Culture

Jazz : Le duo Diego Imbert et Alain Jean-Marie revisite brillamment Bill Evans

Auteur : Ezéchiel Le Guay
Article publié le 19 novembre 2020

Avec « Interplay – The Music of Bill Evans », le contrebassiste Diego Imbert (1966) et le pianiste Alain Jean-Marie (1945) rendent un hommage émouvant au duo que Bill Evans (1929-1980) a formé avec Eddie Gómez (1944) pendant plus d’une décennie. Leur enregistrement chez Trebim Music s’inscrit-il dans la lignée stylistique de ces deux colosses du jazz ?

Une formation à l’alchimie mystérieuse

« La formule du duo piano/contrebasse est l’une des plus ouvertes, donc des plus risquées du jazz. Tout peut y arriver, sans prévenir, le pire comme le meilleur, écrit Pascal Anquetil sur le site du label Trebim Music à propos d’ Interplay – The Music of Bill Evans. Nul filet pour cet exercice de haute voltige où chacun des deux équilibristes se doit d’être constamment à l’affût, dans l’écoute extrême de l’autre, sans les moindres écarts de présence ou baisse d’attention. ». Pourquoi le contrebassiste Diego Imbert et le pianiste Alain Jean-Marie ont-ils pris le risque de rendre hommage au duo Bill Evans/Eddie Gómez ?

La rencontre du maître Eddie Gómez

A la fin des années 1990, Diego Imbert fait un stage qui le marque profondément. La raison est simple, Eddie Gómez en est l’animateur. « Grâce à [Eddie Gómez], j’ai appris que virtuosité pouvait rimer avec liberté et musicalité. J’ai aussi compris que sur l’instrument il n’y avait aucune limite, sinon celles que l’on se met tout seul dans la tête ».

En plus de cela, Diego Imbert manifeste une profonde passion pour la musique de Bill Evans. Il propose donc l’idée à Alain Jean-Marie qui accepte, non sans cacher sa crainte. « L’insistance amicale de Diego m’a convaincu d’accepter son invitation à dialoguer avec lui en m’encourageant à ne surtout pas chercher à jouer comme Bill, ce que je n’aurais jamais su faire, mais à revisiter en sa compagnie son répertoire à ma manière, avec mes harmonies, mes ‘voicings’ ». Le défi est donc de taille : jouer une quinzaine de morceaux de Bill Evans en lui restant fidèle et en ajoutant une touche personnelle.
Mais comment se caractérise le jeu de Bill Evans au juste ?

Un jeu clair et compréhensible

Dans le documentaire de 1966 intitulé The Universal Mind of Bill Evans, Bill Evans explique que de nombreux pianistes se perdent dans des improvisations trop fournies qui finissent par ne laisser qu’une idée vague, approximative et confuse. Celle-ci est trop générale, trop abstraite, elle ne permet pas de construire quelque chose par-dessus.
Pour ne pas tomber dans cet excès de notes, le pianiste préconise des improvisations plus simples qui permettent à l’attention de se fixer plus facilement. Le jeu est alors plus réel. Le musicien sait ce qu’il fait, c’est précis. Alain Jean-Marie respecte cet esprit comme la lettre de cette simplicité. Il n’en dit pas trop, ne s’emporte pas. Son jeu est clair, compréhensible.

Interplay, le délicat équilibre entre deux musiciens

Un des leitmotivs dans le discours de Bill Evans est que lorsqu’il joue avec d’autres personnes, tout ne doit pas tourner autour de lui, il n’est qu’un musicien parmi les autres (cf. 4 légendes pour aimer le jazz (II)). Autrement dit, en trio, ces derniers ne sont pas des accompagnateurs (sidemen) ; ils font partie d’un trio. C’est dans le jeu que cette philosophie égalitaire s’incarne le mieux. Il voulait à tout prix que chacun se sente libre. Pour la contrebasse, qu’elle ne se cantonne pas à une « walking bass » (cf. Connaître le jazz…) monotone, simple et sans âme. Il voulait plutôt qu’elle se sente plus libre d’improviser à tout moment et de se faire entendre davantage. Autrement dit, le trio était pour lui le lieu de la conversation, de l’interaction ; d’où le titre de l’album Interplay (1963) repris par Diego Imbert et Alain Jean-Marie.

Dans l’enregistrement qui suit, tiré de du très célèbre album Portrait in Jazz (1959), Scott Lafaro montre à quel point il arrive sortir du rôle auquel la contrebasse était prédestinée avant lui.

Le contrebassiste Diego Imbert réussit à trouver sa place, son point d’équilibre grâce à cet exercice complexe qu’est le duo. Sur le morceau Nardis par exemple, le duo joue le thème en même temps, preuve peut-être que Diego Imbert cherche à se hisser au même rang que le piano. Son accompagnement est proactif. Il est malgré tout dommage qu’il ne se soit pas plus lâché durant ses phases d’accompagnement.

Pour aller plus loin avec Evans et Imbert

Interplay, The music of Bill Evans, Trebim Music, 2020

A écouter

  • Intuition (1975) de Bill Evans et Eddie Gómez surtout A Face Without a Name
  • Another Time: The Hilversum Concert (2017) de Bill Evans, Eddie Gómez et Jack Dejohnette
  • Ménage à trois (2016) d’Enrico Pieranunzi, André Ceccarelli et Diego Imbert
  • Afterblue (2009) d’Alain Jean-Marie

Prochains concerts (si les conditions sanitaires le permettent) :

  • 1er avril 2021, Bal Blomet, Paris, Diego Imbert et Alain Jean-Marie

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