Culture
Sean Landers, Animal Kingdom (Musée de la Chasse & de la Nature - Lienart)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 31 février 2024
Imaginez le croisement entre Rosa Bonheur, pour la finesse psychologique des portraits d’animaux et René Magritte, pour l’humour décalé des pelages en tartan, vous avez l’univers illusionniste de Sean Landers que le Musée de la Chasse & de la nature a immergé avec subtilité dans ses salles jusqu’au 10 mars. Cet « Animal Kingdom » est à la fois bourré de références à l’histoire de l’art et complétement libre de ses allusions visuelles grâce à une peinture virtuose. Après les paysages utopiques d’Eva Jospin, les « incursions sauvages » de sept street artists, la peinture animalière y gagne pour Olivier Olgan un souffle poétique rafraichissant et offre une immersion ludique dans une nature réinventée.
La fusion de deux natures réinventées
Parmi les institutions qui tentent de renouveler le regard sur leurs collections, le Musée de la Chasse & de la nature depuis une décennie vise juste et tout azimut avec une ambition décomplexée rafraichissante. La carte blanche qu’il offre Sean Landers et son Animal Kingdom est à nouveau une véritable réussite. En n’hésitant pas à confronter « l’ostensible fausse naïveté et la fantaisie trompeuse de sa peinture figurative » pour sa directrice Christine Germain-Donnat à ses modèles inspirée de la peinture européenne – celle de l’art du portrait de la Renaissance, des natures mortes du XVIIIe et le paysage romantique du XIXe siècle, le parcours dans ses salles devient une mise en abime à la fois ludique et profonde.
Le goût de l’absurde, du trompe-l’œil et du faux-semblant domine nombre de ses œuvres tandis que Landers utilise volontiers dans ses tableaux l’écriture et le langage pour donner libre cours à ses pensées les plus intimes ou à des considérations souvent désabusées sur le monde qui nous entoure.
Christine Germain-Donnat, commissaire et directrice du Musée de la Chasse et de la nature, catalogue
L’incongruité poétique du tartan
Privilégiés pour l’exposition, quatorze toiles sur vingt-sept œuvres exposées, d’un hyperréalisme virtuose qui n’est pas sans rappeler Gilles Aillaud, le décalage surréaliste en prime, ses animaux « tartan » sur fond de paysages iconiques de l’Amérique (les Rocheuses, l’Alaska, le Grand Canyon…) impressionnent par l’ampleur des compositions mises en œuvre. Et par le subtil décalage qui les animent entre postures classiques et le je ne sais quoi d’étrange qui interroge.
Clin d’œil subtil au motif écossais des pantoufles de Magritte, jeu sur le camouflage et a contrario la mise en lumière, la série, débutée il y a une quinzaine d’années, décline nombre d’animaux familiers ou non, aux yeux étranges et humanisés, dont le pelage minutieusement décrit révèle un travail aussi titanesque qu’époustouflant.
Christine Germain-Donnat
Entre biographie et fiction, Histoire de l’art et ironie
L’artiste conceptuel américain né en 1962 habitué à mettre en scène sa vie d’artiste dans un mode d’exposition de soi qui résonne aujourd’hui avec la monstration de nos vies sur les réseaux sociaux : artifice, truchement, faux-semblant… trouve un surprenant miroir avec les animaux dont il scrute le « caractère ».
Avec humour et peut-être ironie, il met ainsi à mal l’ego de l’artiste dans The Urgent Necessity of Narcissism for the Artistic Mind (Jaguar), où un jaguar au pelage tartan rose et vert devenu Narcisse, s’abreuve littéralement de son reflet dans une mare. Pour arrière-plan, tel un diorama de musée d’histoire naturelle, une fo[1]rêt de troncs d’arbres se développe en écho narcissique, gravés du prénom de l’artiste répété à l’infini : Sean, Sean, Sean…
Les bêtes cadrés en gros plan saisies dans des expressions quasi humaines qui rappellent les portraits à « la personnalité » affirmée » de Rosa Bonheur (1822-1899), leur donnent une dimension supplémentaire, d’autant qu’elles sont exposées dans la salle consacrée à la naissance, au XIXe siècle, de l’éthologie, ou science du comportement animal.
Je les ai revêtus d’une fourrure écossaise pour les protéger de l’indifférence lors de leur voyage à travers le temps.
Sean Landers
Une rencontre loin d’être fortuite
On attend d’un illustrateur animalier une représentation générique de l’espèce, or cette image la plus objective possible ne peut être obtenue que par compilation d’images, à l’instar de l’Intelligence Artificielle. Landers est soucieux de vraisemblance, mais lui produit des portraits psychologiques de chiens.(…) Mais il faut bien commencer d’une façon ou d’une autre et pas nécessairement par le commencement. Alors, par l’œuf ou par la poule ? Par le corbeau ou le renard ? Par la carpe ou le lapin ? Par la machine à coudre ou le parapluie ?
Toute fortuite qu’elle paraisse, la rencontre de la fourrure et du tartan a été savamment préméditée.
Frédéric Paul, Quand on parle du loup, catalogue
Celle de Landers et du Musée de la Chasse et de la nature, aussi.
Il faudra suivre cet artiste, balayant les frontières des disciplines et des modes qui ne cesse de s’interroger sur son propre statut.
Même si la plupart des artistes que j’ai connus souhaitent s’inscrire dans l’héritage de Duchamp plutôt que dans celui de Picasso, je pense que le grand gorille dans la pièce reste invariablement Picasso, parce qu’il y a toujours cette idée, parfois inconsciente, chez chaque artiste que le génie incontestable, c’est lui. En tant qu’artiste, contempler Picasso, c’est contempler sa propre mortalité et se demander si son œuvre survivra au temps.
C’est la question Picasso : “ Ai-je de l’importance ? ” »
Le site de Sean Landers
Jusqu’au 10 mars 2024, Musée de la Chasse & de la nature
Catalogue, sous la direction de Christine Germain-Donnat et Rémy Provendier (Musée de la Chasse & de la Nature – Lienart, 112 pages, 75 ill. 20€) Ce véritable ouvrage de référence sur un artiste encore méconnu en France, resitue grâce à l’avant propos de Christine Germain-Donnat et l’ essai éclairant « quand on parle du loup » de Frédéric Paul, l’essentiel du parcours d’un artiste catalogué « conceptuel », mais qui n’a ni renoncé à peindre, cette « activité suspecte », ni à ingurgiter et citer ses influences, de Hogarth à Magritte, pour s’inscrire non sans ironie dans la lignée des grands peintres animaliers.
À partir de 1997, le catalogue de Landers ne comporte plus que des peintures, des œuvres sur papier et occasionnellement des sculptures. « L’existentialisme de ses débuts cherchait un exutoire dans l’ironie. La peinture animalière est un genre dédaigné. Sean Landers est entré dans cette famille après de nombreuses métamorphoses. (..) Landers n’est pas un artiste conceptuel déguisé en peintre amateur, c’est en peintre accompli qu’il rhabille ses maîtres. »
Frédéric Paul, Quand on parle du loup, catalogue
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