Avec le partis pris de Ménard, vous ne serez déçus. Il décoiffe à chaque tableau! Il réussit à se démarquer de Laurent Pelly et des parodies faciles ou paresseuses pour multiplier les inventions topographiques (aller en Enfer ou retourner au Ciel, c’est simple comme prendre un ascenseur!), visuelles et scéniques… Nous ne voudrions pas toutes les révéler pour vous laisser le plaisir de la surprise et du sourire.
Nouvelle indice. l’apparence et les médias façonnant la réputation sont omniprésents…
Des figures mythologique d’hier et d’aujourd’hui

Orphèe aux enfers, d’Offenbach, mis en scène par Emmanuel Menard, collectif Oya Kephale photo OOlgan
Pour tenter d’en donner le ton, sans trop spolier, sachez que la fidélité à l’esprit du livret de Cremieux et Halevy qu’Emmanuel Menard nous avait annoncés est largement tenue: à savoir s’attaquer aux figures de la mythologie. Par le jeu d’un simple ascenseur, à la fois issue et destin, les hiérarchies, hommes-dieux ou au sein de l’Olympe, deviennent ici des hiérarchies sociales qui sont croquées à pleines dents et à plein chant.
Si très vite le prologue se débarrasse des oripeaux des héros antiques – tuniques, sandales et autres couronnes – antiques … pour ne garder que leurs caractères, les instincts les plus basiques déguisés sous la puissance du statut social. Dans un rythme intrépide malgré les quatre actes, le metteur en scène nous plonge dans la modernité plutôt mordante des travers d’une classe dirigeante actuelle ayant un rapport à l’ Opinion publique pour le moins complexe par euphémisme!
Des mythos pas très logiques à la moulinette

Orphèe aux enfers, d’Offenbach, Pluton, patron des Enfers et … de boîte de nuit, Oya Kephale photo Olivier Lauriot dit Prevost
Pour vous donner du grain à moudre, Emmanuel Menard donne quelques clés avec ce ton décalé qui le caractèrise dans le programme :
« Jupiter est un PDG libidineux dont #MeToo sonne le glas, Pluton est un patron de discothèque, un rimailleur rêvant à un panthéon artistique aussi vainement qu’un publicitaire cocaïnomane postulant à l’Académie Française (Toute allusion à un auteur en vogue cachetonnant au Figaro Magazine est bien sur fortuite, c’est moi qui rajoute); Orphée, une musicienne narcissique fabriquée de par l’Opinion Publique, elle-même l’incarnation autosatisfaite de la presse people ; quand à Eurydice, elle se réincarne en une groupie prête à tout pour vivre les paillettes de Gala ! »
Autre indice. Nos (tristes) héros plus mythos que logiques ne sont pas seulement piégés par leur fatalité, mais plutôt par leur ego souvent trop large dans un espace sur lequel ils se cassent les dents !

Orphèe aux enfers, d’Offenbach, le choeur Oya Kephale mis en scène par Emmanuel Menard, photo OOlgan
Du rythme toujours, et encore

Orphèe aux enfers, d’Offenbach, le choeur Oya Kephale animé par Emmanuel Menard, photo Olivier Lauriot dit Prevost
Après trois opérettes sous la direction du duo Boudeville/Menard, plusieurs qualités du Collectif Oya Kephale sautent aux yeux et aux oreilles: une quête d’excellence sur tous les plans d’ensemble comme sur les détails, la solidarité d’une troupe de bénévoles qui prennent en charge la régie, l’esprit de fête qui se propage sur scène, dans la fosse et au public, enfin cette dynamique de partage qui entraine tout devant elle. Elle parvient à gommer les quelques faiblesses inhérentes à l’ascension de tels sommets lyriques qu’ils gravissent haut les chœurs.,
Ce qui fait la marque de fabrique du collectif, sont ces mouvements chorégraphiés du chœur qui chante tout en dansant, en embarquant tout sur leur passage, la jubilation communicative de la musique collective et notre admiration. Autant dire qu’avec le mythique quadrille infernal la salle et la scène sortent le sourire aux lèvres !
Bravo les artistes pour votre engagement. Si vous aimez la modernité et le rire déployé d’ Offenbach, foncez! Vous vous ferez du bien et le bien en soutenant l’Association Jeunesse Saint-Vincent de Paul.

Orphèe aux enfers, d’Offenbach, ou le quadrille infernal dirigé par Pierre Boudeville photo OOlgan
Chapeau bas les Oya Kephale, et très bon aniversaire !
Auteur de l'article

Pour suivre la troupe d’Oya Kephale
du 21 au 29 mars 2025, Orphée aux Enfers, Théâtre Armande Béjart d’Asnières-sur-Seine, 16 place de l’Hôtel de Ville, 92600 Asnières-sur-Seine
Direction musicale : Pierre Boudeville – Mise en scène : Emmanuel Ménard
Solistes
- Eurydice : Alice Marzuola
- Aristée/Pluton : Thierry Mallet
- Jupiter : Franz Lavrut
- Orphée : Thibaud Mercier
- L’Opinion publique : Ruben Bissoli
- Cupidon : Béatrice Beaupère
- John Styx : Théo Le Masson
- Mercure : Pierre-Guy Plamondon
- Diane : Cécile Dargein
- Vénus : Solenne de Carné
- Junon : Laetitia Beau
- Minerve : Myriam Baconin
- Cybèle : Gwénaëlle Boca
- Pomone : Faïrouz Feddal
- Flore : Marie-Cécile De Lajudie
- Cérès : Blandine Jenner
- Mars : Frédéric Therisod
- Minos : Aël Guégan
- Eaque : Xavier Lacaze
- Rhadamente : Xavier Perrin
- Violons solos : Alexandre Chaminas et Carole Villain
Tout sur le projet de l’orchestre et chœur amateur Oya Kephale
Pour en voir plus sur la préparation du spectacle, la chaîne youtube de Oya Kephele
en soutien de deux associations Jeunesse Saint-Vincent de Paul et A Fond la Vie
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