Vins & spirits

La Lorraine, une région qui entame sa renaissance viticole

Auteur : Mohamed Najim et Etienne Gingembre
Article publié le 16 décembre 2021

[Les pépites de la révolution viticole (8)] Après le Bordelais, la Bourgogne, et la Champagne, Mohamed Najim & Etienne Gingembre, auteurs de Quand le vin sa révolution rappellent que la Lorraine au vignoble replanté sur 180 hectares, a réappris, entre Toul, Metz et la Meuse, à vinifier des pépites, comme en témoignent les Domaine des Béliers, de Muzy et Régina.

La Lorraine a un grand passé viticole.

Avec « la bulle rose», le Domaine des Béliers s’affirme dans les effervescents.

En 1562, le cardinal et évêque de Metz emporta du vin de Moselle au concile de Trente. Les prélats furent si enchantés par ce nectar qu’ils le baptisèrent « le roi des vins ». Sous Napoléon III, elle alignait encore 48 000 hectares de vignes, soit une fois et demie l’étendue de la Champagne actuelle. Mais en ce XIXe siècle, ses vignobles s’étaient déjà beaucoup dégradés. Metz ne faisait plus de vin pour les cardinaux ou les rois, mais plutôt pour les estaminets. C’étaient des petits blancs acides, peu alcoolisés, et qui coûtaient trois sous, que l’on vendait aux ouvriers de l’agriculture et de la révolution industrielle.

Mais à Toul – ville située à 25 km à l’ouest de Nancy – ou dans la Meuse, on a discrètement approvisionné la Champagne quand cette région de prestige a été ravagée par le phylloxéra. Ben oui, les maisons de Champagne manquaient de raisin. A l’époque, la Lorraine viticole était pourtant en pleine déconfiture, parce que le chemin de fer avait donné aux mineurs et aux sidérurgistes le goût des rouges plus alcoolisés du Midi méditerranéen. Si bien qu’après la Seconde Guerre mondiale il ne restait plus que trois ou quatre hectares de vignes entre Metz et Toul.

Une poignée de vignerons opiniâtres s’est accrochée.

Jusqu’à la fin des années 1980, époque où nous datons le début de notre révolution viticole, Toul produisait du vin de garnison pour abreuver les soldats qui attendaient sur les marches de l’est une hypothétique offensive du Pacte de Varsovie. Elle ne s’est fort heureusement jamais produite si bien que les vignerons lorrains se sont opportunément décidés à produire des vins de meilleure qualité.

Vue des vignes du Domaine de Muzy
Lorsqu’à Combres-sous-les-Côtes, dans la Meuse

Il faut dire qu’aujourd’hui, mais déjà dans les années 1990, les blancs les plus chers du monde – et incontestablement parmi les plus délicieux – étaient des vins de Moselle. Mais pas des nectars issus des bancs de la rivière aux environs de Metz, comme jadis ceux du concile de Trente. Il s’agit des vins de la Moselle allemande, cultivés près de Trèves ou aux environs de Coblence, comme les rieslings que les domaines Egon Müller et Joh. Jos. Prüm vendent jusqu’à 6 000 euros la bouteille.

Alors, il y a une vingtaine d’années, les villages du Toulois, comme Bruley, comme Lucey, comme Bulligny, ont décidé que le gris de Toul n’était pas un horizon indépassable.
Plus au nord, autour de Metz et jusqu’à Schengen, de jeunes vignerons se sont mis dans le sillage de Norbert Mozolay, leur locomotive du Château de Vaux, pour replanter les coteaux de la Moselle, réussissant à produire des blancs, des rouges et des bulles fichtrement séduisants.
A l’ouest de Metz, au delà de la plaine de la Woëvre, quelques villages, blottis sous côtes de Meuse, comme Saint-Maurice au pied de la Crète des Eparges, sont eux aussi en train de renaitre à la viticulture.

Venus de l’informatique; qu’Isabelle et Jean-Michel Mangeot ont cassé les codes pour lancer une jolie révolution.

Auxerrois AOC cuvée Prestige, Domaine Régina

L’Auxerrois AOC cuvée Prestige qu’Isabelle et Jean-Michel Mangeot vinifient à Bruley, en Meuthe-et-Moselle, est un blanc aromatique, souple, à l’acidité bien équilibrée. Créé en Lorraine au début du XIXe siècle, ce cépage blanc cousin du pinot donne des vins qui se dégustent à l’apéritif ou accompagnent idéalement le sandre et les autres poissons de la Moselle.

Coup de cœur du Guide Hachette, médaillé d’or ou d’argent au Concours général agricole, cet Auxerrois cuvée Prestige à 9 euros est une véritable bête de concours. Isabelle et Jean-Michel proposent aussi un pinot noir et un gris de Toul multimédaillés.

Domaine des Béliers d’Eve Maurice, à Ancy-sur-Moselle, près de Metz participent à la renaissance des vignobles de Lorraine

La Bulle Rose, Domaine des Béliers

Eve Maurice a inventé « la bulle rose», un pétillant de gamay plein de fraîcheur, d’arômes, de saveur et de gourmandise (à 12 euros), preuve que la Lorraine a son mot à dire dans les effervescents. D’ailleurs la région songe à adhérer à la Fédération des crémants de France.
Après un BTS de viticulture-œnonologie à Beaune suivi de l’école d’ingénieurs de Changins, en Suisse, Eve a repris, en 2008, les commandes du domaine planté  par son grand-père et son père en 1983. Elle a construit un chai, l’a équipé de technologies up-to-date et conduit ses 5 hectares en viticulture bio pour proposer des vins « sincères et joliment dessinés, sertis de belles acidités qui donnent du rebond à la matière », commente la Revue du Vin de France. Sa satisfaction n’est pas égoïste : « Avec les autres vignerons, on montre que la Lorraine a des atouts pour renouer avec son ancienne tradition viticole », lâche la jeune femme.
On ne saurait en douter.

La famille Liénard Jean-Marc et Véronique Liénard et Léo-Paul, leur fils, et Angélique, leur belle-fille propose de stimulantes cuvées bio.

Le pinot noir, Domaine de Muzy

Lorsqu’à Combres-sous-les-Côtes, dans la Meuse, ils travaillent leurs 11 hectares de vignes, Jean-Marc et Véronique Liénard ramassent souvent de la ferraille. Ce sont des éclats d’obus et de schrapnels dont la Grande Guerre a truffé la Crète des Eparges, où sont tombés 20 000 soldats français et allemands. Les Liénard connaissent par cœur l’histoire de leur terroir. Ils savent aussi que ce paysage meurtri est capable de produire des vins exquis.
Mais est-ce un paradoxe ? Avec Thibaut et Léo-Paul, leurs fils, Angélique, leur belle-fille, les Liénard proposent une gamme de blancs, de rouges et de pétillants « frais, fruités, allègres et singuliers, gourmands et fringants dans leur jeunesse, profonds dans leur maturité », selon Le Figaro.

Des cuvées bio vendues au domaine entre 5,50 et 12,50 euros. Le quotidien parisien en pince surtout pour le pinot noir « intense à l’oeil, expressif et précis au nez, ample, rond et long, aux saveurs complexes de fruits rouges ou noirs, de cerises et de mûres ».

Où trouver les pépites lorraines 

Lire : Quand le vin fait sa révolution, Etienne Gingembre et Mohamed Najim, Ed. du Cerf, 2021, 288 p., 20€, et sa « constellation de vins d’exception, de vins de gourmandise, de vins de saveurs, de vins d’émotion »

  • Domaine des Béliers, 52 Rte de Gorze, 57130 Ancy-Dornot – Tél. : 03 87 30 90 07
  • Domaine de Muzy, 3 Rue de Muzy, 55160 Combres-sous-les-Côtes – Tél. 03 29 87 37 81
  • Domaine Régina, 350 Rue de la République, 54200 Bruley – Tél. : 03 83 64 49 52

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