Culture

Le Carnet de lecture de Cédric Lalaury, écrivain de polars et ambitieux

Auteur : Patricia de Figueiredo
Article publié le 27 mai
 2021

En résonnance avec des intrigues soignées qui le libèrent des canons du genre, Cédric Lalaury refuse d’être enfermé sous une étiquette. Ses romans dont le dernier, Écoutez le bruit de ce crime (éditions Préludes) sont certes des polars, tirés au cordeau et diablement bien écrits. Ils se nourrissent d’une ambition vraiment littéraires, ciselant aussi bien le fond que la forme pour notre plus grand plaisir. Ses lectures ouvrent aussi de nouvelles perspectives : Cormac McCarthy, Virginia Woolf, Alan Hollinghurst, Joan Didion .

Cedric Lalaury, auteur du polar Ecoutez le bruit de ce crime Préludes

Une exigence d’écriture

Ce sont les contes que ses parents et grands-parents lui racontaient enfant qui lui ont donné le goût des histoires. « L’écriture, c’est un goût qui vient plus tard, quand on prend conscience des mots qui constituent l’histoire, qu’il y a là-dessous un texte/une texture tissé avec ces choses indéfinissables que sont les mots. » reconnait Cédric Lalaury. Pour ce féru de lectures, être son propre lecteur a changé ce qu’il appelle son « rapport aux mots » : « Il a considérablement évolué depuis ma première publication. Je n’y ai pas du tout prêté l’attention qu’il fallait, au départ, et ça me chagrine. Un déclic a eu lieu lors de la correction de mon avant-dernier roman, Que les ombres passent aux aveux, c’était léger, mais c’était là. J’ai mené à bien – j’espère – cette évolution dans Écoutez le bruit de ce crime. La forme et le fond doivent tous les deux être à la hauteur, ils doivent s’interroger l’un l’autre et être solidaires. »

Ne pas cantonner un auteur de polars à une monomanie

Henry James, Marcel Proust et Stephen King, mais aussi Philip K. Dick, Flannery O’Connor, Thomas Mann, Lovecraft, Jean Genet, J. G. Ballard, Gillian Flynn, Hervé Guibert ou Zora Neale Hurston, … Le lecteur éclectique revendique une joyeuse diversité d’ ‘admirations’ pour des écrivains, loin des genres. Il insiste aussi sur l’importance de la poésie et le théâtre qui « donnent à lire et à voir » :  « Les Tragiques grecs, Shakespeare et le Élisabéthains, Corneille et Racine m’ont très tôt fasciné. Les dramaturges qui interrogent l’essence des mots, de la parole, du silence ou de l’artifice, m’ont captivé : Sarraute, Beckett, Genet, et Pinter

L’Amérique de ses romans n’existe pas

Si ses romans se déroulent aux Etats-Unis, c’est pourtant pour lui un « non-lieu » : « L’Amérique dans laquelle se déroule mes intrigues n’existe pas – j’invente souvent des villes pour y situer mes romans. » Pour cet amateur de « fiction absolue », coller à une réalité a un effet stérilisant sur la création. « J’adore Peter Pan, c’est l’une de mes histoires préférées, à égalité avec Alice au pays des merveilles, car ce sont des histoires à la fois séduisantes et effrayantes, et elles se déroulent dans des univers qui, finalement, sont dangereux et cauchemardesques. Le personnage de Peter Pan est ambigu et d’une richesse incroyable. Je sens que mon travail évolue dans une direction où le lieu disparaît au profit du seul décor, du paysage. Ça me plaît. Même cette Amérique artificielle s’estompe peu à peu. »

Une conscience et une responsabilité d’écrivain

« Je crois que Margaret Atwood a écrit quelque part que l’on parle toujours de soi et de son rapport au monde, lorsqu’on écrit, quand bien même notre roman parlerait de sorcières et de dragons dans un monde imaginaire. » Ce qui est passionnant à la lecture de l’auteur de Il fait toujours minuit quelque part (2017), c’est sa capacité à faire vivre les personnages et à les inscrire dans des intrigues fortes, sans oublier d’aller à l’essentiel, en gommant tous les aspects secondaires.

Celle d’ Écoutez le bruit de ce crime est âpre. Il y a 20 ans, une série de disparitions et l’assassinat d’un enfant se sont produits aux abords d’une forêt , Un adolescent avait été suspecté alors avant d’être innocenté. 20 ans plus tard, il revient pour tenter d’élucider ce meurtre non résolu. Et réveille un passé que d’aucuns espéraient faire oublier. Loin des codes très balisés du polar, c’est en dramaturge que l’intrigue est menée. Avec des temps forts qui puisent dans les références littéraires d’un auteur qui cache bien son jeu.

« Après avoir lu les premières pages de Écoutez le bruit de ce crime, quelqu’un m’a dit avoir perçu différemment un ciel d’orage dans ses couleurs et les sons qu’il engendrait, reconnait l’écrivain. J’étais comblé. Cela étant, je ne suis pas dupe : fuir le monde réel, c’est encore le prendre en considération.

Pour éviter d’être cantonné sous une étiquette, toujours avec des projets sous le coude, Cédric a envoyé trois manuscrits aux éditions Prélude dont « même une comédie ».  L’auteur est à suivre ces prochains mois. Son carnet de lecture reflète aussi sa capacité à s’évader avec talent des sentiers battus.

Le Carnet de lecture de Cédric Lalaury

Un écrivain qui nous tient à cœur est un écrivain vers lequel on revient presque naturellement. Chaque année je lis ou relis un des auteurs suivants : Proust, Dostoïevski, Henry James, Toni Morrison, Faulkner, Joyce Carol Oates, Echenoz, Stephen King, David Vann, Christian Gailly, Salinger, Giono, Joseph Conrad, Philip Roth, James Lee Burke, Modiano. Impossible d’être exhaustif et de choisir quelques œuvres en particulier.
Cela dit, j’aimerais parler de quatre livres – ou, plutôt, trois livres et un diptyque.

Méridien de sang, de Cormac McCarthy (traduit par François Hirsch et Patricia Schaeffer). Cormac McCarthy est l’un des plus grands écrivains vivants et ce roman est un chef-d’œuvre. C’est une épopée sanglante à la lisière des États-Unis et du Mexique, au XIXe siècle. On suit le parcours d’une sorte de horde qui sème la mort et le chaos, et rien d’autre. Deux personnages ont une importance toute particulière, dans ce roman : le Gamin, qui avance vers l’âge d’homme tout au long de la narration, et le juge Holden, un homme énorme, à la peau blanche et glabre (une sorte d’avatar de Moby Dick). Ce dernier est un fascinant apôtre du néant et un orateur brillant qui possède le monde et les autres, les soumet par sa maîtrise du langage et des idées. Il est effrayant, inquiétant – intéressant au plus haut point. La force de ce roman, c’est la langue, puissante, sa poésie qui entremêle la beauté étourdissante du monde à ce qui gît de plus ténébreux dans l’âme humaine. C’est insupportable et éblouissant. La prose de McCarthy m’hypnotise.

Vers le phare, de Virginia Woolf (traduit par Françoise Pellan). Vers le phare fut ma première incursion dans l’œuvre de Virginia Woolf – et je ne l’ai jamais quittée. Il y est question des Ramsay, une famille anglaise qui, dans sa maison de campagne, se pose la question de savoir si l’on pourra se rendre au phare en bateau, le lendemain. Après cela, c’est le défilé des jours, des saisons, finalement d’une vie entière emportée par le temps. Woolf dépeint comme personne le temps qui passe sans passer, qui s’enfuit, qui fait semblant de stagner. C’est d’une beauté poignante qu’on ne peut pas oublier et d’une poésie délicate et incandescente. J’aime l’intensité avec laquelle Virginia Woolf accueille la vie sensible et se laisse envahir par le monde et les sensations, et la façon dont elle retranscrit cela dans sa prose musicale relève du prodige.

La Piscine-bibliothèque, d’Alan Hollinghurst (traduit par Alain Defossé). Une lecture très récente et dont je me souviendrai toujours. D’Alan Hollinghurst, j’avais déjà lu le magnifique roman La Ligne de beauté et j’avais attendu pour lire un autre de ses livres car il publie peu. La Piscine-bibliothèque est son premier roman et c’est un chef-d’œuvre d’intelligence doué parfois d’un grand sens comique qui fait songer à Proust et à Henry James.
Il n’y a pas vraiment d’histoire. On suit quelques mois durant la vie de Will, un jeune Londonien homosexuel de vingt-cinq ans, riche et sans emploi, qui passe son temps à fréquenter une piscine où il rencontre ses jeunes amants, et c’est d’une sensualité brûlante et crue. Des circonstances tragi-comiques placeront sur son chemin un vieux Lord octogénaire qui fera de lui son biographe, ce qui sortira – à peine – Will de son oisiveté. C’est le Londres homosexuel des années 80 qui nous est dépeint, avec la légèreté qui précède la noirceur des années sida.
Plus profond qu’on ne le croit, ce roman aborde avec une grande finesse le problème du racisme, de l’homophobie, de la crise sociale et sociétale qui couve. J’ai follement aimé Will, à la fois cynique et naïf, obsédé sexuel et avide d’amour, et je me suis senti proche de lui. Alan Hollinghurst est sans aucun doute l’un des plus grands écrivains de sa génération et l’un des meilleurs stylistes.

L’Année de la pensée magique,
Le Bleu de la nuit, de Joan Didion (traduits par Pierre Demarty).

Deux récits autobiographiques poignants d’une grande figure de la littérature américaine. Essayiste et romancière reconnue depuis son célèbre Album blanc, c’est sa vie personnelle qui a amené Joan Didion à écrire ces deux œuvres magnifiques. Sous le signe d’un double deuil – celui de son mari dans L’Année de la pensée magique et celui de sa fille unique dans Le Bleu de la nuit – elle sonde le gouffre de la folie qu’elle frôle dangereusement, elle dissèque ses sentiments, l’instant fatal de la mort de son mari, la longue marche vers la mort de sa fille, elle analyse ses réactions et celles des autres qui l’entourent – en vain, car on est toujours seul avec sa douleur quand on perd ceux qu’on a le plus aimés au monde.

Le style est précis, tout en retenue quand soudain, au détour d’une phrase, Joan Didion écrit avec la simplicité la plus nue qu’elle a le cœur brisé, et que c’est comme ça. Il est rare de lire des œuvres dans lesquelles la beauté et l’intelligence, la lucidité et la sensibilité atteignent de concert de tels sommets. Ces livres furent de grands succès mérités qui permirent à la France de redécouvrir Joan Didion et de rééditer ou traduire ses œuvres dont le public français était jusqu’alors privé – une œuvre que je place très haut et que je recommande.

Références bibliographiques

Écoutez le bruit de ce crime, Cédric Lalaury. Éditions Préludes. 448 p. 18,90€

Il est toujours minuit quelque part, Cedric Lalaury

Quand il put mettre ce mot tout simple sur le malaise horrifié qui l’envahissait, il se fit la réflexion qu’il l’avait toujours employé sans en connaître le sens profond jusqu’à ce jour. Peut-être en allait-il de la peur comme de l’amour : on en parlait trop souvent sans l’avoir jamais rencontrée.

Il jurait dans ce paysage comme une toile de Soulages égarée dans une exposition consacrée à Botero.

Que les ombres passent aux aveux, Cedric Lalaury

Partager

Articles similaires

Le carnet de lecture de Mathieu Herzog, chef & Léo Doumène, directeur de Appassionato.

Voir l'article

Le carnet de lecture de Florentine Mulsant, compositrice

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Hanna Salzenstein, violoncelliste, E il Violoncello suonò (Mirare)

Voir l'article

Le carnet de lecture d’Emmanuel Coppey, violoniste, PYMS Quartet

Voir l'article