Culture

Pour la 30e saison d’Oya Kephale, Emmanuel Ménard met en scène Orphée aux Enfers d’Offenbach

Publié par Olivier Olgan le 14 mars 2025
Déjà 30 saisons de l’orchestre et chœur amateur Oya Kephale qui associe excellence musicale et philanthropie ! Pour son opérette annuelle, le collectif rempile avec l’ euphorie communicative, teintée d’ironie délurée d’Offenbach.
Après Les Brigands, et Madame Favart, Emmanuel Ménard met en scène Orphée aux Enfers, véritable pépite explosive des conventions sous la direction musicale de Pierre Boudeville au Théâtre Armande Béjart d’Asnières-sur-Seine du 21 au 29 mars 2025.  Il nous confie ce que représente son engagement pour un collectif d’amateurs passionnés autant musicalement que sociétalement : une partie des bénéfices étant reversée à l’Association Jeunesse Saint-Vincent de Paul.

Emmanuel Ménard, metteur en scène d’Orphée aux Enfers spectacle de la 30e saison d’Oya Kephele photos MeS

Vous êtes dans la 3e production lyrique d’Oya Kephale, que représente le 30e anniversaire de cette formation ?

Emmanuel Ménard. C’est l’illustration très réjouissante de la pérennité du concept Oya Kephale. Celui d’associer le plaisir de produire de la musique et du spectacle avec celui de soutenir des initiatives humanistes, fondées sur le partage, l’entraide, la solidarité, l’attention aux autres. Toutes choses qui, en ce moment, ne vont pas de soi et méritent d’être réaffirmées, tant sont mises à mal aussi bien la culture que la fraternité censée pourtant être un des piliers de notre contrat social.

Quels ont été vos partis pris pour Orphée aux Enfers (avez vous des mises en scène de références) ?

Pierre Boudeville, chef de l’orchestre Oya Kephale Crédit Hélène Ramé

Quand on met en scène une œuvre aussi connue et iconique qu’Orphée aux Enfers, l’objectif est d’abord de surprendre le spectateur, de lui faire oublier pendant deux heures qu’il connaît déjà l’opérette à laquelle il est en train d’assister et de la lui faire en quelque sorte re-découvrir.

Nous sommes aidés ici par le choix de Pierre Boudeville fait d’inclure dans notre version des numéros qui sont très rarement donnés : le Prologue, la scène du Tribunal des Enfers ou encore l’intégralité des interventions des « policemen » (qui, sur la scène du Théâtre Armande Béjart, seront autre chose que des policemen…).

J’ai aussi tâché de me distancier de ce qui avait déjà été fait, et dans cette optique, le premier impératif a été d’oublier la formidable mise en scène de Laurent Pelly tant elle est dans mon esprit étroitement associée à ma perception d’Orphée aux Enfers. Il fallait donc absolument éviter de l’imiter – forcément en moins bien –, et en ce sens, je n’ai pas tant eu une mise en scène de référence qu’un contre-modèle.

Comment avez- vous rebondis sur la dimension parodique du livret d’Orphée aux Enfers ?

Filage d’Orphée aux Enfers, mars 2025 spectacle des 30 ans d’Oya Kephale photo Xavier Lacaze – Oya Kephale

II m’a paru aller de soit de pousser les curseurs du burlesque, parfois jusqu’à une esthétique de cartoon. Le duo du concerto (1er acte) en est représentatif, avec son Orphée extatique dans sa musique jusqu’au ridicule et son Eurydice piégée par la musique – mais également par l’espace – et tentant par tous les moyens d’y échapper ; de la même manière, certaines scènes peuplées des créatures sorties de l’imagination d’Aristée/Pluton ou de Cupidon peuvent s’affranchir des limites de la vraisemblance.
Enfin, les sbires de Pluton, brièvement mentionnés dans le livret, sont ici omniprésents comme personnification de la dualité clownesque / sinistre du dieu des Enfers…

Parallèlement à ce choix se posait la question de la transposition. Notre Orphée devait-il se dérouler dans l’Antiquité romaine, dans le Paris du 19ème siècle, ou encore ailleurs ?… On souligne souvent dans les œuvres d’Offenbach le côté intemporel de sa critique sociale. Dans le cas d’Orphée aux Enfers, c’est particulièrement flagrant et le livret pourrait avoir écrit au 21ème siècle : un grand patron qui abuse de son pouvoir pour devenir un serial seducteur ; une Opinion Publique tyrannique qui peut arbitrairement distribuer « palme » ou « anathème » et décider de « mettre en la misère » la victime de son choix… rien de tout ça ne semble daté, bien au contraire.

 

Filage d’Orphée aux Enfers, mars 2025 spectacle des 30 ans d’Oya Kephale photo Charles Decoux – Oya Kephale

C’est donc dans un contexte contemporain que nous retrouverons les « personnages du drame », et il est frappant de constater comme la transposition semble aller de soi (mais que se rassurent les adeptes d’Ovide, le spectacle s’autorise tout de même un petit détour par l’Antiquité !).

Nos héros mythologiques sont donc piégés, non seulement par leur fatalité, mais aussi par un espace clos, dont la seule issue est un ascenseur ne permettant que de changer d’étage, entre la Terre / le rez-de-chaussée, l’Olympe / le 40ème étage, et les Enfers / le sous-sol… Et les hiérarchies, hommes-dieux ou au sein de l’Olympe, deviennent ici des hiérarchies sociales… quant à la magie dont use Cupidon pour pousser Eurydice dans les bras de papa Jupin, elle est peut-être plus chimique que divine…

Bref, plus que jamais, les Olympiens de la mythologie nous ressemblent comme deux gouttes de « nectar ou d’ambroisie ».

Quels sont les défis pour un professionnel de travailler avec un collectif amateur ?

Filage d’Orphée aux Enfers, mars 2025 spectacle des 30 ans d’Oya Kephale photo Xavier Lacaze – Oya Kephale

La principale différence par rapport à un travail similaire avec des professionnels, c’est la durée de production. Là où un opéra se monte habituellement en un mois et demi à raison de 5 ou 6 jours de répétition par semaine, nous prenons ici 5 à 6 mois, avec un rythme hebdomadaire ou bi-hebdomadaire. Ça n’a l’air de rien, mais cela complique singulièrement les choses : la mémorisation de la mise en scène est évidemment beacoup moins évidente quand il peut s’écouler 2 à 3 semaines entre deux répétition de la même scène.
Cela nous a conduits à mettre en place un système de captations vidéo des répétitions, assorties de commentaires écrits pour préciser ou corriger ce qui a été filmé. Nos chanteurs doivent donc, en plus des séances de travail avec moi, s’imposer des séances de visionnage des vidéos et de lecture des commentaires en autonomie.

Ce système est né d’une contrainte logistique, mais il présente un énorme avantage par rapport à des répétitions plus classiques telles qu’elles se pratiquent dans le milieu professionnel, à savoir que très tôt dans la production, les chanteurs ont l’occasion de se regarder, et donc de pouvoir rectifier une corporalité, une gestuelle, un jeu de scène, plus efficacement que si ça ne se fondait que sur une demande verbale de ma part.

Filage d’Orphée aux Enfers, mars 2025 spectacle des 30 ans d’Oya Kephale photo Charles Decoux – Oya Kephale

Quelles adaptations pratiques devez-vous faire ?

Au-delà de cet aspect, travailler avec une troupe amateur implique également de savoir s’adapter aux contraintes quotidiennes et professionnelles des uns et des autres, par exemple en termes d’absence et de disponibilité. On comprend bien qu’une répétition Oya puisse parfois passer derrière un impératif familial ou un déplacement professionnel imprévu. On le comprend, mais ça ne nous simplifie pas la vie quand il faut établir, puis adapter et rectifier régulièrement un planning de travail… mais c’est la règle du jeu avec un groupe non-professionnel.

Ce qu’en revanche je souhaiterais mettre en regard de ces nécessaires adaptations, c’est l’implication et la motivation de nos chanteurs, qui n’a rien à envier à celles de productions professionnelles – au contraire, aurais-je envie de dire, quand une séance de répétition de deux ou trois heures vient s’ajouter à une journée entière de travail, et en précéder une autre le lendemain. Il faut assurément de la motivation pour supporter les lubies et les idées parfois farfelues du metteur en scène quand on a déjà dû subir celles de son chef !

Quelles valeurs y trouvez-vous ? 

Filage d’Orphée aux Enfers, mars 2025 spectacle des 30 ans d’Oya Kephale photo Xavier Lacaze – Oya Kephale

Il y a dans les troupes amateurs une envie, un appétit, qui sont très rafraichissants et stimulants. Justement parce que ce n’est pas un travail, mais un loisir (ô combien pris sérieusement, cela dit), on sent toujours un grand bonheur à chanter et à jouer tout au long de la production (bon, si je suis honnête, une légère lassitude peut parfois poindre à la dixième reprise d’une chorégraphie particulièrement complexe). On ne sent jamais autant qu’avec des amateurs, je pense, à quel point le verbe « jouer » désigne autant la discipline exigeante du comédien et l’amusement de l’enfant que nous sommes tous plus ou moins restés.

Et comme tous ces chanteurs, choristes comme plusieurs de nos solistes, ne font pas cela pour gagner leur vie, il y a une gratuité très joyeuse dans leur investissement scénique et dans leur recherche du jeu.

Quel est l’autre élément consubstantiel de cet aspect non professionnel ?

Filage d’Orphée aux Enfers, mars 2025 spectacle des 30 ans d’Oya Kephale photo Xavier Lacaze – Oya Kephale

La curiosité. Ils ne sont pas blasés, ils sont constamment dans la découverte, la surprise, l’envie d’expérimenter. Cette année, comme les deux années précédentes, une large part de la mise en scène est à porter au crédit des chanteurs eux-mêmes, de leurs trouvailles, de leurs propositions de jeu. Ils essaient, ils proposent, la grande majorité du temps avec beaucoup de pertinence et de justesse, et mon travail consiste surtout à valider les idées qui arrivent directement du plateau. Cela vient d’un travail préalable conjoint d’analyse et de caractérisation des personnages. Une fois leurs objectifs, défauts, tics définis et bien compris par les interprètes, les propositions de jeu sont presque toujours judicieuses et brillantes.

Enfin, travailler avec des amateurs, c’est (parfois, car les contre-exemples pullulent à Oya Kephale) travailler avec des gens qui n’ont pas l’habitude de la scène et/ou qui ont une certaine retenue, qui « n’osent pas y aller ». C’est le cas tous les ans, ou du moins, c’est le cas au début de tous les ans. Car à chaque fois, le même petit miracle se produit : au fur et à mesure de la production (parfois seulement à partir de la première représentation, grâce à la présence magique, presque démiurgique, du public), les verrous cèdent, les résistances lâchent…

C’est ainsi que tous les ans, je vois s’épanouir sur le plateau des personnalités qui étaient encore retenues quelques semaines ou mois plus tôt, et qui libèrent une présence scénique qui ne demandait qu’à éclater. C’est sans doute un des aspects les plus gratifiants et les plus touchants du travail que j’ai mené à Oya Kephale ces trois années.

Vous mettez en scène un troisième opéra d’Offenbach. Déjà la routine, ou d’autres perspectives ?

Filage d’Orphée aux Enfers, mars 2025 spectacle des 30 ans d’Oya Kephale photo Xavier Lacaze – Oya Kephale

Ah, je crois que dans le dictionnaire Offenbach, le mot routine n’existe pas. A fortiori quand on a la chance de travailler sur des œuvres aussi radicalement différentes que les trois opérettes que j’ai eu la chance de mettre en scène pour Oya Kephale.

Chaque année, une partie du choeur d’Oya se renouvelle, les solistes changent – même si je retrouve cette année quelques complices des Brigands de 2023 – et ne serait-ce que pour cette raison, il ne peut pas s’installer de routine. Des habitudes de travail, oui en revanche, qui s’affinent et se perfectionnent d’une année sur l’autre.

Par principe et par goût, d’une année sur l’autre, j’ai essayé de ne pas me répéter, et j’espère que cet Orphée sera aussi différent de Mme Favart que celle-ci l’était des Brigands, que ce soit dans le ton, dans l’esthétique, dans les partis-pris scéniques.

Propos receuillis le 13 mars 2025

Auteur de l'article

Pour suivre la troupe d’Oya Kephale

du 21 au 29 mars 2025, Orphée aux Enfers, Théâtre Armande Béjart d’Asnières-sur-Seine, 16 place de l’Hôtel de Ville, 92600 Asnières-sur-Seine en soutien pour l’Association Jeunesse Saint-Vincent de Paul.

Tout sur le projet de l’orchestre et chœur amateur Oya Kephale
Pour en voir plus sur la préparation du spectacle, la chaîne youtube de Oya Kephele 

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