Voyages
Soleil chaud, Soleil tardif : les modernes se rebiffent à la Fondation van Gogh d’Arles
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 15 août 2018 à 17 h 51 min – Mis à jour le 19 août 2018 à 13 h 24 min
Assumer le « tardif » comme catégorie temporaire et mentale
Écrasée sous le soleil de Provence, il y avait presque une évidence à créer une exposition à Arles autour de l’astre, mais aussi des cieux, qui fascinèrent tant de peintres, de Cézanne à Staël. Mais l’exposition Nicolas Staël en Provence, à l’Hôtel de Caumont d’Aix en Provence, qui se tient jusqu’au 23 septembre sur ce thème, va plus loin que de s’inspirer de l’utopie de Van Gogh d’un ‘grand atelier du midi’. « A travers des expressions sémantiques diverses, la métaphore du soleil constitue l’élément énergétique unificateur » promet Bice Curiger, commissaire d’une exposition qui réussit la gageure de réunir autour du couple Van Gogh/Picasso 10 artistes que parfois tout oppose.
Le pari « des recoupements captivants » est tenu tant par la qualité et la relation souterraine intrinsèques de chaque tableau que par l’ambition de renouveler le regard du moderne en peinture qui n’existe pas sans un « auparavant ».
La prime à la fraicheur de la création et la chaleur de l’émotion
Soleil cosmique, Soleil absolu, Dieu soleil ou Soleil noir, il est trop long de tisser toutes les correspondances entre les artistes pluridisciplinaires présents à cette exposition. Il faut se reporter au remarquable catalogue dont la clarté d’écriture multiplie les points de vue. Ce voyage dans le Solaire dans l’art ouvre à notre sens plusieurs de dimensions stimulantes :
- La joie de peindre, d’un Vincent Van Gogh (1853-1890) stimulé par son admiration pour Adolphe Monticelli (1824-1886), se retrouve avec le ‘vieux’ Picasso que d’aucun estime sénile mais qui montre une puissance d’irradiation bouleversante d’humour et de liberté. Elle se prolonge dans les toiles ‘explosantes-fixées’ de l’artiste américaine Joan Mitchell (1925-1992)
- L’ironie décapante, des expérimentations « alchimico-picturales » de Sigmar Polke (1941-2010) sur l’art qui le précède, ou celle du « space jazz» de l’ « Archestra » intergalactique dirigé par Sun Ra (1914-1993), même si en contrepoint s’impose le « soleil noir de la mélancolie » de Giorgio De Chirico (1888-1978),
- La fraicheur, quelque soit l’âge, les contraintes physiques ou psychiques d’un Van Gogh, de Germaine Richier (1902-1959) avec son bestiaire métallique, d’Alexander Calder (1898-1976) et ses graphismes rieurs, ou de « l’écriture peinture » de la poétesse et peintre libano-américaine Etel Adnan (1925), dont la série ‘Le poids du monde’ (2016) cherche à conjurer la guerre en invoquant la paix,
- Le rejet de la doctrine et prendre du recul dans une retraite assumée, c’est évidemment le trajet de Van Gogh s’écartant de Paris pour suivre les traces de Monticelli et d’un Japon imaginaire. C’est aussi celui de Picasso à Mougins ou Antibes, ou encore de Joan Mitchell quittant les Etats Unis pour Vétheuil, havre de verdure proche de Giverny et de Monet… la force de l’émotion artistique,
- la transcendance, enfin… « La peinture n’est pas morte. Elle semble même fêter sa résurrection à travers de multiples manières de mettre à mal l’orthodoxie. » Ce qu’écrit la commissaire à propos de Picasso, s’applique aussi bien pour les autres. Même symbiose quand le critique G. Boehm écrit à propos de Van Gogh : « Son geste pictural s’exhibe et en même temps fait apparaître l’expression inhérente des choses. »
Poser les repères et assumer d’être dans l’histoire
En questionnant le moderne dans l’art, celui qui assume de poser des repères et un cheminement capable de nous orienter dans l’imprévisibilité du monde, Bice Curiger renoue à travers son choix d’artistes et d’œuvres avec les sources profondes de l’art. Plutôt que de les récuser « en fuyant chez les doctrinaires, cet art moderne réinvente la transcendance par une prise en charge de toute l’aventure humaine. » comme l’écrivait Pierre Daix dans son « Pour une histoire culturelle de l’art moderne » (Odile Jacob, 2000). Loin des académismes de tout poil, plume et dents. C’est de ce Soleil chaud et éclairant auquel il fait si bon de se vivifier.
Adolphe Monticelli (1824-1886), maître de Van Gogh à l’insu de son plein gré
Peu de non-spécialistes connaissent l’existence de ce peintre provençal qui serait probablement rester un bien modeste maître si Van Gogh ne s’en était pas à plusieurs reprises réclamé : « Je suis sûr que je continue son œuvre, ici, comme si j’étais son fils ou son frère, […] reprenant la même cause, continuant la même œuvre, vivant la même vie, mourant la même mort. » (The Complete Letters of Vincent van Gogh, Greenwich, 1958, III, 446, n°W.8.) « Considéré encore comme « inclassable », comme le rappelle la commissaire dans le catalogue. Tout baigne dans une lumière dorée, qui conduit directement à Van Gogh. (…) Celui-ci ne se contente pas de remplir le triangle d’un tableau, il déverse une énergie extatique sur la toile et prend une entière possession de l’espace – un all over qui prolonge la troisième dimension dans l’incommensurable. »
Paul Nash. Éléments lumineux, une révélation légitime
Ce précurseur du modernisme anglais (1889 – 1946) est peu connu en France. L’étage que lui consacre la Fondation tente de réhabiliter cet artiste qui débute sa carrière comme peintre « officiel de guerre » de la 1ère guerre mondiale. Comme ses contemporains, il puise de son expérience du front, et de la mort, un imaginaire qui se libère de tout ‘isme’ (nihilisme, surréalisme,…) afin de « contredire ses fantômes pour forger et affirmer leur idée de ce qui est moderne. » Chez Nash, précise Bice Curiger : « le tournesol géant, est menaçant et apocalyptique. C’est lié à ses expériences de guerre. Cela fait penser au soleil que l’on retrouve dans les photographies irradiées à l’uranium crées par Polke. » Toujours de belles correspondances souterraines.
Il est encore temps pour la Fondation Vincent van Gogh et les Rencontres Photographiques à Arles
Jusqu’au 28 octobre 2018 – 11H00 à 19H00
Jusqu’au 28 octobre 2018 – 11H00 à 19H00
Soleil chaud, soleil tardif. Catalogue édition bilingue, Commissaire : Bice Curiger Fondation Vincent van Gogh Arles 232 p.30€
Paul Nash. Éléments lumineux, Catalogue édition bilingue, commissaire : Simon Grant, Fondation Vincent van Gogh Arles, 108 p, 25€
Nos trois coups de cœur des Rencontres de la photographie d’Arles
« Sidelines » de Robert Frank et « USA, 1968-1999 » de Raymond Depardon, à l’espace Van Gogh, jusqu’au 23 septembre 2018 (10H00 à 19H30)
Deux européens, le Suisse Robert Frank (né en 1924) et le français Raymond Depardon (né en 1942) livrent leur vision subjective de l’Amérique à dix ans d’écart (1958, 1968) tout en réinventant l’image photographique. Réunies dans le même bâtiment, ces deux expositions confrontent les trajectoires de deux monstres sacrés.
« The train, June 8, 1968» : Paul Fusco, Rein Jelle Terpstra et Philippe Parreno, à l’Atelier des forges jusqu’au 23 aout 2018
A bord du train qui transporte de New York à Washington la dépouille Robert F. Kennedy, assassiné trois jours plus tôt, le photographe Paul Fusco capte l’émotion de milliers d’Américains tassés le long des voies. Choc que chacun peut revivre par le livre (Textuel, 40€)
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