L’Île intérieure, de Jean-Marie Gallais (Villa Carmignac - éditions Dilecta)
du mardi au dimanche (fermé le lundi) de 10 h à 18h.
Catalogue, sous la direction de Jean-Marie Gallais, contributions de Ryōko Sekiguchi, notices et interview de Jean-Marie Gallais par Yann Chateigné Tytelman (éditions Dilecta)
Si vous ne pouvez pas accoster sur l’Ile de Porquerolles d’ici le 5 novembre pour découvrir in situ dans le somptueux labyrinthe de la Villa Carmignac, l’exposition « L’Île intérieure » conçue par Jean-Marie Gallais, son magnifique catalogue (éditions Dilecta) constitue une véritable anthologie des imaginaires de « L’Ile » dans l’art moderne. Les extraits des textes signés de Ryoko Sekiguchi, de Yann Chateigné Tytelman et du commissaire illustrant près de 80 œuvres d’une cinquantaine d’artistes – d’Anna-Eva Bergman à Basquiat – vous convaincront qu’aucun homme n’est une île. Et qu’il est temps de réserver l’année prochaine votre voyage pour « L’Ile dans l’ile » à l’invitation de la Fondation Carmignac.
Au commencement, un espace et un temps suspendu
Il y a des paysages et des corps, des paysages dans des corps, puis un enchevêtrement de situations comme les rêves savent en produire, des situations floues, agréables, inquiétantes parfois. L’œil divague face à des œuvres qui agissent en mirages… Mettant « en abîme » la situation insulaire de la Villa Carmignac sur l’Ile de Porquerolles, le parcours de l’exposition et le long entretien du catalogue sur L’île intérieure, imaginés par Jean-Marie Gallais, explore un moteur essentiel de la création, aussi puissant que commun: la mise à distance du réel pour révéler une intériorité.
Si l’art contemporain n’a jamais été aussi politique et en prise avec le monde, tout un pan de la création, la peinture en particulier, semble s’en détacher pour offrir de vertigineuses plongées dans des mondes intérieurs et des replis. Que signifie cet écart du réel aujourd’hui ?
Une île. Une île où l’on perd ses repères. Une île qui nous fait oublier le temps de la civilisation. Un morceau du Gondwana surgi en Méditerranée. Une île à la fois puissante et fragile. Un royaume. Une île réelle, une île fictive. Des œuvres. Des œuvres détachées de la réalité. Des œuvres échappant à la géographie et au temps. Un archipel imaginaire, des conversations secrètes. Une énergie antique, vitale. Des îles de pensées, des îles inventées. Des îles intérieures.
Etre ces « chercheurs de l’intérieur dans l’extérieur », pour reprendre les mots de Kandinsky. Ce thème infusait déjà nos précédentes expositions : « La Mer imaginaire » nous emmenait dans les profondeurs de la mer et de l’inconscient ; « Le Songe d’Ulysse », odyssée d’un retour à soi, dans l’espace mental d’un labyrinthe. Cette fois-ci, l’exposition assume pleinement le décrochage du réel et invite à s’abandonner dans le vertige du lointain. (…)
Comment soupçonner que des intériorités pouvaient si bien s’entremêler, jusqu’à former une géographie ?
Charles Carmignac, L’Ile dans l’ïle.
« La Métamorphose d’une Ile » (Ryoko Sekiguchi)
L’île serait-elle en quelque sorte un vivier inversé, couvée, conservée, enfermée par l’eau qui l’entoure ? Les vivants d’une île, hommes et animaux confondus, seraient-ils des poissons de ce vivier inversé ? (…)
Les échanges et les rencontres du grand hasard. C’est l’eau qui décide. L’île est une existence condensée. Tout est condensé sur cette terre si particulière. (…)
Est-il possible pour une couleur de se métamorphoser en île ? Si quelque chose peut se transformer en île, une île pourrait-elle, elle aussi, se métamorphoser en quelque chose ? La métamorphose n’intervient pas uniquement dans l’imaginaire, certains phénomènes, même les plus improbables, peuvent véritablement avoir lieu. (…)
Est-il possible pour une couleur de se métamorphoser en île ? Si quelque chose peut se transformer en île, une île pourrait-elle, elle aussi, se métamorphoser en quelque chose ? La métamorphose n’intervient pas uniquement dans l’imaginaire, certains phénomènes, même les plus improbables, peuvent véritablement avoir lieu (..)
Un papillon a-t-il une odeur ? Quelle serait l’odeur d’un papillon ? Dans de nombreuses civilisations, le papillon était le symbole du souffle. Comme une île ? Un jour, nous verrons un papillon qui était jadis une île. Un jour, nous sentirons une odeur, et nous penserons que cette senteur était autrefois une île, une île que nous avons jadis connue.
Ryoko Sekiguchi
« Est-ce que cela m’est arrivé ou ai-je rêvé trop fort ? » (Jean-Marie Gallais)
À travers cette exposition, j’essaie de souligner l’une des tendances fortes de l’art contemporain à imaginer des situations hors de temporalités et géographies connues.
Et cela finit par parler du présent.
Certaines des œuvres sont plus sombres, elles nous mettent face aux incertitudes du monde, elles livrent une réflexion sur notre rapport au passé ou imaginent des futurs, elles sondent nos croyances, d’autres sont en dialogue avec l’histoire de l’art et la manière de faire naître des images dans notre monde – le voyage est donc autant physique que mental, comme l’île est autant physique qu’intérieure.
Toutes ces œuvres, et encore davantage dans leurs dialogues et leur délocalisation temporaire sur cette petite île en Méditerranée, sont des portes, des seuils.
Où mènent ces portes ? Je pense que la réponse est complètement différente pour chaque personne, c’est aussi pourquoi l’interprétation des œuvres est laissée assez libre, les textes qui les accompagnent indiquent seulement des directions.
Jean-Marie Gallais
Bonne nouvelle, s’il ne restera plus après de 5 novembre 2023 qu’un superbe catalogue pour déambuler dans cette véritable anthologie de l‘Ile en art moderne, « l’invitation à s’abandonner dans le vertige du lointain par un décrochage assumé avec le réel » de Charles Carmignac reste ouverte pour l’année prochaine.
#Olivier Olgan