Culture
Emmanuel Ménard libère les rires et les clins d’œil des Brigands d'Oya Kephale
Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 12 mai 2023
Après cinq mois de répétitions itinérantes, Emmanuel Ménard voyait enfin ce 11 mai sa mise en scène des Brigands d’Offenbach sur la grande scène du Grand Théâtre Armande Béjart d’Asnières-sur-Seine. A partir de ce soir, la troupe Oya Kephale, dirigée par Pierre Bondeville s’y installe pour six représentations jusqu’au 19 mai. Au cours de cette Générale joyeuse, le comédien metteur en scène relaie son admiration pour cette troupe d’amateurs à l’énergie débordante et l’engagement sincère. Singular’s constate qu’il a su la canaliser pour réussir un spectacle à la joie communicative.
Une Générale méritée pour les Brigands
Jeudi 11 mai. Nous sommes à quelques minutes de la Générale des Brigands. Il n’y a pas dans l’immense hall du Grand Théâtre Armande Béjart d’Asnières-sur-Seine ce brouhaha d’excitation symptomatique des Générales. Idem dans la grande salle. Las les écoles conviées ne sont pas venues.
Si quelques ombres s’afférent en traversant la scène, signe de derniers réglages : le décor est en place et n’attend que les chanteurs, l’excitation palpable sourd de la fosse. Pierre Boudeville, le directeur artistique donne ses dernières instructions à ses musiciens, et Emmanuel Ménard à la troupe lyrique.
Chaque musicien prend sa place millimétrée dans la fosse. « On ne pourrait pas mettre une personne de plus dans cet œuf » , lance joyeux le chef au violoniste qui s’imbrique juste derrière le pupitre. Après une enjambade acrobatique de la barrière que le sépare de la salle, le chef rappelle qu’à la lumière éteinte, il se faufilera des coulisses à sa place et qu’il saluera le public avant de commencer. Il s’éclipse. Emmanuel Ménard rejoint la console de régie au fond de la salle. Elle passe au noir.
Enfin, relever le défi sur la vraie scène
Si le chef est à quelques mettre de sa troupe, Emmanuel Ménard lui veille du fond du Théâtre à la lumière pour éclairer un spectacle, fruit de cinq mois de répétitions itinérantes. Malgré la distance impressionnante, celui qui a été recruté sur audition peut enfin voir son travail sur la scène de destination. Le défi il le connaissait. Il nous a glissé, que les surprises n’ont pas manqué en cours de cette unique journée de filage sur le plateau immense de Grand Théâtre Armande Béjart.
Le comédien avait beau en connaitre les dimensions : « Ce n’est jamais facile d’être exact » nous confiait-il sur scène en désignant la profondeur de champs de la scène pour permettre à tous les spectateurs de voir les tableaux, la salle étant très en longueur, ou encore le rideau de scène qui reste sur les côtés pouvant caché des personnages,… Le metteur en scène qui a déjà monté des spectacles a du métier et l’œil à tout ; il a surtout su trouver au pied levé des solutions, aidée par l’énergie débordante de ses amateurs qui ne comptent ni leur temps ni leur volonté collective. Il est temps – après ces cinq mois de travail – que le spectacle s’épanouisse.
Promesses de bonheur tenues
La répétition à laquelle Singular’s a pu assister annonçait à la fois du mouvement et du rire. Dés le rideau levé, et l’ouverture d’Offenbach au leitmotiv martial lancé, la mise en scène tient ses promesses. Au cours des trois actes et autant de changements de décors, les choristes et les solistes multiplient les compositions – à deux, trois, en défilé – dans un véritable ballet, parfaitement réglés. Pratiquement pas de baisse de rythme, chacun trouve sa place tant pour les rares moments de comédie ou de dialogues parlés (souvent l’occasion de quelques gags décalés).
Maitrisant parfaitement la masse impressionnante de personnages sur scène autour de quarante, le metteur en scène a fait son miel des situations rocambolesques – aux changements d’identité permanents. L’ opérette est le prétexte à multiplier les clins d’œil : les carabiniers sont des gendarmes de St Tropez, l’ambassade d’Espagne un repère de fashionista menée à l’éventail par un Karl Lagerfeld de pacotille, et la cour de Mantou, le siège d’une Fédération Mondiale du Ballon rond… et encore cela fuse tellement que le spectateur n’a pas le temps de tout capter.
Un enthousiasme parfaitement maitrisé
Sa troupe s’est prêté avec enthousiasme au jeu. On rit beaucoup de la salle mais aussi de la fosse. Preuve s’il en ai de la cohésion de ses amateurs et de leur générosité… qui gomme les dernières scories de ce travail au long cours. Le salue final débordant de plaisirs malgré d’évidentes répétitions ne cache pas cet enthousiasme qui a su relever tous les défis.
C’est cette part de bonheur musical et humaniste que le spectateur retient en quittant le Théâtre en ayant eu la chance de participer le temps d’une opérette à une magnifique œuvre caritative au profit cette année, du Cours Antoine de Saint-Exupéry … mais pas seulement.
Chapeau bas les artistes !
#Olivier Olgan
Le carnet de lecture d’Emmanuel Ménard
Dans ce jeu cornélien qui consiste à élire et à identifier un nombre limité d’œuvres qui m’ont marqué et construit en tant qu’artiste, un critère qui semble judicieux est peut-être celui des premières fois. Mais même cette échappatoire est illusoire, tant les premières fois artistiques ont été nombreuses… Le dilemme n’est par conséquent pas résolu, il va falloir choisir, donc éliminer…
La valse aux Adieux, Milan Kundera.
J’ai toujours beaucoup lu, et très tôt, encouragé en cela par mon environnement familial, à qui je n’en rendrai jamais assez grâce.
Mais la découverte de Kundera, d’abord La Vie est ailleurs, puis La Valse aux Adieux, a été un réel choc. Pour la première fois, je crois, je lisais sous la plume d’un autre, un inconnu qui plus est, étranger à toute ma vie et mon histoire, je lisais la transcription de mes émotions, de mes sentiments, de mes états d’âme, en phrases dont je n’aurais pas changé le moindre mot – à supposer que j’aurais été incapable de les écrire moi-même.
Je venais de découvrir que la littérature n’était pas seulement, comme je l’avais vécue jusqu’à présent, un loisir, une évasion imparable, un voyage facilité vers ce qu’il y avait de plus lointain, mais aussi un miroir, un lieu d’introspection et même de décryptage de soimême. C’était une nouvelle fenêtre qui s’ouvrait – vers l’intérieur.
Anatomie de l’horreur, Stephen King
La littérature fantastique, d’épouvante, voire d’horreur, a toujours occupé une place centrale dans mes lectures, de même que le cinéma de genre a toujours été au cœur de ma cinéphilie, tant comme consommateur que comme créateur.
A ce titre, Stephen King a très rapidement trouvé son fauteuil dans mon panthéon littéraire – malgré un premier contact mitigé, décontenancé que j’étais par la forme inhabituelle de son premier roman Carrie, que j’avais découvert sans doute trop jeune. Mais ce type de littérature n’avait pas très bonne presse à l’époque, c’était un peu de la sous-littérature, du pur divertissement sans fond réel, comme on pouvait le dire alors en plissant un peu le nez.
En lisant Anatomie de l’horreur, quelques années plus tard, j’ai compris qu’il n’en était rien, et que s’il existait une mauvaise littérature fantastique (comme il existe une mauvaise littérature dans tous les genres), ce n’était qu’un effet de bord. J’ai appris que la littérature d’épouvante, de science-fiction, d’horreur pouvait aussi et surtout être un révélateur des peurs de son époque, d’autant plus pertinente et efficace qu’elle n’était pas littérale ; comme ses voisines de rayonnages, jugées plus fréquentables, elle ne faisait pas que raconter, elle disait également. Je me rappelle avec quelle passion j’ai ré-écumé ma bibliothèque, comprenant le sous-texte d’un Frankenstein, décodant les dimensions métaphoriques de La Peau de Chagrin ou de Shining, ou réalisant les peurs très réalistes transposées dans Rosemary’s Baby...
La Flûte enchantée, W.A. Mozart
Ce fut mon premier contact – tardif – avec l’univers de l’opéra. Un univers qui m’était complètement inconnu, et auquel je n’avais jamais fait l’effort, ou même la démarche, de m’intéresser. Sans animosité aucune ; nous nous contentions de nous ignorer poliment.
Comme pour toutes les découvertes qui nous chamboulent en profondeur, je me suis demandé comment j’avais pu passer si longtemps à côté – et je m’en suis voulu ! Je découvrais un spectacle complet, où se mêlaient musique, théâtre, danse…
Et puis pour un premier contact, j’étais plutôt chanceux : c’était la production scénique annuelle du CNSM de Paris. Marc Mauillon chantait son premier Papageno, Pamina était incarnée par Amel Brahim-Djelloul… Et, ce que je ne savais pas encore, la mise en scène de Lukas Hemleb bousculait quelques évidences, faisant de Sarastro un manipulateur, des Initiés une secte pas si éclairée que ça, et de Papageno un pragmatique plutôt qu’un bouffon un peu benêt. Et tout cela en respectant la musique et la lettre du livret. Ce n’est que par la suite, en assistant à d’autres productions de la même œuvre, que j’ai réalisé la dimension inhabituelle de ces choix.
Et plus tard encore que j’ai souvent pu constater que certaines mises en scène, de La Flûte ou d’autres opéras, poussaient parfois très loin la relecture des œuvres, allant jusqu’à tordre le livret pour l’entraîner dans des directions auxquelles il n’était visiblement pas destiné – et là, les questionnements sont au moins autant éthiques qu’artistiques. Même si depuis, les émotions opératiques ont été nombreuses, avec la découverte du baroque, de l’opérette, de la suite du répertoire mozartien…, et ont pu souvent supplanter celles de cette Flûte Enchantée, elle occupe forcément une place à part, celle d’une Première Fois.
Les Rois Maudits, Maurice Druon et Claude Barma
La première fois que j’ai lu Game of Thrones, c’était au début des années 80. Qu’on ne m’objecte pas que ça n’avait pas encore été écrit ; ça existait déjà, c’est juste que ça s’appelait Les Rois Maudits ! Six tomes (par charité chrétienne, on oubliera le septième) d’intrigues de cour, de trahisons, d’infanticides, d’adultères, de complots, de coucheries, de rivalités sanglantes… Moi qui n’avais guère d’atomes crochus avec l’histoire à l’époque, je m’aperçus combien elle pouvait devenir passionnante, quitte à être un peu romancée pour les besoins de la cause.
J’ai lu et relu plusieurs fois ces six romans, avant d’en découvrir l’adaptation télévisée. Sous la houlette de Claude Barma (réalisateur TV incontournable de l’époque), une brochette de stars du petit écran, souvent issues du théâtre, et menées par un Jean Piat impérial – ou plutôt comtal – faisaient revivre la malédiction de Philippe le Bel et sa progéniture.
J’ai été frappé à l’époque, et je le suis plus encore aujourd’hui, rétrospectivement, de l’efficacité de ces six épisodes de dramatique télévisée (formulation garantie d’époque) ; certes, la distribution était brillante, mais le budget décors et costumes de l’ensemble devait avoisiner la dépense « café et croissants » d’un seul épisode de Game of Thrones… et pourtant ça fonctionnait ! Bon sang oui, ça fonctionnait. Il suffisait d’un drapé pour qu’on se retrouve dans les appartements du roi de France ; un tabouret en bois et une paillasse miteuse récréaient à eux seuls un cachot de Château-Gaillard ; et il ne fallait pas plus qu’un chapiteau et quelques épées pour se croire au milieu de « l’ost boueux » de Louis le Hutin.
Je n’ai jamais oublié le puissant effet qu’a eu sur moi cette première adaptation des Rois Maudits, et à quel point j’y ai retrouvé les émotions des romans.
Et par la suite, la modicité des budgets mis à ma disposition dans le cadre de mises en scène de spectacle vivant n’a jamais constitué un réel problème. Bien sûr, il faut chercher des solutions à des problèmes qui n’en seraient même pas avec d’autres moyens, mais
jamais je n’ai craint a priori de ne pas avoir assez pour que « ça fonctionne ».
Du reste, Les Rois Maudits a fait l’objet d’une seconde adaptation, en 2005, qui n’a pu que me conforter dans mon opinion : nantis de moyens qu’on devinait sans commune mesure avec ceux de la version de 1972, une brassée de comédiens époustouflants s’essoufflaient sans succès à tenter d’imiter leurs illustres prédécesseurs… malgré une distribution exceptionnelle, la débauche de décors, de costumes et de technique ne parvenait pas à faire oublier la version d’origine, ses drapés, ses tabourets et ses épées de théâtre.
Et puis il y a quelques autres œuvres que je m’en voudrais de ne pas mentionner,
car elles ont vibré très fort dans mon imaginaire de lecteur et que les théories ondulatoires nous enseignent que les vibrations perdurent longtemps.
Ainsi, c’est sans doute dans Le Monde selon Garp, de John Irving que pour la première fois je me suis attaché à un (à des !) personnage comme s’il était réel, comme s’il était un ami, au point de pleurer sur les pages où l’auteur l’a tué…
Par la suite, Robert Merle m’a souvent fait le même coup, que ce soit à Malevil ou sur L’Île.
C’est peut-être avec Zola que j’ai réalisé avec étonnement que naturalisme et irréalisme pouvaient se marier harmonieusement, par exemple dans les descriptions complètement oniriques d’une très matérielle grève de mineurs.
Et c’est sans doute Armistead Maupin et ses Chroniques de San Francisco qui le mieux m’ont appris ce qu’était l’ascenseur émotionnel (à deux pages de distance, on éclate de rire avant d’éclater en sanglots) et la suspension d’incrédulité (au bout de seulement deux coïncidences complètement invraisemblables – ce qui arrive somme toute assez vite – la théorie des probabilités n’est déjà plus qu’un vieux et encombrant souvenir !).
J’ai gardé toutes ces émotions-là quelque part, pas loin, à portée de main, et j’espère, quand j’écris ou que je mets en scène, qu’au moins certaines d’entre elles arrivent à se frayer un chemin jusqu’à moi.
Pour suivre Emmanuel Ménard
- le site d’Emmanuel Ménard
Spectacle au profit de l’association Cours Antoine de Saint Exupéry
du 12 au 19 mai, 20h30 sauf 14 et 18, 17h Les Brigands d’Offenbach, 16 place de l’Hôtel de Ville, 92600 Asnières-sur-Seine – Réserver
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