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Surréalisme au féminin ? (Musée de Montmartre – In fine éditions)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 3 septembre 2023
Plus que quelques jours pour plonger dans l’univers poétique instable d’ « une pure pratique d’existence » d’une cinquantaine d’artistes féminines – pour la plupart négligées par l’histoire de l’art – influencées par le surréalisme. L’ ambition de l’exposition – et son catalogue In fine éditions – de Surréalisme au féminin ? (Musée de Montmartre jusqu’au 10 septembre 2023) brosse non seulement les positions ambivalentes des femmes dans le « mouvement » au-delà de sa dissolution en 1969, mais surtout son incapacité à y intégrer du féminin autre qu’en figures. Alix Agret et Dominique Païni présentent la diversité et la complexité de leurs positions et de leurs créativités interdisciplinaires. « Tout contre » le surréalisme ? pour leur liberté et leurs révoltes.
Faire connaître des artistes souvent négligés par l’histoire de l’art.
Les artistes femmes qui ont traversé le surréalisme n’ont pas été moins prolifiques ni même plastiquement inférieures au regard de l’histoire du goût et de leurs homologues masculins.
Peu nous sont connues aujourd’hui par le fait que durant ces décennies ont joué en leur défaveur tous les leviers de l’asymétrie de pouvoir entre hommes et femmes participant à la conspiration du silence qui s’est inexorablement abattue sur elles.
Alix Agret et Dominique Païni, Commissaires
La ligne fragile de la réduction à l’ identité féminine
Le geste même de cette exposition est féministe. À travers elle, les commissaires assument que des œuvres d’artistes et de poètes femmes démontrent une puissance d’invention et un degré de réussite artistique comparables à celles de leurs homologues masculins.
Alix Agret, Dominique Païni, commissaires
Certains font la fine bouche face à ces expositions collectives qui tentent d’éclairer la place des femmes dans l’histoire de l’art. Par trop de « féminisme » ? comme celui revendiqué pat les commissaires « parti pris pour les faire découvrir et les imposer comme des créatrices à part entière. »
Pourtant avant de plus amples travaux monographiques, l’éclairage collectif est nécessaire, parce qu’il pointe une généralité, celle des dizaines d’artistes mésestimées par les musées et le marché de l’art et plongées dans l’ombre dans un récit qui s’écrit sans elles. Ensuite parce qu’il faut toujours se réjouir de ces premiers éclairages – le catalogue intègre une fiche – sur chacune des artistes présentées.
Interroger la part féminine du surréalisme
Personne ne conteste qu’il y a encore tellement à faire – même si les initiatives se multiplient – pour approfondir l’éclairage sur une reconnaissance souvent mise de côté. Situation d’autant paradoxale que le surréalisme avait ouvert aux femmes « un cadre d’expression et de créativité sans doute sans équivalent dans les autres mouvements majeurs d’avant-garde. Même si cet élan allait de pair avec une instrumentalisation « poétique » de l’identité féminine » insistent les commissaires dans leur passionnant essai introductif « La liberté n’est donnée à personne, il faut la prendre« .
Interroger la part féminine du surréalisme – dont la doxa sous la férule d’André Breton où « les femmes avaient tendance à être autorisées mais non nécessaires » (selon Ithell Colquhoun) » constitue le cœur de cette exposition ambitieuse « conçue comme une hypothèse plutôt que comme une démonstration, d’où le point d’interrogation du titre » pour Alix Agret et Dominique Païni.
Plutôt que de s’arrêter sur quelques-unes de la cinquantaine d’artistes et de poètes- dont les créations excèdent la date de dissolution officielle du groupe surréaliste en 1969 – nous retiendrons quelques dynamiques collectives puisées des essais du catalogue, pour « donner à voir » comme dirait Paul Eluard. Nous n’oublions pas que l’« individualisation rendue d’autant plus nécessaire par la diversité de leurs profils. »
Surréalisme au féminin ? ne prétend pas qu’il y eut des femmes (ni même des hommes) «surréalistes», formulation qui reviendrait à essentialiser des personnalités qui, comme beaucoup d’artistes modernes, n’eurent de cesse de s’interroger sur elles-mêmes, de remettre en cause leurs orientations formelles et d’expérimenter, sans craindre les virages théoriques.
Alix Agret et Dominique Païni, Commissaires
La sortie de l’ombre de ces artistes qui égalent en spontanéité débridée leurs homologues masculins, enrichissent et finalement dépassent le surréalisme de la période fondatrice de la fin des années 1920 et des années 1930 pour l’animer jusqu’aux années 2000, dynamique qui invite ainsi à le repenser tant en fonction de sa dispersion géographique et de ses marges, que de la « lointaine proximité » que les femmes ont entretenue avec lui.
Nous faisons l’hypothèse que c’est en refusant de dépendre «institutionnellement» du mouvement tout en lui empruntant ce qui leur permettait de s’inventer ou de prolonger des engagements poétiques antérieurs qu’elles furent le plus surréalistes, conquérantes d’une indépendance inédite dans les milieux artistiques et littéraires.
Alix Agret et Dominique Païni, Commissaires
Une volonté de s’affranchir
S’affranchir des genres artistiques conventionnels, des normes sexuelles et des frontières géographiques : autant d’audaces, sinon de provocations dont les artistes femmes prirent à bras le corps au sens propre et figuré, tant pour exprimer leur désir d’indépendance que leur révolte à l’égard des humiliations réductrices qui les atteignaient en tant que femmes.
De même qu’elles furent indifférentes à la hiérarchie des genres artistiques, elles mêlèrent les disciplines; leurs pratiques littéraires sont souvent indissociables de leurs travaux plastiques – fiction, poésie et essais critiques – et réciproquement. L’exposition traite des dimensions méconnues d’une production d’artistes ayant continué de créer au-delà des limites d’un mouvement que l’histoire de l’art retient généralement. Leur « esprit surréaliste » dépasse les institutions et les organisations qui l’incarnent momentanément et se dissolvent souvent en « constellations surréalistes » qui se sont tissées hors de France et auxquelles ces artistes ont contribué, en Grande-Bretagne, en Belgique et en Scandinavie, en autres que les essais du catalogue documentent.
J’ai noté, avec une certaine consternation, que la place de la femme dans le surréalisme n’était pas différente de sa place dans la société bourgeoise en général
Dorothea Tanning
Subvertir la binarité masculin/ féminin
Leur fascination pour le double animal, altérité la plus radicale qui soit pour interroger l’identité sexuelle, mais aussi pour la fusion avec le végétal – visible chez Toyen, Leonor Fini, Suzanne Van Damme, Ithell Colquhoun, Lise Deharme, etc. –, leur inspira, consciemment ou non, des questions sur la différence des sexes et une iconographie érotique audacieuse et directe par rapport à celle, plus mystérieusement allégorique, des peintres masculins.
Commissaires
Une dynamique au-delà de l’abstraction.
Le parcours par sa profusion d’identités, de frontières franchies et d’époques élargies convainc que ces artistes, par leurs audaces de représentation, ont contribué à nourrir et à prolonger une conviction « automatique » de l’écriture poétique et picturale, bien au-delà des années au cours desquelles l’automatisme constituait le tourment dominant du mouvement.
L’automatisme que j’ai pratiqué était total, global. Mais les surréalistes, dans leur majorité, étaient revenus vers l’imagerie. Je voulais aller au-delà des rêves, en dessous
Judith Reigl
Autant de questions en suspens mais qui souligne la pertinence de cette ouverture collective à des champs créatifs encore en jachères.
#Olivier Olgan
Pour en savoir plus sur le surréalisme et les femmes
Surréalisme au féminin ?
- jusqu’au 10 septembre 2023, Musée de Montmartre, 12, rue Cortot – 75018 Paris
- Catalogue, sous la direction d’Alix Agret et Dominique Païni, In Fine éditions / Musée Montmartre, 176 p. 29€
Après l’introduction engagée des deux commissaires, « La liberté n’est donnée à personne, il faut la prendre« , réflexion sur « la part féminine » du surréalisme, les essais se concentrent sur les « constellations » du « surréaliste au féminin » ; en Grande Bretagne (Sacha Llewellyn, fondatrice de RAW (Rediscovering Art by Women) : Danser sur des rivages lointains : les femmes surréalistes britanniques, en Belgique (Michel Draguet, directeur général des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique : Du surréalisme belge au féminin pluriel) et au Danemark (Alix Agret, En Scandinavie, surréalistes et au bord de l’abstraction ?),
des textes approfondissent les travaux menés sur la photographie (Saskia Ooms : La photographie et le surréalisme au féminin : Cahun, Maar, Miller, Medková) et certaines individualités : Maya Deren, Mimi Parent, Isabelle Waldberg et Jacqueline Lamba... sans évidemment oublier une fiche sur chacune des artistes exposées (voir 4e de couv)
Pour conclure, sur une perspective ouverte par Fabrice Flahutez, Le surréalisme : un mouvement féministe ? : » les femmes seront soutenues d’autant qu’elles s’exprimeront dans une veine non mimétique plus encline à être en phase avec toute une histoire coupant les liens avec les «réalismes» légués par une civilisation patriarcale et gréco-latine. Les abstractions incarnées, procédant d’une nécessité intérieure, (…)C’est en ce sens que la place des artistes femmes dans le surréalisme est à revisiter. »
Texte
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