Culture

L’utopie de la Cidade Matarazzo-Rosewood d’Alexandre Allard projette le Brésil au futur

Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 24 mars 2022

[Initiatives de collectionneurs] Toutes les formes de créations se retrouvent dans l’ADN de l’entrepreneur Alexandre Allard qui investit le futur du Brésil, qu’il considère comme le creuset actif de la créativité contemporaine mondiale. Sa transformation de l’iconique hôpital de São Paulo en Cidade Matarazzo en un vaste laboratoire créatif pluridisciplinaire vise à se projeter dans le monde de demain. Le groupe Rosewood a attrapé le virus, son hôtel signé Nouvel et Starck s’insère dans ce qui est déjà un des lieux d’art les plus actifs du pays.

Impossible ? un mot banni !

Le projet Rosewood-Matarazzo d’Alexandre Allard réhabilite un vieil hôpital, fermé pendant 30 ans

Rencontrer une telle personnalité, c’est entrer dans un autre monde où tout vous semble toujours possible avec un étourdissant parfum d’enthousiasme et d’énergies débordantes. Sa poignée de main franche se transforme souvent en une grande accolade chaleureuse appuyée, surtout si vous êtes une ou un créateur, race à part pour l’olympe de celui qui a une prédilection pour celles et ceux qui créent. Impossible est un mot banni par Alexandre Allard, le ‘corps & âme’ est ici hautement recommandé. Toujours ouvert d’esprit et informé de tout, l’entrepreneur mécène, au regard perçant de faucon gourmand, regarde le futur avec une étape d’avance.

Difficile d’accompagner quelqu’un qui a une idée par seconde, suit tous les détails de ses projets pharaoniques en jonglant sans arrêt avec les notions d’architecture, de design, d’art, d’écologie, d’économies participatives…Sans arrogance aucune, il regarde droit dans les yeux investisseurs, artistes, employés et fournisseurs leurs soulignant la chance qu’ils ont de faire partie d’une telle aventure. De toute façon quand on a gouté à la sauce Allard, beaucoup de choses semblent après bien fades.

Une passion indéfectible pour le futur du Brésil

Charley Case, Rubber Tree Rubber Tree, 2014 Photo collection Cidade Matarazzo

La Cidade Matarazzo, le Bd Matarazzo, Mata Atlântica (un vaste projet qui ouvrira bientôt un complexe où s’harmoniseront culture, cinémas, théâtre, business, magasins, restaurants…), l’entrepreneur à travers le projet Rosewood transforme tout un quartier de São Paulo ; avec un levier puissant, la transformation de l’ancien hôpital Matarazzo fermé depuis plus de 30 ans. L’ambition de l’investissement au sens propre et symbolique et la taille du terrain de « jeux » constitue une déclaration d’amour indéfectible pour le futur – et les ressources – du Brésil.

Avec un grand penchant pour Salvador de Bahia, Alexandre Allard a reçu de plein fouet l’incroyable diversité que l’on peut rencontrer dans ce vaste pays aux différentes cultures qui vont de celles des ethnies indigènes, des afro-descendants, des banlieues aux musiques Funk… un tourbillon de références qui ne pouvaient que rencontrer une sensibilité qui aime profondément la vie sous toutes ses facettes. Celles et ceux qui découvrent l’ampleur du Rosewood plonge dans une institution sans équivalent ni modèles.

Ainsi, à travers commandes ou résidences, les artistes contemporains sont invités à célébrer la diversité brésilienne. Leurs installations pensées in situ se marient avec les architectures de l’ancienne maternité de l’hôpital Matarazzo et la tour-forêt verticale conçue par l’architecte Jean Nouvel. Elles montrent aussi l’audace à ce projet exceptionnel.

L’art dans l’ADN du projet Rosewood-Matarazzo

La fresque du street artist Speto à l’entrée de l’Hôtel Rosewood pendant les travaux. Photo DR

Au Rosewood-Matarazzo, les frontières entre art et décoration sont effacées.  L’art est au cœur du projet depuis l’achat des murs du vieil hôpital, avec ses pavillons distribués dans un grand jardin de trois hectares.
En dédiant en 2014 lors de « L’invasion créative« , une ‘occupation’ artistique déclinée dans les lieux avant travaux, chaque bâtiment à tous les aspects de la diversité artistique brésilienne, Alexandre Allard montre à ses amis brésiliens le ressort de son ambition.
Ce fut aussi l’enjeu du livre ‘Made By… Feito por Brasileiros’; un gros bébé de 1200 pages réparties en trois volumes qui embrasse le paysage dynamique de cette diversité artistique brésilienne des principales villes du pays. Le lecteur y trouve 230 interviews de personnalités brésiliennes, artistes, directeurs de musée et de biennales, collectionneurs, galeristes…

« L’invasion créative » bien au-delà d’une exposition

Virgilio Neto pour l’invasion créative du site Rosewood-Matarazzo Photo Ana Pigosso

D’amblée, la nouvelle manière de faire signe à la famille des amies et amis artistes, plus d’une centaine, cassait les codes. La moitié de brésiliens et l’autre moitié constituée d’artistes internationaux devaient raconter leurs liens avec le Brésil et/ou cet anciens hôpital faisant partie de l’histoire de la ville (la maternité a compté plus de 500.000 naissances du début des années 1900 à sa fermeture en 1993). Pas question d’emprunter ou d’acheter des œuvres, tout devait être créé sur place offrant ainsi un éventail incroyable de propositions tant dans les couloirs, les chambres que les jardins de l’ancien hôpital.

La carte blanche offerte par Alexandre Allard – qui n’a jamais reculé ou interféré – a favorisé les projets les plus insensés : un nuage de pluie dans une des salles (Artur Lescher), un jet de 300 plantes par les fenêtres du premier étage pour recomposer un jardin fruit du hasard (Héctor Zamora)… Les tribus Huni Kuin du Acre brésilien, sont venues créer des fresques murales pour la première fois, Sofia Borges a déplacé son atelier sur place et Tunga a organisé une performance qui a duré les six semaines de l’événement…
Difficile de tout citer tant les propositions furent variées transformant l’hôpital en ruche créative … mais le livre ‘Made By… Feito por Brasileiros’ ne se contente pas de valoriser l’imagination de la scène contemporaine brésilienne, il confirme que les projets futurs seraient eux aussi toujours pensés main dans la main avec les artistes.

Rosewood s’inscrit dans la continuité de l’histoire de l’aventure artistique

Le Rosewood Hotel conçu par Jean Nouvel et  Philippe Starck designer officiel du projet Photo DR

Immeuble aux multiples perspectives au sens propre et figuré, L’Hôtel Rosewood de São Paulo inscrit désormais dans la pierre le devenir de toutes ces rencontres, de cette volonté de toujours vouloir parler « des Brésils ». Philippe Starck, le designer attitré du projet, a donné sa bénédiction, mais pouvait-il faire autrement avec Alexandre Allard ? L’hôtel respire les œuvres des artistes qui ont été invités à réfléchir sur plans bien avant que les premières fondations soient faites et les premiers mûrs élevés. Aucun ne se marche sur les pieds et chacun à son espace généreux où ils ont pu s’exprimer librement.

Peu de projets furent refusés.

Philippe Starck a signé l’ensemble de la décoration de l’Hotel, dont le Bela Vista Rooftop Photo DR

Les plus grands défis furent de s’adapter aux contraintes de sécurité architecturales, céramiques anti-dérapantes pour la piscine de Sandra Cinto, peinture au plafond du jazz bar de Cabelo devant tenir compte du matériel sonore et anti-incendie…
Si les chambres, qui sont bourrées de références à la Culture brésilienne (livres, guitares signées par Gilberto Gil (un ami d’Alexandre Allard), reproduction de dessins de Tarsila do Amaral, coiffes de plumes indigènes…), n’ont pas d’œuvres originales, en revanche les espaces publics de l’hôtels sont largement investis par les artistes en dialogue avec toutes les autres références telle que la collection d’art indigène de l’artiste Dan Fialdini qui fut achetée pour le Taraz, un des restaurants de l’hôtel.
Bien entendu Alexandre Allard a tout supervisé, reçu les artistes, donné quelques directions avec passion et bienveillance… toujours sur le pont. Il adore cela.

Un musée d’œuvres in situ

La gigantesque fresque de l’artiste bahianaise Ananda Nahu au 6ème étage de l’Hôtel Rosewood Photo DR

Après avoir découvert la gigantesque fresque murale que le street-artist Speto a créé sur le mur d’entrée, une fois franchie la porte d’entrée de l’hôtel, vous marchez sur un tapis phénoménal de l’artiste Regina Silveira, figurant un essaim d’insectes. Mais rassurez-vous la libellule est symbole de la transformation et du renouveau, bien dans l’esprit du projet. L’aventure commence ! Peu après vous découvrez l’installation photographique et d’objets de Vik Muniz vous contant l’histoire (est-elle vraie ?) du mythique Comte Augutin Taraz (1900 (le 1er janvier) -1999 (le 31 décembre)).

Un herbier original de Walmor Corrêa encadre les parois de chaque ascenseur du Rosewood Hotel Photo DR

L’aventure se poursuit dans les ascenseurs avec un incroyable herbier de Walmor Corrêa. Chacun a un thème (Aphrodisiaque, Hallucinogène, énergétique). En prêtant attention vous vous rendrez-vite compte que l’artiste a inventé des plantes hybrides digne des fictions de Lewis Carroll où apparaissent lutins fleur-langue ou plante-doigt…

Ce projet est pensé dans un équilibre des présences homme/femme.  On retrouve certains des artistes de l’invasion créative de 2014 mais beaucoup de nouvelles têtes apportent un sang nouveau à une famille artistique qui n’en finit pas de grandir.
La parole est aussi donnée à des artistes qui sont au début de leurs carrières. C’est par exemple le cas de Virgilio Neto qui a conçu une immense fresque sur les murs de la salle du dernier étage qui mène à la piscine du roof-top. Ce jeune artiste a dessiné comme un livre ouvert faisant allusion à beaucoup de référence des nombreux états brésiliens, faune, flore, cultures populaires…

Un art concierge pour faire face à la demande

L’ensemble de cette première partie est déjà tellement cohérent que le Rosewood a créé le poste d’ ‘art concierge’ spécialisé dans l’organisation des arts visuels du site. Vu la demande incessante, il est déjà débordé.

Difficile ici de citer toutes les œuvres, tant il y en a déjà : fresques de Janaina Tschäpe et Ananda Nahu, murs de céramiques de Fernando de la Rocque, mobile de Laura Vinci et d’Artur Lescher, travail sur la mémoire des murs de Daniel Senise, sculpture de jardin d’Arne Quinze, vitrail de la chapelle de Vik Muniz, tapis de Leda Catunda, autre piscine de Delphine Sanoian (elle n’est pas brésilienne mais, rassurez-vous, son fils l’est!)…

Et après ?

La fresque au plafond du jazz bar Rabo di Galo est signée de l’artiste plastique et musicien Cabelo Photo DR

Le projet Rosewood ‘in progress’ n’est évidemment pas achevé, le sera-t-il un jour ? Plusieurs étages de la tour forêt ouvriront avant l’hiver (brésilien) avec de nouvelles interventions artistiques : Cristiano Mascaro, Oskar Metsavaht, Laura Belem, le groupe Jacaranda, Vincent Rosenblatt, Monica Nador, Caligrapixo

Mais, vous l’aurez compris, Alexandre Allard joue déjà sur plusieurs autres échiquiers : ouverture du Centre de Créativité dans un des autres bâtiments de l’ancien hôpital, conçu comme un lieu « alternatif » qui recevra expositions, défilés de mode, concerts…., studios de  télévision pour des contenus en direct sur Arte1 le canal culturel le plus important du Brésil (17 millions de suiveurs), création de l’Institut M avec des visées pluridisciplinaires,  investissement des jardins publics proches de la Cidade Matarazzo, résidence d’artistes dans une fazenda (ferme) proche de São Paulo, antenne de l’hôtel à Bahia avec un lieu pour rendre hommage aux artistes afro-descendants… on en oublie certainement, tout ce qu’on peut vous dire est que l’ambition est sans limite et que vous serez toujours les bienvenus !

Singulars périodiquement vous tiendra informés…rabat-joie ou rabat-utopie s’abstenir.

Pour suivre le devenir de la Cidade Matarazzo

A visiter

A lire

 Made By… Feito por Brasileiros, par Marc Pottier, commissaire de l’invasion créative et curator de la sélection des œuvres de l’Hôtel Rosewood de Sao Paulo.

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