Culture

Roger Waters, The Dark Side of the Moon Redux (SGB-Cooking Vinyl)

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 10 octobre 2023

[Partage d’un mélomane] On a parfois envie de critiquer les critiques, histoire de mettre un pied dans la thématique de l’arroseur arrosé. L’envie naît ici de la consistance (ou non) des critiques parues en français comme en anglais à propos de la célébration, à sa façon, par Roger Waters des cinquante ans de « The Dark Side of the Moon » (DSOTM). Il en propose depuis le 6 octobre une version d’une singularité assez notable baptisée du nom d’origine auquel il a ajouté le terme « Redux » édité par SGB-Cooking Vinyl. Son sens oscille pour Jean de Faultrier entre « revu » ou « mis à jour » et « nouvelle formule », une façon de repenser le mythique album avec des oreilles qui ont, elles aussi, pris les cinquante années et d’assumer une leçon sur la vie.

“The memories of a man in his old age
Are the deeds of a man in his prime” (1)

Disons le clairement : de ce « Redux » de l’un des albums le plus célèbre des Pink Floyd,  il y a autant de critiques élogieuses que de billets assassins ou consternés, parfois les uns comme les autres sont convaincants
Mais il est légitime aussi de se demander si certains ont seulement écouté le CD…

Il manque un regard croisé sur l’œuvre et sur l’homme.

Roger Waters, The Dark Side of the Moon Redux (SGB-Cooking Vinyl)

Sur l’œuvre d’abord, Waters explique dans un texte qui accompagne la nouvelle édition où on le retrouve bien tel qu’il est bavard et engagé , qu’il ne fait que proposer de « ré-écouter » et/ou de « repenser » l’album et son concept avec des oreilles qui ont , elles aussi pris les cinquante années écoulées depuis sa création tout comme notre monde A partir de ses mots d’alors, il tire une leçon sur la vie , il suggère également une relecture des textes écrits par le trentenaire qu’il était à l’aune des « années passées derrière soi ». Il n’omet pas d’y citer s es camarades floydiens de l’époque dont les contributions musicales ont été majeures et déterminantes.
Autour de lui on retrouve de fidèles acolytes qui, de concerts en albums ou encore en vidéos, accompagnent depuis un long moment une évolution du son certes vers de l’épuré caverneux mais d’une intensité vibratoire jouissive.

Les récentes «Lockdown Sessions » dont la revisitation de « Comfortably Numb » (sans guitare aucune…) donnent la tonalité que l’on retrouve au cœur du DSOTM Redux. Voilà pour l’œuvre.

S’agissant de l’homme ensuite, son regard sur lui même est profondément empreint de la thématique souvent abordée lors de la composition de the DSOTM : la mort et la vie. Au cœur même de ses tournées aux sous titres facétieux (« Premier tour d’adieu » pour « This is not a drill », titre lui même en abyme pour ce qu’il renvoie d’inéluctable) le thème reste en premier plan. Qui pense Waters immuable depuis la création de DSOTM, commet l’erreur classique de celui qui s’attache à la persistance de ses affinités pour contourner son inéluctable vieillissement.

Waters a accompli une longue route

Il a sillonné de longs chemins et visité d’âpres pensées. Sa capacité renouvelée à ne pas refaire toujours la même chose et à s’adosser à ce que le son connaît de plus contemporain dans la manière de le capter et de le restituer, tout cela mêlé à l’agrégation des ans, lui permet de soumettre au plaisir des uns ou au déplaisir des autres une sorte de « là où il en est là où il en est » avec sa vie. S’adosser à l’anniversaire d’une œuvre artistique, « là où il en est » avec sa vie.

S’adosser à l’anniversaire d’une œuvre artistique, la sienne, qui a franchi cinquante années sans tutoyer l’ennui, est un sienne, qui a franchi cinquante années sans tutoyer l’ennui, est un excellent prétexte.

Par dessus tout, il semble que l’on ait affaire plus symboliquement à un cheminement dessus tout, il semble que l’on ait affaire plus symboliquement à un cheminement testamentaire. Waters nous donne lui-même cette indication dès l’ouverture de sa l’ouverture de sa «Redux» dans un style dans un style sprechgesang.

Au fond, il a quatre vingt ans, on pourrait l’entendre lui même le dire comme ça, I am eighty fucking years old
Or, c’est bien de cela qu’il s’agit :

The memories of a man in his old age
Are the deeds of a man in his prime. (1)

C es mots sont les paroles d’un morceau de « Obscured by Clouds », seconde musique de film confiée par Barbet Schroeder à Pink Floyd pour son film « La Vallée » (le premier était « More ») composé au cours de la phase de projection de the DSOTM.

Un peu plus loin dans Redux, Waters remplace les propos introductifs de « The Great Gig in the Sky » (en l’occurrence ceux prononcé par le concierge des studios Abbey Road) :

And I am not frightened of dying.
Any time will do, I don’t mind.

Why should I be frightened of dying?
There’s no reason for it – you’ve got to go sometime.(2)

par des fragments épistolaires où il est question de legs. C’est comme un écho substitué, oui un de ces Echoes (Meddle)

#Jean de Faultrier

(1) « Les souvenirs d’un vieil homme Sont les actes d’un homme dans la force de l’âge. »
(2) « Et je n’ai pas peur de mourir. Peu importe le moment, ça m’est égal. Pourquoi aurais-je peur je peur de mourir ? Il n’y a aucune raison, il faut bien partir un jour. »

Pour aller plus loin avec Roger Waters

Elève de l’école polytechnique d’architecture, Roger Waters y rencontre les amis avec qui sa vie prend, au sens du destin, une voie singulière : Syd Barrett, Nick Mason et Richard Wright. Ensemble (avec Gilmour remplaçant Barrett disparu sur la face sombre de son monde) ils vont construire d’heureux espaces où l’on se sent aujourd’hui encore dans un monde d’innovations mêlant des mélodies prodigieuses, des sonorités inédites et des embrasements inventifs.

Architecte usant de matériaux musicaux inexplorés auxquels Gilmour apportera des couleurs pénétrantes et ensorcelantes comme des ornements prodigieux, Waters propose ou impose, selon les lectures, des cathédrales de sons restées inscrites au fil des ans dans notre géographie intérieure. Jusqu’à la séparation en 1985 d’avec les trois autres… Il poursuit depuis une démarche engagée et promène un regard à la fois douloureux et mordant sur notre monde, ce que reflètent quasiment toutes ses compositions émaillées des bruits de notre civilisation.

Discographie sélective

Période sans Pink Floyd

  • Amused to Death, Columbia, Août 1992.
  • Is This the Life you Really Want, Columbia, Juin 2017.
  • Lockdown Sessions (Legacy recordings, disponible en version numérique, à paraître le 2 juin 2023).
  • Ça Ira (version française ou version anglaise), Sony Classical, septembre 2005.

Période Pink Floyd

  • The Dark Side of the Moon, Pink Floyd records, Mars 1973.
  • Animals, Pink Floyd Records, Janvier 1977.
  • The Wall, Pink Floyd Records, Novembre 1979.

A noter également l’édition de concerts en DVD immersifs :

  • In the Flesh, Sony, Avril 2002.
  • Us and Them, Sony Legacy, Octobre 2020.

Partager

Articles similaires

Bela Bartók & Peter Eötvos, l’esprit Magyar et ses forces telluriques

Voir l'article

Mélanie Kaltenbach, luthière qui préfigure ce qui s’entendra

Voir l'article

Baudouin Van Daele, accordeur, libère ce qu’il y a de « juste »

Voir l'article

Patrick Querleux, un rêve de sons dont le luthier fait des guitares

Voir l'article