Culture

Vincent Bessières, co-commissaire de Basquiat Soundtracks à la Philharmonie de Paris

Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 24 avril 2023

« Déjà ses tableaux font du bruit, du bruit visuel. Il y a du son dans ses œuvres » revendique Vincent Bessière pour expliquer l’omniprésence de la musique dans le parcours de Basquiat Soundtracks à la Philharmonie de Paris jusqu’au 30 juillet 2023. « Il n’y avait pas un moment sans musique autour de Basquiat. Elle était toujours là, à l’accompagner dans sa création, porter ses idées, influencer son style ». Pour mieux comprendre tous les enjeux de cette exposition immersive, le co-commissaire va plus loin pour Singulars sur les relations complexes de Jean-Michel Basquiat(1960-1988) avec la musique et comment elle a influencé son geste pictural.

Basquiat, King Zulu encadré par deux écrans avec des extraits musicaux Basquiat Soundtracks (Philharmonie du Paris) Photo OOlgan

Baptiste Le Guay : Pourquoi avoir dédié une exposition sur Basquiat et la musique ?

Vincent Bessieres, co-commissaire de Basquiat Soundtracks Photo Eric Garault

Vincent Bessières : C’est une spécificité de la Philharmonie d’avoir cette approche du rapport entre l’artiste et la musique. Basquiat est un artiste pour qui la musique a beaucoup d’importance, à la fois dans sa vie et dans son œuvre. La musique aide à comprendre beaucoup de choses dans son travail, c’est une clé d’interprétation et ça permet de parler de son œuvre différemment de toutes les expositions qu’il y a eu auparavant. Elles montraient son œuvre, que c’était un grand peintre, mais elles ne s’intéressaient pas forcément à la dimension thématique de son travail.

Basquiat Soundtracks permet une immersion dans l’univers du peintre fou de musique (Philharmonie de Paris) Photo OOlgan

Quels ont été vos principaux partis pris de mise en espace ?

Basquiat, Anybody Speaking Words, 1982, Basquiat Soundtracks Photo Baptiste Le Guay

C’est une exposition où nous avons intégré du son, de la vidéo. Ces tableaux de maîtres sont présentés d’une manière moins conventionnelle.

Nous voulions casser les codes d’une exposition plus ‘classique’ en accrochant sur mur noir et pas sur mur blanc,
avec une scénographie labyrinthique avec des angles droits.

Basquiat a peint beaucoup de toiles, mais qui à un moment en a eu assez du côté très rectangulaire et plat de l’objet. Il s’est remis à peindre des objets de récupération : des portes ou des planches de bois. Il voulait des œuvres avec du relief qui ont une vie en eux-mêmes. Je trouve ça contre nature d’accrocher ces œuvres côte à côte alors que c’était parfois des objets qui viennent du trottoir.

Comment la musique a-t-elle influencée l’artiste tout au long de sa brève carrière ?

Basquiat Billie Holiday, 1986 Basquiat Soundtracks (Philharmonie du Paris) Photo OOlgan

La musique est présente à plein de niveaux dans sa vie. Elle est présente dans son environnement artistique où ils écoutaient tout le temps de la musique, ils étaient tout le temps dans des clubs où il y avait des concerts, ils pratiquaient eux-mêmes de la musique, pas forcément en virtuoses. La musique était un terrain d’expérimentation comme le cinéma, la peinture ou la littérature. Basquiat s’est retrouvé à expérimenter la musique puisqu’il avait un groupe qui s’appelait Gray. C’est quelqu’un qui peint en musique et s’intéresse à la musique pour ce qu’elle représente.

Il s’intéresse au Jazz car c’est une musique qui lui offre une généalogie artistique. Lorsqu’il cherche des peintres noirs, il n’en trouve pas, car il n’y en a pas dans les musées. Les musiciens de jazz eux sont visibles, ils sont reconnus et célébrés dans le monde entier. Basquiat les érige comme des figures tutélaires. Au-delà du jazz, la musique c’est le reflet de l’histoire compliqué des Etats-Unis, notamment avec l’esclavage. C’est la manifestation culturelle la plus forte avec certains sports de la communauté noire-américaine.

Basquiat Soundtracks (Philharmonie du Paris) Photo OOlgan

En quoi Basquiat était-il un pur produit New-yorkais ?

Basquiat, Car crash, Basquiat Soundtracks photo Baptiste Le Guay

Basquiat est né à New-York, il a vécu à NY et il est mort là-bas. Son art est très influencé par NY car il peint la ville, il peint les immeubles, les voitures, les avions qui passent dans le ciel. Plus généralement, Basquiat est marqué par des artistes New-yorkais. Le jazz c’est la musique de New-York même si c’est né à la Nouvelle-Orléans, ça reste la ville où ça se passe encore aujourd’hui.

Le fait de s’identifier à Charlier Parker et aux musiciens du be-bop c’est une façon de s’inscrire dans l’histoire artistique de cette ville. Le be-bop dans les années 1940, c’est une forme d’avant-garde parce que c’était une musique très complexe à jouer sur le plan rythmique et harmonique. C’est une improvisation très encadrée par les accords, par le rythme, ça demande une forme de virtuosité que Basquiat admirait beaucoup.

Basquiat, Plastic Sax, 1984, Basquiat Soundtracks (Philharmonie de Paris) Photo Baptiste Le Guay

Certains tableaux sont-ils composés à l’image d’une partition de Jazz ?

Nous pouvons voir l’influence du Jazz dans la manière dont Basquiat compose certains de ses tableaux, il les compose à l’aide de photocopies. Il couvre la toile de ses propres dessins qu’il découpe, il les déchire et les colle de manière très rythmique, où il vient peindre par-dessus. Quand nous regardons le tableau nous pouvons voir une espèce de partition avec des lignes de musique. Il nous met sur cette piste avec le tableau Coco solo, c’est le solo que Charlie Parker a pris sur un morceau qui s’appelle Coco. Quand nous regardons le tableau, il n’y a pourtant pas une note de musique dedans, il y a comme une partition avec des lignes de haut en bas et de gauche à droite comme si Basquiat avait voulu faire une transposition visuelle de l’improvisation de Charlie Parker.

Comment l’arrivée du hip-hop a-t-il influencé Basquiat ?

Basquiat pratique une sorte de sampling visuelle. Le sampling c’est allé prendre une séquence et la mettre en boucle. Quand nous regardons les tableaux de Basquiat, il fait pareil en prenant des bouts de ses dessins, avec des choses qui n’ont rien à voir et il les superpose, ou les répète. Ça ressemble beaucoup à ce que fait un producteur de hip-hop qui prend des samples pour faire des beats en construisant un morceau par addition. Le fait que Basquiat se soit intéressé au hip-hop ça nous pousse à faire l’analogie qui sur le fond sont très semblables.

Ses tableaux nous les regardons mais nous les lisons aussi. Parfois, Basquiat coupe les mots en deux ou les barre, ça fait penser aux techniques du hip-hop comme le scratching (lorsqu’on met sa main sur le vinyle et fait patiner la musique).

Quel rapport physique Basquiat avait-il avec le disque ?

Vinyles appartenant à Jean-Michel Basquiat, photo Baptiste Le Guay

Il faut bien avoir conscience que Basquiat c’est encore l’époque du vinyle. Il est mort en 1988 alors que le lecteur CD est arrivé en 86. Sur des photos, nous pouvons voir certains de ses disques, il allait mixer dans certaines boîtes où il avait ses habitudes. Ce n’est pas un collectionneur dans le sens où il cherche des choses, c’est plutôt quelqu’un qui a besoin d’écouter des nouveautés, de découvrir. Il demandait régulièrement à son assistant ou ses amis d’aller lui chercher des disques et il revenait avec des nouveautés, du jazz, du reggae, du dub, etc. C’est quelqu’un qui s’est intéressé au disque en tant qu’objet.

Dans ses toiles, il cite des disques. Il est obsédé par la forme du cercle en dessinant des lunes, des pièces de monnaie, et des balles de base-ball. Le disque ça représente la fixation de la musique. C’est ce qui reste lorsque les génies sont morts. Il dessine un cercle blanc sur fond noir où il met le titre, ça suffit à rendre hommage aux musiciens comme Dizee Gillespie.

Pourquoi Basquiat intégrait-il des références d’albums dans ses toiles ?

Basquiat aime bien disséminer des informations. Il laisse des traces sur ce qui le préoccupe comme l’histoire américaine et africaine.

Il dit qu’en tant que noir américain il porte une mémoire culturelle, il considère qu’elle est en lui.
Tout ça s’entrechoque dans sa peinture.

Propos recueillis par Baptiste Le Guay, avril 2023

Pour aller plus loin sur Basquiat Soundtracks

Basquiat Soundtracks à la Philharmonie de Paris

jusqu’au 30 juillet 2023 à la Philharmonie de Paris
du mardi au jeudi de 12h à 18h, le vendredi de 12h à 20h, samedi et dimanche de 10h à 20h

Coédition Gallimard/Philharmonie de Paris/Musée des beaux-arts de Montréal, 288 p., 196 ill. 39€

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