Culture
Thierry Frémaux, fou de Lumière et de cinéma, l’aventure continue
Pour les 130 ans du premier film comme de la première projection cinématographique, Thierry Frémaux rend un double hommage à Louis Lumière : Lumière, l’aventure continue, documentaire somptueux diffusé uniquement en salle, pour rappeler qu’il invente le cinéma, avec la machine, la grammaire de la réalisation et la projection collective en salle, et un livre Rue du Premier-Film (Stock).
Le directeur de l’Institut Lumière plonge dans le patrimoine des Lumière et renoue avec une éthique du cinéma. Le délégué général du Festival de Cannes) ne cesse d’exprimer sa dette et sa passion pour cet art si singulier qui « donne autant à voir le monde en même temps qu’il l’imagine ».

L’aventure continue, de Thierry Frémaux photo Institut Lumière Ad Vitam
Remettre Lumière comme cinéaste au fronton des cinémas
Tout en hommage aux Lumière, à l’occasion des 130 ans de la naissance du cinéma (1ere machine, 1er film, 1ere projection) en 1895, ce nouveau documentaire va plus loin que le précédent. Son montage de 120 films restaurés, sur les 2 000 réalisés offre une immersion dans la première fabrique du cinéma, une véritable fenêtre ouverte sur l’essence même du cinéma, loin des clichés. Le directeur de l’institut Lumière a fait un « film Lumière » qu’il diffuse en salles, fidèle à cette ontologie qui fait du cinéma une projection collective.
Une incroyable découverte du format 75 mm
Invisible et inconnu des spectateurs mais en archives à l’Institut Lumière, Lumière avait inventé le 75 mm, – plus grand que le 70 mm, donc impossible à projeter à l’époque puisqu’il fallait une lumière si intense qu’elle brûlait immédiatement la pellicule. Grace au numérique, au scan, les images ont été restaurées et projeter sans danger. Pour une netteté de l’image est sidérante.

L’aventure continue, de Thierry Frémaux photo Institut Lumière Ad Vitam
De façon tout aussi convaincante qu’émouvante, grâce à une restauration exceptionnelle des bobines d’origine et une narration aussi enthousiaste que bienveillante (dont on retrouve les textes dans le livre témoignage Rue du Premier-Film », Stock), Thierry Fremeaux convainc que la force d’éblouissement des vues Lumiere reste toujours intacte.
Mais plus important encore, qu’il ne faut pas les voir comme du « pré cinéma »
Ce qu’on avait oublié, c’est que dès le début c’était le cas – le cinéma des origines a été très lié au burlesque, à la magie, à l’illusion, à Georges Méliès. On avait oublié cette veine réaliste de l’enregistrement du monde, qui est aussi une veine de beauté.
La Sortie des Usines Lumière, déjà du cinéma
Le documentariste n’a pas de formule assez forte pour dire et redire que Louis Lumière a fait dés la premiere bobinne, du cinéma : reproduire la vie à travers le filtre d’une caméra et la créativité d’un cadreur pour faire passer la vérité par la beauté et réciproquement. De Friedrich Wilhelm Murnau à aujourd’hui, les réalisateurs n’ont jamais cessé de se mettre dans ses pas tout en peaufinant la grammaire, le travelling, le plan-séquence et le remake.
Dès la fin 1895 et pendant une dizaine d’années, leurs images sont quelque chose qui est déjà le cinéma, déjà une manière d’écrire des images animées, d’écrire avec la caméra.
L’émerveillement de l’« imaginaire Lumière » à l’écran

L’aventure continue, de Thierry Frémaux photo Institut Lumière Ad Vitam
Louis Lumière a été photographe, il savait faire des images, cadrer. Il n’existe cependant aucune archive, pas une phrase sur ce que furent leurs intentions sur le plan esthétique. Seul le plan technique a été évoqué. Mais Frémeaux revendique l’existence d’un imaginaire Lumière.
Au fil des vues, le « film Lumière » est bien une manière de voir la vie à travers les visages, les familles, les gestes, le quotidien, les ouvriers, le travail, les plaisirs, les voyages… Ce qui est fascinant, le spectateur se trouve plonger dans un moment charnière.
On sort du xixe siècle pour le xxe siècle, celui de la modernité ; l’optimisme des inventeurs règne, convaincu que ce siècle sera génial, que les guerres sont derrière nous. Autour de 1900, les photos, les films puis les « autochromes » (premier procédé commercial de photographies en couleur breveté par Lumière) s’impose cette idée d’un espoir, d’un bonheur simple, une certaine sérénité, une vie paisible. On sait hélas qu’il n’en sera rien.
La foi intacte dans le cinéma

L’aventure continue, de Thierry Frémaux photo Institut Lumière Ad Vitam
Dans son livre Rue du Premier-Film, plus qu’un hommage pour les films Lumière, le cinéphile Thierry Fremaux revient sur son « vertige », ce fameux syndrome de Stendhal, le premier film de l’histoire, La Sortie de l’usine Lumière à Lyon a été tourné à quelques mètres de son Institut. Et comme face à de vieux manuscrits originaux, ou à la grotte Chauvet, quelle que soit la technique, l’homme se représente, et cette projection transforme le monde.
La fabrique de ces courts films de 50 secondes a crée des souvenirs enfouis, des trésors que l’humanité a laissés derrière elle, au contact desquels Thierry Frémaux ne cesse d’être émerveillé.
Lumière lance une planétarisation des comportements, il envoie des opérateurs aux quatre coins du monde. C’était beau, cet acte d’aller voir ailleurs et de rapporter des images qui ne lui ressemblaient pas.
Le cinéma de Lumière et le cinéma général ont toujours fait la même chose. Ils me disent qui je suis et qui sont les autres.
Louis Lumière, le tout premier cinéaste…
Personne avant le 28 décembre 1895 n’avaient été au cinéma. Si une longue continuité d’historiens d’historiens l’ont bien fait avant lui, des Henri Langlois, Georges Sadoul, Jean-Luc Godard,… Frémeaux souhaite casser les clichés basés sur des oppositions artificielles. Lumière, documentaire ; Méliès, fiction. Lumière a fait de la fiction, et Méliès a filmé des arrivées de train. Pour lui, ce n’est pas là, la différence. Il montre comment Lumière place une caméra fixe là où lœil ne s’était jamais mis, là où les appareils photo ne se positionnaient pas.
Lumière, c’est enregistrer le monde tel qu’il est ; Méliès, c’est le réinventer. Lumière, c’est le même monde que celui d’Abbas Kiarostami, Chantal Akerman, la Nouvelle Vague. Méliès, c’est Hollywood.
Garder et se nourrir de l’éthique du cinéma

L’aventure continue, de Thierry Frémaux photo Institut Lumière Ad Vitam
Si aujourd’hui, en 2025, parler de planétarisation des comportements, c’est parler d’Internet, d’intelligence artificielle, … le cinéma de Lumière n’est pas un retour en arrière mais une projection vers le futur du cinéma.
La caméra impose une position éthique : qu’est-ce que je filme ? Pourquoi ? Qu’est-ce que je m’interdis de filmer ? Internet ne s’interdit rien, on y voit des choses affreuses. Le cinéma, au contraire, a toujours fait attention à ce qu’il montrait. (…)
Maurice Pialat, en parlant des vues Lumière, disait que leur candeur, leur pureté s’était perdue. Si c’était vraiment le cas, serions-nous encore la à parler de cinéma ? Ce qu’il dit est magnifique, mais c’était un pessimiste. Il a déclaré cela dans les années 1990, une époque où l’on parlait beaucoup de la mort du cinéma. Mais non, je ne crois pas que leur pureté ait disparu. Je pense qu’elle est parfois enfouie, qu’il faut aller chercher cette petite lumière.
Regarder un film des Frères Lumière, c’est nettoyer ses yeux,
effacer les regards saturés et renouer avec une beauté primitive.
Cette réflexion sur le cinéma des origines est aussi une invitation à cette esthétique qui nous dit qui nous sommes
On peut leur faire confiance, aux films Lumière. Il n’y a pas de montage, c’est un plan.
Wim Wenders
Auteur de l'article

Pour aller plus loin sur les Lumières
Lumière, l’aventure continue, de Thierry Frémaux, Ad Vitam (1 h 44) en salle
le site de l’Institut Lumière
jusqu’ au 19 avril, « Un monde Lumière », a la galerie Cinéma, en collaboration avec l’institut Lumiere,
Rue du Premier-Film, Thierry Frémaux, Ma Nuit au Musée, Stock, 2024 : « Aujourd’hui, “la place de la première caméra” a fait d’un espace de cinq mètres carrés célébré sur la planète Terre un endroit dont les réalisateurs mesurent transis la grandeur. Lorsqu’ils arrivent rue du Premier-Film, ils s’étonnent que ce à quoi ils ont dédié leur vie, le cinéma, possède un point d’origine — le plus souvent, ils l’ignoraient.
Pas un “lieu de mémoire”, car de mémoire, il n’avait plus, avant que nous ne prenions les choses en main. Plutôt un lieu-monde.
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