Culture

Le subtil éclectisme esthétique de la pianiste Aline Piboule

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 23 août 2022

[Partage d’un mélomane] « Plus vague et plus soluble dans l’air,/Sans rien en lui qui pèse ou qui pose » écrivait Paul Verlaine en ouverture de son recueil De la musique encore et toujours dédié à la poésie. Ces deux vers peuvent aussi parler des compositeurs que la pianiste Aline Piboule place sous sa lumière vive et révélatrice pour les tirer heureusement de notre non-mémoire et nous offrir comme la découverte d’un rêve où rien de pèse ou pose. Prochains concerts à Strasbourg (2 sept.), Orangerie de Bagatelle (11 sept.) et Festival aux Jacobins de Toulouse (24 – 25 sept.).

Au milieu de l’été

Comme chaque année, le piano avait rendez-vous avec les cigales à La Roque d’Anthéron, du 18 juillet au 20 août 2022. Le programme de ce 42ème festival déroulait d’impressionnantes promesses qui ne sauraient sans vulgarité être a posteriori circonscrites dans des chiffres, des nombres, des quantités ou des volumes. Richesse et variété ont fait de ces soirées une exultation durable autour d’un instrument impérial dont l’élytre levée est un clin d’œil aux hémiptères des champs voisins qui réjouissent les journées estivales de leur grammaire stridulante.

Refermées les pages de ce festival, il reste des possibilités immenses de leur donner une suite ou même de les découvrir parce qu’il est agréablement loisible d’ouvrir les liens proposés par France Musique qui offrent une intemporalité à notre siècle si pressé, ou de relire les articles de la presse qui savent donner de belles couleurs au temps qui vient de passer lorsqu’il ne nous a pas été donné de le partager dont le « Duel au piano de deux prodiges anglais » un magnifique hommage à Nelson Freire.

Au milieu des partitions

Amine Piboule Photo Jean-Baptiste Millot

Il n’est pas question ici d’esquisser un survol de toutes les heures d’éblouissement et de plaisir présentées aux heureux festivaliers, mais simplement de dire qu’en relevant un nom, une œuvre ou un simple moment, par curiosité par exemple, on peut emprunter des chemins révélant des paysages surprenants de richesse et de charme.

Prenons la soirée placée sous le sceau de « L’œuvre au noir », peut-être parce qu’elle nous rappelle le titre d’un roman foisonnant de Marguerite Yourcenar mêlant philosophie, médecine et interrogations sur la vie dans un climat complexe et inquiétant. Là, entre nuit et dissidence, entre deuil et profondeur, entre soupir et encre, les mains d’Aline Piboule nous auraient entraînés sur un sentier complexe et exigeant où l’on croisait Schubert, Schubert/Liszt, Gluck/Sgambati, Adès et Franck. Un programme ou flottait l’idée d’une forme de résurgence transcendant le désespoir ou l’oubli.

La résurrection de compositeurs injustement oubliés

Aline Piboule, pianiste calme et ardente à la fois, est justement celle qui s’est attachée généreusement à la résurrection de compositeurs injustement oubliés en enregistrant quelques-unes de leurs œuvres singulières et prodigieusement pénétrantes. Les partitions de Gustave Samazeuilh, Abel Decaux, Pierre Octave Ferroud, Louis Aubert ne sont en effet pas dans tous les esprits musiciens ou mélomanes, s’ils étaient proches des Debussy, Chausson, Dukas, d’Indy, Ravel, voir Satie, ils n’ont pas laissé les mêmes empreintes dans le temps et dans les bibliothèques. Et pourtant.

Au milieu de la mémoire

Pourtant, que de pages fascinantes, d’harmonies enchanteresses, d’évocations atypiques. Des destins contrastés (longévité traversante d’un siècle culturellement chahuté pour Aubert, 1877-1968, fulgurance tragique pour Ferroud, 1900-1936, mort accidentellement en Hongrie), des parcours familiaux, géographiques et sociaux tranchés, mais une communauté d’ancrage dans l’art, une brillante communauté de fécondités libres et novatrices. Une petite soirée tiède à souhait dans les replis molletonnés du Pays d’Auge avait permis à quelques privilégiés d’entendre sous les doigts mêmes d’Aline Piboule cette musique française incroyablement vivante, riche de différences mais partageant un langage évocateur et coloré.
(Ce concert de l’automne dernier avait lieu dans le très singulier Studio des Momidjis d’Orbec sur un Steinway fabuleux.)

Ce sont souvent les pianistes qui consacrent la mémoire de compositeurs oubliés. Joués en leur temps parfois par les plus grands interprètes mais finalement supplantés par d’autres auteurs ou tout simplement entrés ensuite en méconnaissance comme on entre dans un silence, Samazeuilh, Decaux, Ferroud et Aubert trouvent en Aline Piboule une ambassadrice éclairée qui leur permet de dépasser le temps de notre amnésie. Son disque empreint d’énergie et de poésie relève le défi de consacrer leur nouvelle contemporanéité.

Cela redonne vie à la vie musicale passée, celle qui a compté avec eux mais qui a finalement laissé leur aura sonore pâlir, s’atténuer, passer au chuchotement puis à l’effacement. Cette vitalité renaissante ou cette renaissance vitale nous donne un plaisir immense.

Dans une époque où tant de sources se tarissent, nous voici riche d’une résurgence porteuse, renouvelable car, avant la fin de l’été, il sera possible d’entendre Aline Piboule à Paris (11 septembre), Toulouse (24 et 25 septembre), au tout début de l’automne à Jumièges (1er octobre) puis à Angoulême (12 octobre).

Pour aller plus loin avec Aline Piboule

Lyon, Paris, Montréal, le Centre d’Arts d’Orford au Canada, le Mécénat Société Générale, l’ADAMI ou la Fondation Meyer, Pascal Quignard, Frédéric Lodéon, soit des lieux, des institutions et des personnalités parmi tant d’autres qui confirment l’extraordinaire vitalité d’Aline Piboule dont on pourrait penser qu’elle ne s’arrête jamais alors qu’au piano, elle arrête le temps et nous offre comme en suspension des moments littéralement envoûtants de musicalité, d’énergie et d’intelligence pianistique.

Agenda

  • 02/09/22 – Strasbourg, Récital avec Pascal Quignard (Boutès ou le désir de se jeter à l’eau)
  • 11/09/22 – Paris, Orangerie du Parc de Bagatelle, 11h, La pochette musicale, récital solo pour familles
  • 24/09/22 – Toulouse, Festival Piano aux Jacobins, Récital solo pour les séniors, Cloître des Jacobins
  • 25/09/22 – Toulouse, Festival Piano aux Jacobins, Saint-Orens-de-Gameville, Récital solo
  • 01/10/22 – Jumièges, Festival Terres de paroles, Création de « Ruines » avec Pascal Quignard
  • 12/10/22 – Angoulême, Piano en Valois, Récital solo

Discographie sélective

  • Dutilleux et Fauré, Printemps des Arts de Monte Carlo, Artalina, avril 2017.
  • Flûte et piano en France, avec Jocelyn Aubrun, Lyrinx, novembre 2010.
  • 1943, Flothuis, Prokofiev, Arrieu, Smit, Dutilleux, Œuvres pour flûte et piano, avec Jocelyn Aubrun, flûte, Artalina, février 2017.
  • Samazeuilh, Decaux, Ferroud et Aubert, Printemps des Arts de Monaco, mars 2021.

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