Culture

Le mythique label Blue Note Records réinvente son prestigieux patrimoine

Auteur : Ezéchiel Le Guay
Article publié le 6 octobre 2020

[Découvrir le plus grand label de musique de jazz] L’ album Blue Note Re:Imagined, du mythique label de jazz Blue Note Records crée en 1939 n’est pas une anthologie comme les autres. Il réussit la gageure à rendre un hommage aux artistes qui ont contribué à sa renommée tout en mettant en valeur de jeunes talents de la scène actuelle.  Pour un véritable manifeste pour le renouveau du jazz.

En 2012, le mythique label Blue Note Records créé en 1939 accueille son nouveau président, Don Was. Le producteur, né en 1952, doit faire face à un défi de taille, voir écrasant  : aller vers l’avant sans se laisser étouffer par ce qui a été réalisé. Comme le dit Richard Havers, l’auteur de l’indispensable livre Blue note : Le meilleur du jazz depuis 1939 : « Les maisons de disques sont comme des êtres vivants. Pour prospérer, elles doivent aller de l’avant : ne jamais rester immobiles, ne jamais revenir en arrière ».

Sur les murs, les pochettes des plus grands albums du label – de Miles Davis, John Coltrane, Thelonious Monk ou encore Herbie Hancock … – lui rappelle aussi la prestigieuse signature visuelle forgée par les photographies du cofondateur Francis Wolff et la ligne graphique de Reid Miles qui en a fait la parfaite incarnation du « cool » (Richard Havers). Avec un enjeu stratégique de taille : « Recréer la musique des années 1960 est une erreur (…) Développement et révolution sont les purs résultats de l’aventure jazz » revendique Don Was et choisit une ligne de crête risquée entre le patrimoine à valoriser d’un côté, le futur du jazz à dessiner de l’autre.

Rebondir avec l’ancien par le nouveau

L’album Blue Note Re:imagined se veut une sorte de manifeste ; il trouve un formidable équilibre entre l’ancien et le nouveau. Il remet au goût du jour les meilleurs enregistrements d’hier (Donald Byrd, Herbie Hancock, Wayne Shorter) tout en mettant en lumière de jeunes talents (Erza Collective, Jorja Smith, Yazmin Lacey). Ces derniers réinterprètent, à leur manière, en y ajoutant des touches de hip-hop et de funk, les morceaux cultes du label :  Wind Parade, Footprints, Watermelon Man, Rose rouge. Pour se rendre compte de la réussite, le morceau du trompettiste Donald Byrd (1932-2013) , enregistré en 1975, issu de l’album Places and Spaces :

En regard, avec sa réinterprétation par le jeune Jordan Rakei, 28 ans, un talent tout droit venu de Nouvelle-Zélande :

Autre exemple, une composition du saxophoniste Wayne Shorter (1933), enregistrée pour la première fois en 1966 dans l’album Adam’s Apple :

En voici une version neuve, tout droit sortie d’un groupe de hip-hop, Ezra Collective, dont la musique prend ses racines dans le hip-hop et l’afrobeat : « Footprints est une chanson que nous avons apprise à l’adolescence et que nous n’avons pas laissée de côté depuis. C’était l’occasion idéale de rendre hommage à un de nos héros, Wayne Shorter, et de raconter le chemin que nous avons parcouru en tant que groupe depuis cette période. »

Retour en arrière : un débat vieux comme le label

Au sein du label, il y a toujours eu un conflit entre l’ancien et le moderne, deux approches qui ont toujours trouvé leurs défenseurs. En 1949, le jazz vient subir une onde de choc : la naissance du bebop grâce à Dizzie Gillespie et Charlie Parker.
Pourtant, Alfred Lion (1908-1987)  le cofondateur du label avec Franck Wolff préfère enregistrer le clarinettiste Sydney Bechet, un des plus grands représentants du jazz Nouvelle-Orléans, un style né dans les années 1910 ! D’un côté, les puristes font du jazz Nouvelle-Orléans un pilier intouchable qu’il ne faut en aucun prétexte abattre. De l’autre, les amateurs du bop prônent la nouveauté et le changement dans le jazz et font du bebop la nouvelle référence…
En 2020, ce débat sur la nature de la musique reste intact,  peut être sous d’autres formes.

La qualité avant toute chose

Dés sa création en 1939, le label a fixé les bases de ce qui restera jusqu’à aujourd’hui la philosophie de la maison : « le jazz sans concessions ». Cette exigence affirme deux dynamiques. D’abord, la musique prévaut sur les considérations financières. Alfred Lion répétait sans cesse : « ce n’était pas une question d’argent ». Quand il s’agissait d’enregistrer des artistes qui lui plaisaient, « il se moquait de savoir combien d’argent il ferait ou perdait » résume le producteur Michael Cuscuma.

Autre caractéristique du label, ne jamais faire de compromis sur la qualité. A la différence de la plupart de ses autres labels concurrents, Blue Note incluait toujours le temps de répétition dans le planning de production, ce qui augmentait bien sûr les coûts. Mais cette exigence pour la qualité s’entend et a permis de fidéliser les plus grands !   Pour s’en rendre compte, voici une délicieuse version de Like Someone in Love tirée de l’album du saxophoniste Dexter Gordon (1923 – 1990) Our Man in Paris (1963) avec en prime le délicat jeu de Bud Powell (1924-1966) au piano :

Pour aller plus loin avec Blue Note

Le lien Spotify vers la playlist de l’album Blue Note Re:imagined

A lire

Blue note : Le meilleur du jazz depuis 1939, Richard Havers, Editions Textuel, 2014 Indispensable et merveilleux hommage à l’occasion des 75 ans du label pionnier en matière de techniques de prise de son, et de recherches visuelles.

Blue Note, photograhies de Francis Wolff, Michael Cuscuma, Editions Flammarion, 288 pages, 2014. Pour découvrir le talent du cofondateur du label à capter le jazz en images.

A voir

Blue Note Records: Beyond the Notes de Sophie Huber. Documentaire éclairant sur l’aventure du label

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