Culture

Mélanie Kaltenbach, luthière qui préfigure ce qui s’entendra

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 28 février 2024

[Partage d’un mélomane] Derrière chaque instrument, un facteur ou un luthier, un accordeur ou un préparateur, des heures sur un mécanisme à l’instar celles passées par l’horloger à donner au temps son tempo le plus juste. Mélanie Kaltenbach a ouvert à Jean de Faultrier son atelier écrin dont la matière est autant la lumière que le silence. Un silence véritablement habité par lequel passent des bruissements, des frôlements, des sons boisés, les murmures d’une corde. Parfois, interprètes ou producteurs offrent une reconnaissance à l’acteur incontournable de leur succès. Mais, toujours, c’est l’instrument qui dit sa gratitude.  

Une file d’attentes au bas des marches de l’atelier, Atelier de Mélonie Kaltenbach, Photo Jean de Faultrier

 

Vous cherchez quelque chose ?
Il s’est arrêté, a relevé ses lunettes protectrices et nous a longuement observés avant de répondre :
Je cherche un violon.
(Extrait de « Dernières nouvelles du Sud », de Luis Sepulveda et Daniel Mordzinski, Métailié – 2012)

Une quête acroamatique.

Qui pourrait imaginer que la scène narrée par Luis Sepulveda se passe dans l’extrême centre de la Patagonie ? Le dialogue saugrenu se poursuit ainsi :

Ce violon, quand l’avez-vous perdu, l’ami ?
Qui vous dit ça ? Je ne peux pas l’avoir perdu puisque je ne l’ai pas encore trouvé (…).
(Un peu plus tard) :
On l’a trouvé les gars ! Je le cherchais depuis des mois, a-t-il crié, tout excité, et il nous a donné l’accolade (…). »

Ce qu’ils ont trouvé ?

En fait, ce n’est pas un violon, non, c’est une pièce de bois de cèdre en forme de madrier grossier taillée par les vents argentins et séchée par l’âpreté de la steppe, soixante-dix kilos de promesse brute que « l’ami », luthier, vient de reconnaître entre deux buissons comme le présage du corps d’un violon qu’il va fabriquer dans son atelier du bout du monde.

Sous des latitudes moins australes, car sur les pentes d’une butte parisienne où subsiste l’empreinte d’un passé de petites maisons et de jardinets, un jour indécis propose sa clarté douce à un autre atelier, celui de Mélanie Kaltenbach. On y entre comme on entre dans un écrin, mais un écrin dont la matière est autant la lumière que le silence. Un silence véritablement habité par lequel passent des bruissements, des frôlements, des sons boisés, les murmures d’une corde.

Entre les yeux et la main.

Des tables et des ouïes jusqu’au plafond, Atelier de Mélonie Kaltenbach, Photo Jean de Faultrier

Le regard de Mélanie Kaltenbach connaît intimement l’instrument pour en partager la parole concertante, devant elle un violoncelle allongé comme confiant attend le contact de ses mains qui prolongeront ce regard avec la précision tranquille d’un art fait d’acquis enracinés et d’intuitions.
Dans la pièce d’à côté, Pietro l’archetier égrise une baguette en forme d’ombre brune. Dans un même lieu, donc, chacun travaille un objet musical à part entière, un objet qui rencontrera l’autre par l’entremise d’une mèche et l’intermédiation de cordes.

Violoncelliste, Mélanie connaît les sensations des deux côtés de l’instrument, celui où il est question de donner à entendre, celui où il s’agit de préfigurer ce qui s’entendra.

Elle parle de son métier comme d’un vocabulaire tant il s’agit de formuler les mots d’un récit que l’instrument va entreprendre et dont le sens dépendra de gestes invisibilisés. Dès lors, le rapport avec le violoniste, l’altiste, le violoncelliste n’est pas l’essentiel des relations qui se nouent tant l’instrument, malade, ou fragile, à faire ou à parfaire, est à la fois le sujet et l’objectif.

Bédanes, gouges et racloirs, happes et béquettes attendent les mouvements précis de la luthière, un fragment d’érable ondé ou d’épicéa de résonnance sont les éclats d’arbres ennoblis qui vont se plier à l’art en progression. Oui, une onde, une résonnance, la facture des instruments à cordes n’est pas faite d’atours boisés mais de véritables essences. Leur travail sera prolongé d’une mise en tension, de réglages infimes, autant de mouvements relevant d’une alchimie de gestes initiés et d’ajustement confidentiels qui exulteront quand le musicien fera corps avec son instrument. En attendant, au cours d’un préalable essentiel et discret, la luthière aura ciselé le délicat équilibre quand les pièces, chevalet, table d’harmonie, éclisses, auront été intimement jointes pour faire éclore leur raison d’être.

Dans la lumière des bois.

Dans la lumière des bois, Atelier de Mélonie Kaltenbach, Photo Jean de Faultrier

Mélanie Kaltenbach évoque le rituel augural de la rencontre avec celles et ceux qui se lancent dans l’apprentissage du violon ou du violoncelle et le bonheur qu’elle perçoit lorsque, ayant franchi ce seuil incroyable du plaisir de jouer, ils entrent alors dans son atelier en quête d’un objet qu’ils vont apprivoiser, aimer, choyer dans un rapprochement complexe faisant fi de leur âge, du temps qu’il fait et de ce que les autres pensent. Quelque chose d’aussi indescriptible que la logique d’un angle de renversement…

Le 18 mai 2020, il était question dans Singular’s du Concerto pour violon de Peteris Vasks interprété par Olivier Charlier dans le chœur de la cathédrale de Lisieux. Ayant rejoint la sacristie à la fin du concert, le violoniste y rencontrait un jeune élève qui tenait à lui monter son tout nouveau violon. Le concertiste et l’apprenti musicien nouèrent alors un dialogue presque émouvant au cœur duquel l’instrument n’avait de vie ou de reconnaissance que parce qu’un luthier à la fois talentueux et providentiel avait compris l’espérance organique de l’aspirant.

Une rencontre d’harmonies, Atelier de Mélonie Kaltenbach, Photo Jean de Faultrier

A deux pas de l’atelier de Mélanie Kaltenbach se croisent les rues de l’Espérance et de la Providence. Un croisement vécu littéralement une fois franchi le seuil de l’atelier de Mélanie Kaltenbach.
Entre fébrilité et paix, son ambiance est à la ferveur.

Jean de Faultrier

Pour aller plus loin avec Mélanie Kaltenbach

Le site de Mélanie Kaltenbach , 67 Rue du Moulin des Prés, 75013 Paris
Où l’on perçoit l’affective et complexe trace d’un parcours dédié avec conviction aux savoirs de la main qui permettent à l’artisan de sculpter l’art.

Et sur sa recommandation :

Le Bois de lutherie, accompagne les luthiers professionnels et amateurs dans la fabrication de leurs instruments de musique.
Où l’on comprend l’émouvante présence d’une nature puissante dont il faut vigoureusement préserver intactes les promesses.

Discographie sélective

Au travail infini des luthiers et accordeurs, les interprètes offrent parfois une reconnaissance à l’acteur incontournable de leur succès. Mais, toujours, c’est l’instrument qui dit sa gratitude.
Ecoutons…

  • Paganini, 24 caprices op. 1, par Julia Fischer (Decca,  Janvier 2010)

  • Bach, Six évolutions, suite pour violoncelle, par Yo-Yo Ma (Sony Classical, Août 2018)

  • Brahms, Chostakovitch, Debussy, Schumann, Duo, par Sol Gabetta et Hélène Grimaud (Deutsche Grammophon, Octobre 2012).

[Photo 5 – Yamniak]

accroché au centre de l’atelier

« Autoportrait en violoncelliste » d’Arthur Yamniak (reproduction avec l’aimable autorisation de l’artiste) Photo Arthur Yamniak

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