Culture

Le carnet de lecture de Pascal Amoyel, pianiste, auteur et comédien, de Beethoven à Chopin

Auteur : Olivier Olgan
Article publié juillet 2020 revue novembre 2024

Artiste rare autant que pianiste libre (l’inverse est vrai aussi), Pascal Amoyel ne se contente pas d’être l’un des plus fins interprètes de Beethoven, Chopin, Liszt, Scriabine et Alkan, pour ne citer que cinq géants dont ses enregistrements sont des références récompensées par de nombreux prix. Il se fait comédien dans des seul en scène où il fusionne les rôles d’acteur dramatique et de pianiste, pour de véritables récits intimes et initiatiques. Après « Cziffra, Le Pianiste aux 50 doigts« , « Le Jour où j’ai rencontré Franz Liszt » et « Looking for Beethoven« , c’est à « Leçon de piano avec Chopin » (Théâtre du Ranelagh jusqu’au 12 janvier 25) qu’il nous convie pour nous brosser une interprétation de l’homme Chopin derrière les idées reçues. Il a pris le temps de confier à Olivier Olgan dans son carnet de lecture, que la musique n’a de sens que partagée pour s’accomplir en une aventure mystique. 

Le pianiste n’hésite pas à incarner plusieurs personnages pour faire revivre Beethoven. Photo © Christian Visticot

Si Liszt inventa le récital, Pascal Amoyel invente le ‘récit musical’. Après ‘Cziffra, le pianiste aux 50 doigts‘, « Le jour où j’ai rencontré Franz Liszt » et « Looking for Beethoven » le pianiste français a trouvé – à côté d’une discographie originale – la recette gagnante du récital pianistique associant musique, récit personnel et histoire musicale. La réussite est telle qu’il s’est mué en directeur artistique du Festival Notes d’Automne du Perreux sur Marne pour inciter les vocations pluridisciplinaires à créer d’autres formes de spectacles musicaux afin de plonger le public de façon immersive dans la musique.

Singulars avait salué son ‘Looking for Beethoven’ qui ouvrit l’année Beethoven. Il est heureux que le pianiste-acteur poursuive sa dynamique si personnel de partage musical avec « Leçon de piano avec Chopin« .
Son carnet de route en constitue une élégante introduction.

Pourquoi (fais-tu de) la musique ?

Il y a une question sous-jacente à toutes les autres, qui est probablement la cause de toute émotion, le vecteur de tout sentiment, et dont l’absence de réponse est l’explication de tous les faits, c’est la question: « Pourquoi ? ». Pourtant, l’apprentissage de la plupart des disciplines en requiert principalement d’autres : quoi, comment, où et quand.

La première question du pédagogue au disciple ne devrait-elle pas être : pourquoi fais-tu de la musique? Cette question provoque alors un retournement de l’esprit jusqu’à son propre centre, comme un noyau qui irradie. Plonger tête baissée dans le mystère du pourquoi – sans tenter d’y apporter une réponse à tout prix – c’est faire une chute en arrière. C’est tomber dans la non connaissance. Cette chute merveilleuse est le point de départ indispensable vers ce qu’on appelle l’inspiration.

Elle nous ramène à ce qu’on est vraiment, le regard qui regarde avant de se savoir regardant, l’écoute qui écoute avant de se savoir écoutante. Moi qui suis musicien depuis des décennies, je ne sais pas toujours ce qu’est la musique.

Pourtant ce n’est pas faute d’avoir émis un nombre considérable d’hypothèses ! Comment le savoir, ou plutôt comment le ressentir ? Se mettre à la place des premiers hommes qui dessinaient dans les grottes pourrait être un élément précieux de réponse. Jean Clottes dans « Pourquoi l’art préhistorique? »  tente un rapprochement passionnant entre l’art pariétal paléolithique et la magie, à travers notamment la distanciation corps et esprit des chamanes.

Observons l’art des magiciens.

Celui-ci nous rappelle soudainement que nous vivons au milieu d’un mystère total, qui échappe au mots. Nous sommes devenus de plus en plus inconscient à ce mystère.
Lorsqu’un magicien brise la frontière de l’impossible, il pointe alors vers notre propre inconscience, notre hypnose, notre oubli que la vie est pleine de surprises, toujours changeante, loin des automatismes et des conditionnements. Le maître-Magicien Eugene Burger l’illustre magnifiquement à travers son expérience du fil hindou.

Qu’est-ce que je tente d’exprimer lorsque je compose, ou lorsque j’interprète une œuvre ?

Il semble que dans cet instant l’intellect quitte enfin sa prépondérance. Il n’y a personne qui fait quoique ce soit.
Dans « Se libérer du connu »,  Krishnamurti nous rappelle que nommer les choses, c’est déjà ne plus les voir. Voir un arbre sachant que c’est un arbre, n’est-ce pas déjà se rattacher à son étiquette, ne plus le ressentir, ne plus pouvoir contempler cette merveille de la Nature. Il est fascinant de faire l’expérience de retrouver la fraîcheur du regard de l’enfant.

Qu’avions-nous ressenti lorsque nous avons regardé un arbre pour la première fois? La racine n’était alors pas une « racine », les feuilles devaient nous paraître des éléments inouïs et sublimes.

Dans « Etre dans le dire », Franck Terreaux fait la même observation quand il décortique tout ce qui occulte la vue, jusqu’à « l’aperception », qui est en fait l’état notre état naturel, et le plus ordinaire qui soit. C’est au fond passer de la pensée discursive, qui déprime nos vies, à la pensée perceptive. Dans cet état de vide mental, tout peut arriver, comme par exemple créer des moments musicaux dont on sent qu’il n’y a même plus lieu de se les approprier tant ce qui coule de nos doigts nous échappe, tout en provenant de notre intimité source.
Les grands musiciens semblent aux premières loges de cette vibration, tels Schubert, Liszt ou Beethoven lorsque leurs œuvres se sont aventurées aux confins du silence.

Écouter ce silence intérieur

Cette quête peut s’avérer une expérience quasi mystique, surtout si cette vibration est ressentie comme le miroir de la vie extérieure.

Dans la plupart des traditions spirituelles, c’est le son qui créa le monde. Écouter le son de l’univers à travers ceux reconstitués par la NASA relève sans doute de  l’expérience sonore parmi les plus pures et les plus intenses.

Mais revenons à la musique terrestre: comment se fait-il que l’on puisse ressentir tant d’émotions, et même de plaisir, en écoutant des œuvres si empruntes de douleur?

Répondre à cette question serait ….

sans doute comme résoudre celles, fondamentales, que ce sont posés les philosophes à travers les siècles. Et révélerait une grande part de ce que nous sommes.

La musique étant le mystère non résolu, elle pourrait être justement ce qui ne fait pas le lien entre l’émotion et la pensée. Par conséquent, la tristesse de la musique aurait sa beauté propre dans la mesure où l’identification n’intervient pas.

La musique nous fait découvrir une Harmonie, un Ordre, des Lois: nous comprenons peut-être grâce à elle que la tristesse, la douleur, en font partie…

Quelques repères bibliographiques

Tout savoir sur Pascal Amoyel

jusqu’au 12 janvier 2025, « Leçon de piano avec Chopin« , mise en scène Christian Fromont, lumières Philippe Séon, Théâtre du Ranelagh, du jeudi au samedi à 20h30 + dimanche à 17h,, 5 rue des vignes, 75016 Paris – Tél.: +33(0) 1 42 88 64 44 – reservations@theatre-ranelagh.com

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