Culture
La Comédie Humaine de Balzac prend vie avec les voix d’Arnaud Marzorati et ses Lunaisiens (cd Alpha)
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 3 décembre 2024
Dans sa Comédie humaine, Balzac a croqué une galerie de portraits littéraires dont beaucoup sont devenus des archétypes : de Rastignac à Eugénie Grandet, de Vautrin à Diane de Maufrigneuse… Tous ont leur double ou leur miroir dans le patrimoine des chansonniers qu’explorent Arnaud Marzorati et ses Lunaisiens. Avec la gourmandise sonore qui caractérise leur travail, les complices rejoints par un trio de chanteurs magnifiques: Lucille Richardot, Cyrille Dubois et Jérôme Vannier offrent pour Olivier Olgan, une invitation à revenir à Balzac et à y plonger (cd Alpha) « Les Tubes de Monet » les 19 et 20 décembre à Gonesse crée le panorama sonore qui entourait le créateur des Nymphéas. Arnaud Marzorati nous a confié sa passion balzacienne et sa conviction que le beau chant français peut la valoriser.
Quelle est votre admiration pour Balzac et sa Comédie Humaine ?
Je peux puiser dans cette œuvre en toute sécurité. Me saisir d’un de ses livres sans réfléchir, sans appréhender, sans me dire que j’aurais dû lire autre chose. Balzac m’accompagne depuis le lycée et je puis dire qu’il est un bon guide. Parfois, un rien trop bavard…mais que ferait-on d’un guide silencieux ? C’est le plus excentrique des grands classiques et c’est sans aucun doute le plus moderne des anciens.
La démarche des Lunaisiens est contextualisée par la chanson. Une icône comme Napoléon ou un univers littéraire comme celui de Balzac conviennent-ils mieux à d’autres figures ou romanciers du XIXᵉ siècle ?
Il aurait été sans doute plus facile de commencer par un programme dédié à l’univers de Zola. Les personnages des Rougon-Macquart ont davantage inspiré les chansonniers que Balzac ! Il y a en effet des chansons sur la Bête humaine, sur Thérèse Raquin… L’idée me titille un petit peu, mais il serait traité de façon plus politique, même si des ouvrages existent déjà sur Zola et la chanson. Ce serait paradoxalement presque plus facile à faire que pour Balzac.
Pourquoi ce programme dédié à la « Comédie humaine » alors qu’aucun de ses personnages n’a inspiré de chansonnier ?
Cela va même plus loin ! Balzac s’est effectivement risqué à demander une chanson au plus grand auteur de son époque, Pierre-Jean de Béranger (1780-1857) alors qu’il ne tenait en haute estime ni son art et ni sa personne. Eh bien c’est Béranger qui n’a pas donné suite parce qu’il s’en fichait ! C’est une image de la littérature complètement inversée qui m’amuse beaucoup.
La chanson était plus populaire que le roman.
Bien évidemment nous avons repris plusieurs de ses chansons. Béranger n’en était pas moins le plus grand chansonnier de son temps, mais comme l’écrit l’universitaire Romain Benini dans le livret du cd, « celui qui a modifié l’histoire de la chanson en lui permettant de parler de tout et sur tous les tons, celui qui a fait entrer la chanson sous tous les toits, et celui que tout le monde apprenait et connaissait pendant que Balzac écrivait ».
Les chansons du disque entrent presque plus en dissonance qu’en résonnance avec la pensée du romancier.
L’ambition tenue est-elle de faire entendre « la Comédie humaine » de l’ère balzacienne ?
Notre projet est d’ouvrir des « voix » – au sens propre et figuré – qui dialogueraient avec le grand œuvre romanesque. Nos balades plongent au cœur d’une époque, et tentent d’en brosser les contours. C’est vrai qu’aucun personnage balzacien ne s’incarne dans ce répertoire, à l’exception de Vautrin le chef des Dix-Mille aux multiples noms qui est si essentiel à La Comédie humaine.
L’ancien forçat de Balzac est en effet l’un des personnages qui chante le plus de chansons. Il entonne par exemple, en embrassant le front d’Eugène qui s’est endormi à côté du Le Père Goriot, Dormez, mes chères amours, célèbre romance d’Amédée de Beauplan, en vogue dans les années 1820.
Nous sommes attachés à l’ambiance des lieux, ce que les romans disent du paysage sonore de leur époque.
Ainsi quand on retrouve Vautrin, c’est à̀ l’écoute de la Chanson de Winter, consignée dans les Mémoires du fameux Vidocq ; elle est attribuée par Romain Benini qui me l’a fait découvrir « à Winter, ‘un de ces individus qui cumulent les professions de voleur et de chevalier d’industrie’, véritable aventurier romanesque, venu ‘à Paris où ses exploits, soit comme escroc, soit comme filou.’ »
Avez-vous fait des découvertes dans ce répertoire à part la chanson de Winter ?
C’est un programme de « vieux grognard », construit avec du vécu, la passion et la fréquentation de ce patrimoine chansonnier et de Balzac que je n’aurais pas fait en tant que jeune interprète.
J’ai l’impression que nous sommes arrivés à bien le faire apparaître à travers de ‘petits objets sonores’ bien polis qui dessinent un autre Balzac, celui du quotidien.
Je ne suis pas un chercheur au sens « rat de bibliothèque ». De plus en plus, il y a des universitaires spécialistes comme Romain Benini qui a écrit sa thèse sur Béranger, qui m’accompagne dans cet aspect du travail. J’ai accumulé pléthore de chansons des XVIIIe – XIXe que je côtoie depuis des décennies. Une fois le thème choisi, il y a une évidence qui s’installe. Les chansons s’agrègent, celles que Romain propose, et celles que j’ai envie d’une manière ou une autre de faire vivre.
Ce qui fait aussi la « patte » des Lunaisiens, c’est son travail sonore à travers l’instrumentarium toujours bien choisi ?
Pour chaque projet, je constitue une formation ad hoc pour obtenir des couleurs spécifiques, l’instrumentarium m’est souvent inspiré par des gravures de l’époque. Ce qui m’aide énormément, pour capter une ambiance, ce sont des réminiscences de l’iconographie. Ainsi la clarinette, bien plus populaire que le violon, est très jouée dans les rues. Elle est parfaitement complémentaire de la vielle à roue et la guitare, toutes jouées par des Lunaisiens fidèles. Le « petit nouveau », le clarinettiste Christian Labori avec qui j’ai fait Mozart et de l’opéra, s’est lui aussi imposé comme nécessaire.
Ce qui fait la spécificité de ces instrumentistes et des chanteurs de chaque programme des Lunaisiens, c’est de leur qualité d’improvisateurs. N’oublions pas que souvent nous n’avons que les mots et rarement les musiques qui vont avec, ou inversement ! A nous d’aller au-delà, de les faire vivre.
Pour cette « Comédie humaine » vous vous appuyez sur un trio remarquable de chanteurs : Lucille Richardot, Cyrille Dubois et Jérôme Vannier ?
C’est un immense plaisir de côtoyer ces chanteurs d’excellence avec lesquels je me permets de construire différents programmes.
C’est important de montrer que le beau chant français peut valoriser ce répertoire, répertoire lui appartient aussi en quelque sorte.
Quand on a une Lucile Richardot qui chante « Ma grand-mère » de Béranger, c’est quand même génial ! Cyrille Dubois chantant Le Livre de Pierre Dupont, c’est montrer que la poésie populaire peut encore émouvoir, alors que quand on lit Dupont sans la musique, il paraît complètement suranné.
Chaque chanson appelle un pari lyrique. Jérôme Varnier, qui a vraiment une grande base d’opéra nous a un petit cadeau, avec un petit contre la grave ! Ce qu’on entend assez rarement d’une basse française. C’est plein de petites choses comme ça qui sont autant de trésors que le mélomane peut découvrir.
Si j’ai une conviction à transmettre aux jeunes générations de musiciens et de chercheurs en musique et en littérature, c’est qu’on n’a pas fini de découvrir le potentiel de ce patrimoine.
Où recherchez-vous à nous emmener dans Balzac ?
Quand on a affaire à de l’impalpable, ce qui compte, c’est de s’amuser pour recréer. Je travaille beaucoup plus en « pictural » qu’en « musical ». Mon impulsion est de partager des images, de leur transmettre mon plaisir de lecteur balzacien et la diversité d’ambiances de cet univers. Pour moi, c’est capital, c’est ma grande liberté, de se dire on invente, on donne nos coloris.
Il y a une invitation à revenir à Balzac et à être dans Balzac. A nous de récréer ses chansons « favorites » avec de véritables tableaux sonores.
Propos recueillis le 13 novembre 2024 par Olivier Olgan
Le carnet de lecture (II) d’Arnaud Marzorati
La Comédie Humaine, de Balzac.
Je peux puiser dans cette œuvre en toute sécurité. Me saisir d’un de ses livres sans réfléchir, sans appréhender, sans me dire que j’aurais dû lire autre chose. Balzac m’accompagne depuis le lycée et je puis dire qu’il est un bon guide. Parfois, un rien trop bavard…mais que ferait-on d’un guide silencieux ?
C’est le plus excentrique des grands classiques et c’est sans aucun doute le plus moderne des anciens.
Voyage au bout de la nuit, de Céline.
C’est un livre qui m’a choqué, au bon sens du terme, comme j’imagine que Le Sacre du Printemps de Stravinsky a pu choquer son public à sa création. A la première lecture du « Voyage », j’ai compris que la Littérature ne serait plus jamais la même. Pour celles et ceux qui n’ont pas lu Céline, je leur conseille vivement ce « Voyage » même si je ne suis pas une agence touristique.
Chien Blanc, de Romain Garry
Il m’a bouleversé. J’adore cet écrivain. Cet ouvrage nous révèle jusqu’où la bêtise et la haine peuvent culminer chez l’humain pour faire de l’animalité quelque chose de désastreux. De plus, dans ce livre circule la magnifique actrice Jean Seberg, idéal féminin de la Nouvelle vague, mais également militante et activiste qui s’opposa à toute forme de racisme.
Un Roi sans divertissement, de Giono
Une lecture d’adolescence qui me fit découvrir à quel point il pouvait être dangereux de s’ennuyer. On peut mourir d’ennui mais aussi tuer ! Par bonheur, j’ai toujours avec moi des livres, des disques et des films qui me font oublier ce qu’est l’ennui.
En revanche, flirter avec le rêve et l’oisiveté, voilà une chose qui ne me déplaît pas. Ne rien faire amène parfois à la contemplation.
Möricke Lieder, d’Hugo Wolf, avec Dieskau et Gerald Moore.
Fischer Dieskau demeure l’un des plus grands interprètes de la forme Lied. J’ai été stupéfait de voir un documentaire où l’on découvre ce chanteur qui fume cigarette sur cigarette tout en enregistrant des lieder de Wolf qui sont d’une grande difficulté technique. J’en ai eu le souffle coupé. Il y a des chanteuses et des chanteurs qui dépassent l’entendement. Mais on les écoute quand même avec dévotion.
Léo Ferré chante Verlaine et Rimbaud.
J’adore les trémolos de ce chanteur qui se voulait lyrique mais qui fut bien plus qu’un chanteur lyrique car Léo est Ferré ! J’aime ses chansons, bien sûr… mais ses musiques écrites sur les grands poètes me charment, même si parfois elles sont un rien désuètes. Et le désuet me rend aimant tandis que Ferré me transforme en révolutionnaire. Je deviens Che !
Carmina Burana, de Carl Orff, par Eugen Jochum 1967.
Saisi dès mon plus jeune âge par la rythmique de ce monument de Carl Orff, personnage assez contestable mais musique phénoménale. Je pense qu’on m’a donné le biberon sur ce vinyle… C’est une œuvre qui vous transporte au moyen-âge sans pour autant y aller historiquement. C’est une épopée fulgurante qui invite à boire, à aimer et à méditer !
C’est une œuvre à chanter en chœur lorsqu’on aime chanter avec son cœur.
My Funny Valentine, par Chet Baker
J’aime les musiques qui me font fondre comme du sucre. J’aime me dissoudre dans l’heureuse nostalgie. Etre en état de mélancolie tout en sachant que je ne vais pas y rester. Chet Baker me fait le même effet qu’un morceau chambriste de Schubert. Les 2 cordes de sa voix, le souffle de sa trompette et la chanson d’amour qu’il nous susurre. Susurrer le fond des choses, un truc comme ça.
Propos recueillis le 13 novembre 2024 par Olivier Olgan
Pour suivre Arnaud Marzorati et ses Lunaisiens
le site des Lunaisiens et sa chaîne youtube
19 et 20 décembre, Les Tubes de Monet, Gonesse, conception, mise en scène, texte, scènographie et pop-up : Damien Schoëvërt-Brossault, Chant : Anne-Lise Polchlopek & Arnaud Marzorati, au Piano : Nicolas Royez
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