Culture
Révélation! Art contemporain du Bénin (Conciergerie de Paris)
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 25 novembre 2024
Alors que les Trésors royaux du Bénin, restitués en 2021 par la France ont remis en valeur un patrimoine artistique méconnu, l’exposition « Révélation ! Art contemporain du Bénin » à la Conciergerie de Paris jusqu’au 5 janvier 2025 vise à montrer la vitalité de la création béninoise d’aujourd’hui avec une centaine d’œuvres de plus de 40 artistes béninois. Dans ce panorama aussi fertile qu’effervescent, Baptiste Le Guay a retenu quelques coups de cœur qui ont comme il conducteur de rapprocher la singularité d’artistes qui se frotte à la mémoire d’un puissant patrimoine culturel.
Une dynamique créative plurielle
Première surprise, le lieu historique de la Monarchie française, la Conciergerie constitue un superbe écrin à la vitalité de l’art contemporain Béninois ! Dans ce lieu de pouvoir des rois de France au Moyen-âge qui fût transformé ensuite en prison à la fin du XIVème siècle, une superbe mise en espace valorise une centaine d’œuvres de plus de 40 artistes béninois, à travers de nombreux médium et supports (peinture, sculpture, dessin, photo, vidéo et installation).
Ancrée dans ses traditions
« Il s’agit avant tout d’évoquer un Bénin universel, dans l’acception d’ ‘universel latéral’ qui met les cultures côte à côte et non pas en surplomb dont parle le philosophe sénégalais Souleymane Bachir Diagne : l’art prend certes sa source dans l’histoire, la culture et la religion des différents royaumes qui ont régné sur son territoire, mais pour mieux s’adresser à l’humanité toute entière.
commissaires
Le vodun et la culture Yoruba, qui convoquent les racines de l’histoire des peuples Fon et Yoruba, sont une des composantes du rassemblement d’artistes opéré par l’exposition mais ce ne sont pas les seules.
On trouve aussi par exemple l’évocation du peuple Bariba à Nikki avec la tenture de la Gaani d’Yves Apollinaire Pédé, le concept de « Tigritude » soulevé par le Prix Nobel de littérature nigérian Woye Solinka avec la vidéo d’Emo de Medeiros, ou encore la création de la diaspora Agouda, « ces Afro-Brésiliens descendants d’anciens négriers portugais ou d’anciens esclaves africains affranchis revenus du Brésil, avec les œuvres de Fabrice Monteiro ou Emo de Medeiros (dont les noms portugais disent bien l’appartenance à cette communauté) » explique le commissaire de l’exposition Emmanuel Daydé.
Une effervescence créative du XXIe
Il ne s’agit plus là de rendre compte d’un art traditionnel ou historique mais de révéler la création aujourd’hui et maintenant, depuis le doyen conceptuel Georges Adéagbo, premier Africain à recevoir un Grand Prix à la Biennale de Venise en 1999, jusqu’au jeune peintres Nobel Koty, qui pratique l’autoportrait sous tous ses angles (pratique rare en Afrique) « pour dire l’épaisseur tragique du corps » confie Emmanuel Daydé.
Cependant, l’autoportrait est beaucoup utilisé par l’artiste congolais Chéri Samba, exposé au MuséeMaillol grâce à la collection Pigozzi.
Le vodun, une religion développée dans l’Afrique subsaharienne
« Il faut considérer le vodun comme une pensée dynamique, organisée et pertinente, une histoire ouverte et un système mouvant de pensée »
le philosophe franco-béninois Arnaud Zohou.
Né dans le golfe de Guinée, le vodun apparaît très structuré au XVIIe siècle dans le royaume du Danxomè* avant d’être reconnu dans le calendrier de la république du Bénin comme fête nationale en 1992, puis en « Vodun Day » en 2024 par l’actuel président Patrice Talon. Cette religion originaire d’Afrique de l’Ouest s’est également exportée en Haïti suite à la traite d’esclaves, phénomène expliqué dans Zombis, la mort n’est pas une fin ? au Quai Branly.
Le vodun se manifeste par des prières, des offrandes, des sacrifices et des états de transe pour entrer en contact avec les divinités. Dans la mythologie Yoruba, Ogun contrôle le feu, le fer et la guerre, avant d’être considéré comme le parton des forgerons.
Né en 1971 à Porto Novo, Gérard Quenum s’est illustré grâce à ses poupées aux allures postapocalyptiques inspirées de la saga de science-fiction Mad Max. Il serait apparemment les derniers représentants de l’espèce humaine, tels des ombres fantomatiques. Leurs pieds et leurs mains sont éclatées, comme s’ils ne savaient pas où ils n’allaient ni ce qu’ils faisaient, sans repères.
La place des femmes dans la culture Yoruba
Sculpteur de masques, Kifouli Dossou apprend cet art tout jeune auprès de ses grands frères. Il sculpte des masques gèlèdè, appartenant à la tradition yoruba. Dans cette culture, la femme est dépositaire d’un immense pouvoir. Lorsque celui-ci n’est pas canalisé, il peut devenir néfaste et représenter un danger pour la société.
Afin de prévenir ce risque, la culture yoruba encense et célèbre la femme afin d’apaiser les rancunes qu’elle pourrait entretenir contre la société. L’artiste serait plus audacieux en allant au-delà du registre traditionnel des masques, en cherchant à donner plus d’envergure à ses personnages et aux scènes figurées comme dans le « Masque Totem ».
Ancrée dans la société d’aujourd’hui
Juriste de formation, Moufouli Bello porte un intérêt pour les questions d’identité, ce qui l’a amenée à observer les structures idéologiques de la société et la façon dont les traditions, la culture, la politique et les technologies influencent et façonnent notre identité.
Sa peinture s’intéresse à la visibilité du corps féminin noir, notamment avec la volonté de « décoloniser » notre perception et déconstruire sa condition patriarcale.
Avec Irawo, ses trois femmes, l’une debout et les deux autres assises, celle qui fut l’une des artistes représentant le Bénin à la Biennale de Venise en 2024. invite les spectateurs à témoigner de l’importance de la sororité et des communautés de femmes pour résister au capitalisme. Inspirée de la philosophie féministe yoruba, les femmes sont liées à d’autres formes de vie telle que la nature, les plantes et l’eau. Chacun de ces éléments est dotés d’un pouvoir spirituel de régénération et de force, essentielles pour transmettre des valeurs à la société.
Dans un monde confronté à des préoccupations alarmantes comme la crise climatique, les guerres et la montée du populisme, l’artiste propose de créer un espace où le retour à la terre mère est primordial.
La tradition du textile
Prince Toffa se dit descendant de Toffa, le dernier roi de Porto-Novo (1850-1908) l réalise majoritairement des œuvres d’art textile mais également des sculptures, des installations ainsi que des performances. Il fabrique des longues robes chatoyantes à partir d’objets récupérés, comme Lissa Adjakpa faite de bouchons de bouteilles en plastique ainsi que des colliers de capsules de café, cousues sur une robe existante.
Une énergie créative dans laquelle il faut plonger
Si cette vaste exposition permet de découvrir les traditions et la dynamique culturelles béninoises, il manque pour le visiteur cependant un fil conducteur pour connecter tous ces artistes entre eux, tant les récits sont nombreux. Certes, ce parti pris souligne l’effervescence et la diversité artistiques béninoises, mais rend son histoire difficile à raconter, même si des thèmes cruciaux se dégagent comme l’importance de la femme dans la culture Yoruba ou la projection d’une création appréhendée par ses traditions.
Pour aller plus loin
« Révélation ! Art contemporain du Bénin »
Jusqu’au 5 janvier 25, Musée de la Conciergerie, 2 Boulevard du Palais, Paris 1. Tarif plein de 20,5 euros et tarif réduit à 6 euros
Catalogue : Ouvrage sous la direction de Yassine Agnikè Lassissi et Emmanuel Daydé, commissaires, coédité avec le Centre des monuments nationaux, ADACE & HC éditions, 256 pages 28,50 €. Riche de ses traditions et de son inventivité, la présence des «Trésors royaux du Bénin», restitués par la France en 2021 en témoigne – ce panorama historique et subjectif présente la métamorphose des déesses et des dieux qui animent la pensée vodun, suivie de la puissance et la gloire terrestre de la reine et des rois du Danxomè
restés dans les mémoires, avant de s’intéresser aux femmes et aux hommes qui vivent et qui luttent aujourd’hui dans un monde globalisé. A travers la diversité de médiums et de supports, la vitalité de la scène artistique contemporaine du Bénin et de sa diaspora sautent aux yeux.
Partager