Gastronomie

Le Répertoire de la Cuisine Innovante, de Thierry Marx et Raphael Haumont (Flammarion)

Auteur : Ghyslaine Moreau de Raymeront
Article publié le 31 mai 2023

Quand un chef s’associe avec un physicochimiste, c’est pour penser et construire la gastronomie durable à horizon 2050. Leur approche complémentaire est plutôt décoiffante. Avec Le Répertoire de la Cuisine Innovante (Flammarion), Thierry Marx et Raphael Haumont explorent et réinventent toutes les dimensions de notre art culinaire, les textures, les modes de cuisson, les processus physico-chimiques, les déchets…   convaincus que « les connaissances scientifiques et les outils nouveaux ne feront qu’une part plus belle à la créativité ». Avec pédagogie, ils nous plongent au cœur de la structure des aliments avec les conseils pratiques. Pour Ghyslaine Moreau de Raymeront, la cuisine de demain sera innovante au-delà de notre imagination gustative.

L’alimentation reste un combat politique

On ne présente plus Thierry Marx. Le gamin de Ménilmontant, sauvé par le sport et l’armée, popularisé grâce à Top Chef, l’entrepreneur très médiatique, doublement étoilé pour le restaurant Sur Mesure par Thierry Marx, du palace parisien Mandarin Oriental. Il est aussi depuis octobre 2022, Président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, puissant syndicat des restaurants et hôtels où il peut promouvoir ses convictions éthiques et sociales …

Raphael Haumont et Thierry Marx, auteur du Répertoire de la Cuisine innovante Photo Félicien Delorme Photo Flammarion

Ce que l’on sait moins, c’est son engagement rigoureux et constant dans la recherche scientifique pour préparer la gastronomie de demain. L’expérimentateur – et militant précoce – de cuisine « moléculaire » s’associe en 2012 avec le physicochimiste Raphaël Haumont pour créer le Centre Français d’Innovation Culinaire (CFIC) et une chaire universitaire dédiée à la « cuisine du futur ».
Leur association revendique une approche holistique et écologique de la santé, de l’alimentation, bref du bien-être par et dans l’assiette. Elle est aussi très concrète, ils ont conçus les repas de l’astronaute Thomas Pesquet pour sa prochaine mission sur la Station Spatiale Internationale (ISS) et leur livre Le Répertoire de la Cuisine Innovante (Flammarion) condense leur vision et engagement pour une gastronomie durable à l’horizon 2050.

En un mot, la cuisine, sans cesser d’être un art, deviendra scientifique et devra soumettre ses formules, empiriques trop souvent encore, à une méthode et à une précision qui ne laisseront rien au hasard. 
Auguste Escoffier, Le Guide culinaire, éd. Flammarion, 1907. Avant-propos, Le répertoire de la cuisine innovante.

Dans ces temps où la science est contestée, au nom d’un pseudo retour à la nature, il est passionnant de lire la conviction des deux hommes sur la contribution des innovations scientifiques et techniques pour faire avancer la cuisine : « La cuisine moléculaire » n’est ni une mode, ni une tendance. Cette cuisine innovante n’est en aucun cas en rupture avec la tradition (…) elle est moins empirique et demande plus de rigueur, en vue de réaliser des préparations mieux maîtrisées, sur mesure, pour le plus grand respect des produits – de leurs cuissons et de leurs transformations –, à l’origine de jeux de textures et de températures, d’innovations dans le but ultime de procurer des sensations et émotions nouvelles aux clients. »

Une approche complémentaire de la matière

Si la maquette est aride, même agrémentée de graphiques, Thierry Marx et Raphaël Haumont ne ménagent ni leur passion, ni leur efforts de clarté pour nous plonger  « en plein cœur de la structure des aliments, dans les bulles du blanc d’œuf, dans les gouttelettes d’huile, dans les fibres végétales… afin de voir comment « ça cuit», pourquoi « ça monte», « ça tient» ou « ça coagule» ». Cette dimension de la cuisine technique ou plus prés des réactions chimique set gustatives appellent curiosité, savoir et exigence. Loin des a peu près de la cuisine au quotidien.

La quête du «naturel» est légitime dans le choix des produits que nous apprêtons, mais méfions-nous toutefois de la définition que nous donnons à « naturel». (…) Soyons alors vigilant aux méthodes d’ex[1]tractions et de purifications, lesquelles nécessitent la main de l’homme (outils, traitements chimiques…)

Concilier bien être et plaisir dans l’assiette

Le grand enjeu de l’alimentation de demain est de concevoir des plats plus allégés en sel et en sucres pour répondre aux défis de la santé et du bien-être.  Pour éviter que la cuisine de demain se résume à une avalanche d’additifs, le duo est convaincu qu’il faut innover dans la manière de cuisiner. Et que la science a de nombreuses clés.

Le métier de cuisinier est un grand escalier où la tradition a installé les premières marches. L’innovation n’est-elle pas le défi d’y ajouter d’autres marches pour monter plus haut? Ne redoutons pas la difficulté, car en cuisine comme en science, « il faut un obstacle nouveau pour un savoir nouveau ».
article Innovation, Le répertoire de la Cuisine Innovante.

Concilier expériences sensorielles et réalités scientifiques

C’est la dynamique ambitieuse des programmes de recherche qu’ils conduisent au CFIC dans plusieurs directions que l’on retrouve dans le Répertoire : recherche sur les textures, les modes de cuisson, et la réutilisation des déchets, privilégier l’expérience sensorielle pour générer des émotions gustatives nouvelles, intégrer des instruments techniques permettant des cuissons sous vide à basse pression ou des centrifugeuses qui permettent de séparer les constituants d’un produit selon leur densité et de démultiplier les saveurs et textures à partir d’un seul fruit ou légume, …

Le caractère plus rationnel laissera-t-il moins de place à la liberté créative du chef? Bien au contraire, les connaissances et outils nouveaux ne feront qu’une part plus belle à la créativité, via l’innovation.
Thierry Marx et Raphael Haumont

Au cœur de la structure des aliments

Classé par ordre alphabétique de « acide » à « zen, le maître mot », le répertoire aborde de manière très pédagogique et concrète tous les aspects de la cuisine « moléculaire », avec des définitions, des schémas, des « zoom » et de précieux « conseils futés » qui souvent balaient les stéréotypes ! Les auteurs ne cessent de l’affirmer, les innovations culinaires ne sont possibles que par le biais d’un « travail collaboratif entre recherche scientifique, R & D culinaire, design (art) culinaire et, bien évidemment, Haute Cuisine ».

Sans oublier des recettes surprenantes juste ce qu’il faut pour épater les convives : des spaghettis végétal de fruits de la passion, le céleri boule rémoulade, le téquila Sunset, le céleri rémoulade à la truffe, la terrine de fruits crus, la tarte tatin liquide, l’ écume de chocolat, … Chaque détail compte.

La cuisine moléculaire réduit les écarts et aligne tout le monde à la même exigence, celle de l’exactitude. Pourquoi l’exactitude est-elle si importante? Pour la répétabilité des plats, et la justesse des textures, donc des sensations et émotions produites. 

Un véritable hymne à la science

De la magie de la « sphérification », aux secrets de l’agar-agar, des usages de l’albumine ou de l’’ovalbumine, des zooms sur les alginates ou sur les sels, … le Répertoire analyse toutes les notions qui peuvent construire, magnifier ou réussir de nouvelles saveurs.  Les applications concrètes y sont très explicites, les conseils notamment pour l’utilisation des nombreux instruments (du Pacojet® au siphon) permettent de se lancer et de s’améliorer rapidement.

Aujourd’hui, on utilise plus rationnellement ces connaissances, et on sait mesurer précisément, notamment grâce à l’emploi de réglettes thermiques (banc Köfler), les justes degrés de cuisson des viandes et des poissons. La conclusion demeure inchangée: pour la texture, la maîtrise du temps et de la température est primordiale en cuisine.

Un regret

Pour un livre pédagogique, il est à regretter l’absence de sommaire, pour pouvoir se rendre directement sur un terme précis, un éclairage plus rapide sur une problématique ponctuelle.

Autant il peut être aisé de regarder le mot soufflé pour avoir des conseils, autant il n’est pas très courant d’une façon naturelle de se rendre au terme Tara, la gomme tara ou méthylcellulose ou encore lycopène… Ce défaut devra être corrigé dés la prochaine édition, à l’occasion des nouvelles découvertes de la science que les auteurs ne manqueront pas de nous conter.

Un livre manifeste pour la science

Au-delà des cuisiniers et des futurs professionnels, ce livre manifeste dessine ce que seront les réponses – scientifiques- de demain aux défis écologiques, sociaux et gustatifs de la cuisine de demain : il sait répondre aux questions de ceux qui veulent se projeter dans le futur et à partir d’ingrédients improbables – gélifiants naturels voir déchets – sauront faire des réalisations culinaires de folie. Ce répertoire moderne de la cuisine vous permet de vous projeter dans les saveurs de demain.

Discipline et la patience sont de rigueur en cuisine

S’enrichir de connaissances pour comprendre, s’enrichir de rencontres et s’ouvrir à d’autres domaines (science, histoire, art, philosophie…) qui peuvent apporter un regard nouveau. Rester vigilant, réactif, en phase avec l’actualité, mais tout en gardant son fil conducteur et sa signature de cuisine : son identité.
Zen, dernier mot du Répertoire de la Cuisine Innovante.

La cuisine de demain sera innovante, au-delà de notre imagination gustative.

#Ghyslaine Moreau de Raymeront

En savoir plus sur la Cuisine Innovante

Thierry Marx, chef

Un Chef cuisinier de génie, un entrepreneur, le maître absolu de la gastronomie moléculaire, un être simple, sympathique, inventif et amoureux de son métier. Il a su faire avancer son univers, apporter beaucoup à la gastronomie en ayant compris avant tout le monde non pas l’intérêt du produit en lui-même dans les réalisations culinaires mais comprendre le produit et le sublimer en connaissance de cause. En 1988 il reçoit sa première étoile du Guide Michelin, pour le restaurant Roc en Val à Montlouis-sur-Loire. En 1991, au Cheval blanc de Nîmes il décroche à nouveau une étoile.  Il se voit décerner le titre « Cuisinier de l’année« , en 2006 par le Gault-Millau. Pendant quatre ans dès 2010, il est juré à l’émission Top Chef de M6. Il est adulé par beaucoup, applaudi par tous, critiqué aussi par certain mais indéniablement présent et important dans la gastronomie Française. Thierry Marx s’occupe de deux restaurants, Madame Brasserie sur la Tour Eiffel et Sur Mesure au Palace Le Mandarin Oriental et vient d’ouvrir, en 2023, Onor, un restaurant engagé, dans le huitième arrondissement à Paris où sont entre autre servit tous ses plats signatures. Il dirige onze écoles de cuisine, il est à la tête de nombreux projets. Depuis octobre 2022, Thierry Marx est Président de l’Union des métiers et des industries de l’hôtellerie, un syndicat représentant restaurants et hôtels

Raphaël Haumont

Ce physico-chimiste français est reconnu pour ses travaux sur la cuisine moléculaire et son travail aux côtés du chef Thierry Marx. Ensemble, avec le soutien de l’Université Paris-Sud 5, ils ont créé en 2012 le Centre Français d’Innovation Culinaire (CFIC). C’est un espace voué à la réflexion sur la cuisine du futur et les enjeux de la cuisine en 2050. Il a notamment procédé à des expériences d’encapsulation d’aliments en microgravité à travers le programme « Parabole » du CNES. C’est dans ce contexte qu’il a réalisé au sein, des expériences qui ont par la suite servi à créer des repas sans déchets à destination des missions spatiales de Thomas Pesquet.

Partager

Articles similaires

Limoges une ville d’histoire et de gastronomie

Voir l'article

La fusion gastronomique de Raphaël Fumio Kudaka, chef étoilé de La table Breizh Café, Cancale

Voir l'article

LA LISTE, application dédiée aux voyageurs gourmets décerne, ses 11 « Prix spéciaux » 2024

Voir l'article

Les 41ème Awards for excellence du guide Condé Nast Johansens pour les voyageurs indépendants

Voir l'article