Culture

Pierre Dac, Le parti d’en rire (mahJ - Gallimard)

Auteur : Robert Mauss
Article publié le 3 aout 2023

Ce maitre de l’humour, tellement français, tellement juif, a durablement marqué la culture française du xxe siècle. La force de l’exposition « Pierre Dac, Le parti d’en rire » du mahj jusqu’au 27 aout  est d’éclairer la créativité musicale et littéraire d’un comique multimédia (du cabaret à la télévision), sa dynamique burlesque avec ses compagnons de route : Francis Blanche, Jean Yanne et René Goscinny. Mais surtout de l’intégrer aux maîtres de l’absurde (Beckett, Ionesco, Dubillard…). Robert Mauss salue cette initiative pétillante de rires qui démontre que l’histoire juive n’est pas toujours tragique.

L’humour se décline de tant de manières.

Pierre Dac, avant-guerre au micro de Radio Cité (Le parti d’en rire, mahJ) Photo DR

Nous connaissons l’humour anglais élégant et dérisoire, l’humour noir qui fait grince les dents, la satire qui joue sur l’imitation, la moquerie et la raillerie qui peuvent humilier ceux dont ils sont l’objet. Il existe aussi le comique de répétition qui se passe d’explication. Le burlesque fait rire en forçant les traits autant que possible. Les auteurs de théâtre, Molière en tête apprécient les situations de quiproquo. Il y a les jeux de mots, les situations ridicules et grotesques ou l’humour jaune qui fait grincer les dents.

Et puis il y a l’humour juif

Celui dont l’historien Pascal Ory affirme qu’il faudrait une vie pour le définir. Sans prendre autant de temps, risquons-nous à l’expliquer. Cet humour  se caractérise par une capacité invraisemblable à l’autodérision. Jamais de méchanceté, jamais de blague sur un physique ou un handicap. Par contre une joie réelle à se dépeindre de manière caricaturale, à amplifier les écarts de langage pour magnifier les situations ubuesques. Et pour conclure, affirmons sans crainte l’influence du texte religieux qui prohibe de manière absolue la médisance, la critique vicieuse et la méchanceté à l’égard d’autrui.

Juif ou pas, chacun peut s’y retrouver.
Voilà pourquoi l’humour juif est somme toute parfaitement universel.  

Le patriote et résistant

Le maitre du genre s’appelait Pierre Dac (1893-1975). Lui et son compère Francis Blanche ont fait pleurer de rire la France entière pendant trente années, du sortir de la guerre au décès de l’artiste en 1975.

L’équipe des  »Français parlent aux Français » à Radio Londres reconstituée
pour une émission de radio en 1953. Photo DR

Il était juste que le mahJ (Musée d’Art et d’Histoire du Judaïsme) à Paris rende hommage à ce maitre de l’humour, tellement français, tellement juif. Tellement inventif et stupéfiant.

Pierre Dac, de son vrai nom André Isaac, né en 1893, était l’un de ces juifs de Lorraine dont la famille avait choisi la France après 1870., Pierre Dac paiera chèrement ce patriotisme chevillé au corps. Au cours de la Grande Guerre, il est blessé gravement au front par un éclat d’obus. Handicapé d’un bras, il ne pourra jamais devenir violoniste. Ensuite en perdant son frère ainé Marcel, fauché à 28 ans le 8 octobre 1915 au cours de la bataille de Champagne.

Ce frère que Pierre invoquera plus tard lors d’une de ses chroniques fameuses sur Radio Londres pour remettre à sa place le propagandiste collaborateur Philippe Henriot. « La France qu’est-ce que cela peut bien signifier pour ce juif ? »  demandait sur Radio Paris ce laquais du national-socialisme. Allez donc vous promener au cimetière du Montparnasse, répliqua Pierre Dac et « sur la simple pierre, sous ses nom, prénom et le numéro de son régiment, on lit cette simple inscription: “Mort pour la France à l’âge de 28 ans”. »

A la place du violon, un micro

Pourtant rien ne prédisposait ce fils de commerçant à devenir une gloire de la Résistance. Ce mauvais élève, renvoyé de l’école ne rêvait que de théâtre, de musique et de music-hall. Empêché de pratiquer le violon, André Isaac devient Pierre Dac en entamant une carrière de chansonnier dès la fin de la Der des Ders. L’exposition du MAHJ a su mobiliser les photos de l’époque et les affiches des théâtres et des cabarets où se produisait l’artiste. Elle nous rappelle que Dac fit ses débuts à la radio en 1935 sur Radio Cité à l’époque propriété du publicitaire Marcel Bleustein-Blanchet, fondateur de Publicis. Ses émissions ‘’La course au trésor’’ et ‘’La Société des Loufoques’ rencontrent un succès immédiat. Pour la radio, Pierre Dac adopte ce ton grave et monocorde qu’il adoptera jusqu’à ses tout derniers spectacles.

La radio restera malgré la télévision le média de prédilection de l’humoriste.

Avec son compère l’acteur Francis Blanche, de trente ans son cadet, ils feront pleurer de rire la France entière à l’heure du déjeuner avec le feuilleton culte ‘’Signé Furax’’. D’abord sur la RTF puis sur Europe N°1. En tout 1 034 émissions rédigées chaque semaine au domicile de Pierre Dac, avenue Junot à Paris, par les deux compères. Les deux complices commettront d’autres feuilletons restés fameux comme ‘’Mort aux Barbus’’ ou ‘’Bons baisers de partout’’ en référence à James Bond. Pour le reste, il faut courir au mahj découvrir les exploits de l’artiste.

L’école Pierre Dac

Pierre Dac est mort en 1975, une petite année seulement après son ami Blanche. Son impact est immense sur la scène tricolore. Des artistes aussi fameux que Darry Cowl, Maurice Bidault, Raymond Devos ou Pierre Desprosges (et bien d’autres) ont toujours affirmé leur reconnaissance. Jean Yanne ou René Goscigny ont voulu ressusciter ‘’L’Os à Moelle’’ le journal humoristique créé par Pierre Dac en 1938, fermé en 1940 après 109 numéros. L’affaire n’a pas rencontré le succès, mais les deux en feront d’autres.
Mais finalement, de toutes les gloires de la scène française influencées par Pierre Dac, Coluche mérite à coup sur le titre de fils spirituel du roi des loufoques. Avant Coluche, Pierre Dac avait créé une ‘’organisation politique’’  le MOU ou Mouvement Ondulatoire Unifié. Si par bonheur Pierre Dac avait conquis la présidence, il aurait nommé au gouvernement Jacques Martin, Jean Yanne et René Goscigny. Pas de quoi lutter contre le chômage et l’inflation, mais surement assez pour se lever le matin avec le sourire.

Pierre Dac (et Francis Blanche) n’en n’était d’ailleurs pas à son coup d’essai : il avait déjà fondé le Parti d’en Rire dont l’hymne reste un tube pour les amoureux des absurdités. Dac avait même l’intention de se présenter aux élections présidentielles de 1965.  Autre leg essentiel, devinez qui est l’inventeur du mot ‘’Schmilblick’’ ? Pierre Dac bien sûr ! Qui en donnait la définition suivante :’’le Schmilblick ne sert à rien et peut donc servir à tout.’’

Merci à l’animateur Guy Lux d’en avoir fait un jeu de télévision.
Merci à Coluche, cet artiste sensationnel de nous avoir fait pleurer de rire avec sa parodie extraordinaire.

Merci Pierre Dac. Et merci au mahJ de démontrer que l’histoire juive n’est pas toujours tragique.

#Robert Mauss

Pour aller plus loin avec Pierre Dac

Jusqu’au 27 août 2023, mahJ (Musée d’art et d’histoire du Judaïsme), Hôtel de Saint-Aignan, 71 rue du Temple, 75003 Paris
Mardi, jeudi, vendredi : 11h-18h, Mercredi : 11h-21h, Samedi et dimanche : 10h-19h

Catalogue, sous la direction de Anne Hélène Hoog  et Jacques Pessis, Coédition mahJ – Gallimard, 192 p. 29€

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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