Culture
L’Usina de Arte de la famille Pessoa de Queiroz ambitionne une anthropocène créative
Auteur : Marc Pottier, Art Curator basé à Rio de Janeiro
Article publié le 28 juillet 2021
[Initiatives de collectionneurs] Ancrée dans une tradition philanthropique culturelle, la famille Pessoa de Queiroz soutient et anime le projet Usina de Arte depuis 2015 ; transformer une ancienne usine de canne à sucre en un parc art-botanique anthropocène, près de Recife dans la région Nord-Est brésilienne du Pernambuco. Fier de la trentaine d’œuvres déjà réalisées, Bruna Pessoa de Queiroz, sa présidente revient sur la dynamique de l’une des plus belles initiatives culturelles privées brésiliennes.
La culture comme une seconde peau
Personnalité juvénile au sourire rayonnant, dès la première rencontre, Bruna Pessoa de Queiroz vous donne l’impression d’être devenue ‘your new best friend’. Cette ‘artistocrate’ qui loin d’être dans une tour d’ivoire, fait dialoguer tous les arts, mariée à son cousin éloigné Ricardo (qui, à ses heures, est aussi artiste) appartient à cette famille dynastique du Nord Est pour laquelle l’art et la culture sont comme une seconde peau. Son arrière-grand père Caio de Lima Cavalcanti (1898-1975) ambassadeur avait, entre-autres œuvres, une des plus importantes collections du peintre néerlandais Frans Post (1612-1680) dont les tableaux sont des témoignages uniques de la vie des colons portugais et des paysages brésiliens. Elle est aussi apparentée avec Nara Roesler dont la galerie éponyme est une des plus importantes au Brésil dotée d’une antenne new-yorkaise.
De l’Usina Santa Terezinha au projet Usina de Arte
Le projet Usina de Arte initiée dès 2015 peut se décrire comme un incroyable acte de résilience face aux démissions successives qui ont conduit à abandonner une ancienne usine de sucre en 1998 à une 100aine de kilomètres de Recife.
Propriété de la famille Pessoa de Queiroz, l’Usina Santa Terezinha avait commencé à fonctionner en 1929 pour devenir dans les années 1950 la plus grande productrice d’alcool et de sucre du pays. Située dans la municipalité d’Água Preta, Zona da Mata Sul de Pernambuco, le site avait son propre chemin de fer, d’environ 100 kilomètres de ligne, 21 locomotives et plus d’une centaine de wagons, utilisés pour le transport de la canne à sucre, le sucre et l’alcool. Frappée par une grave crise de dépréciation du prix du sucre mondial, l’usine a dû mettre fin à ses activités en 1998.
Près de deux décennies plus tard, grâce à la conviction que l’art peut constituer un ressort de développement pour l’ensemble de la communauté autant effervescent qu’enthousiasmant, l’Usina Santa Terezinha est devenu l’Usina da Arte ; un creuset créatif qui débute dès 2013 avec des résidences d’artistes pour se développer en un parc artistique et botanique. Son rayonnement favorise un nouveau cycle de développement environnemental, économique et culturel pour la région Nord-Est brésilienne du Pernambuco située.
Un projet « anthropocène » associant nature, art et éducation
Première mutation l’ancienne usine a été transformée en ateliers et salles de classes. Des résidences artistiques (arts visuels et littérature) qui se veulent internationales, se poursuivent avec la production d’œuvres qui interagissent directement avec l’environnement du site.
Le parc art-botanique, qui compte environ 10 000 espèces distinctes, n’est pas seulement un jardin de sculptures, mais « un espace d’expériences et d’interactions avec un festival annuel de musique et un programme éducatif pour les élèves des écoles locales » détaille Bruna Pessoa de Queiroz, sa présidente dans son enthousiasme communicatif habituel.
Parallèlement, des travaux qu’il est trop long de détailler ont commencé sur le reboisement et la récupération de l’habitat des animaux sauvages dans la région, dans le but d’inverser l’usure subie par des décennies d’utilisation des terres avec les plantations de cannes à sucre.
L’intelligence collectif familial
Cette initiative culturel et scientifique qui va bien au-delà de la seule production artistique poursuit une passion familiale qui la lie à l’art et à la science depuis longtemps. Dans cette famille, rien n’est écrit d’avance. Tout reste ouvert et les – bonnes – rencontres ont dicté les premiers pas de ce projet philanthropique qui en moins de cinq ans a déjà su réunir une trentaine d’œuvres, essentiellement réalisées sur place. Le choix s’effectue sans préjugé ni à priori et les projets les plus ‘décoiffants’ peuvent trouver place.
La dynamique reste familiale dans tous les sens du terme, institutionnel (taille humaine), organisationnel (circuit de décision court et simple) et économique. Cette souplesse permet de capter avec grande intelligence les opportunités qui se présentent. Ainsi une rencontre fortuite chez un grand collectionneur français d’art contemporain Laurent Dumas à la Biennale de Venise avec Lorenzo Fiaschi de la galleria Continua a fait qu’on pourra voir sous peu l’œuvres ‘Jardim Fragil’ de l’artiste cubain Carlos Garaicoa (1967-)
Une organisation souple, appuyée sur des artistes visionnaires
Retour en arrière. Le projet s’est structuré grâce à l’artiste José Rufino (1965-) directeur artistique de 2015 à 2019 qui partage avec la famille une passion commune pour les plantes : « J’étais concentré sur l’indication d’un chemin conceptuel, une sorte de commissariat informel. nous a-t-il confié. Un projet de résidences, de festivals et de diverses actions éducatives et culturelles a démarré très librement et très largement basé sur des contacts, des collaborations d’aristes notamment Hugo França (1954-) et Fábio Delduque (artiste et directeur de festivals), tout comme celle du MAMAM de Recife. »
Rester ancrer dans la culture locale.
Avec le blanc-seing de la famille et par affinité avec son propre chemin poétique, en particulier avec la poésie visuelle et l’art postal, José Rufino s’est consacré à la mise en place d’un espace plus axé sur les expériences linguistiques et les héritages de la région du Pernambuco et de l’avant-garde du Nord-Est. Un espace, au rez-de-chaussée de l’actuelle bibliothèque de l’Usine, a été conçu pour des expositions et des événements destinés aux enseignants de la région, afin de proposer des outils d’exploration linguistique et sensorielle leurs pour leurs classes.
Ainsi fut une première exposition de Paulo Bruscky (1949-) suivie par une de l’artiste uruguayen Clemente Padín (1939-).
Favoriser les interactions entre artistes et communauté
« Mon idée allait des concepts de sculpture sociale (Joseph Beuys), d’esthétique relationnelle (Nicolas Bourriaud), d’objets relationnels (Lygia Clark), d’Arte Útil, art utile au contraire de l’art pour l’art, (Tania Bruguera et expériences du Queens Museum, Van Abbemuseum et Grizedale Arts), de Sim- poiesis (Donna Haraway) et d’autres concepts-expériences d’art socialement engagé. Par conséquent, je ne pensais pas beaucoup aux œuvres, mais surtout aux expériences entre les artistes et la communauté. Le premier invité fut Carlos Mélo, qui s’est impliqué dans le village de Santa Teresinha et, à la fin, a joué un spectacle avec la participation d’habitants de la région. Puis Daniel Acosta et Lais Myrrha, dont les projets ne sont toujours pas achevés, mais dont les expériences locales ont été importantes pour la direction des résidences et les typologies des œuvres du parc de l’Usina da Arte ».
Une constante audace, à contre-courant de la politique gouvernementale
Difficile de détailler l’impression de la trentaine d’œuvres disséminées dans les 33 hectares du parc, qui dialoguent avec leur environnement, mais nous pouvons en souligner la constante audace, d’hier avec les sculptures-bancs à partir de troncs d’arbres condamnés du designer Hugo França (1954-) à aujourd’hui, l’œuvre choquante et bouleversante (aux bons sens des mots) de l’artiste Juliana Notari (1975-). Cela donne bien le tempo d’un projet dynamique, audacieux et généreux.
Diva est une sculpture installation en béton peint dans un rouge feu pour résine de 33 mètres de long, 16 mètres de large et six mètres de profondeur placée sur la pente d’une colline douce qui rend l’œuvre visible de très loin. Ce qui apparait être une vulve de femme met en avant des questions liées à la poétique intime de l’artiste, qui depuis 2003, se penche sur l’anatomie féminine et cherche à susciter des débats autour des tabous sexuels imposés aux femmes. Mais d’autres champs d’interprétation existent comme celui de l’exploitation de la terre par le capitalisme…
Inscrite dans les controverses artistiques majeures des derniers siècles, de Signorellli (La résurrection de la chair, 1499) à Bacon (Trois études pour une crucifixion, 1962), de Courbet (L’Origine du Monde, 1866), à Anish Kapoor (Dirty Corner, Versailles 2010) ou Henrique Oliveira ( A origem do terceiro mundo, 29ème biennale de Sao Paulo), cette œuvre constitue un magnifique déclencheur de réactions adultes et d’encouragement à la pensée, tout ce que souhaite susciter l’Usina da Arte, d’autant que les critiques négatives sont surtout venues de loin alors que l’accueil local fut bon.
Une invitation à tout essayer.
« A ‘Usina da Arte’ les artistes sont invités à tout essayer sans limite de temps et tant pis si on ne peut pas monter tout de suite une proposition vues ses difficultés ou qu’elle soit éphémère comme une performance. Ce qui compte est le dialogue ». détaille Bruna Pessoa de Queiroz, Les artistes invités ont une totale liberté de création ; si le patrimoine culturel lié à la métamorphose du sucre et de l’alcool imprègne la plupart des réflexions et des questions proposées par leurs œuvres, dans cette terre de liberté, ce n’est jamais une condition sine qua none. « Beaucoup se concentrent sur les cycles, les modes de travail, les machines, le vocabulaire et l’architecture de l’industrie de la canne à sucre. » remarque la présidente d’Usina de Arte.
L’avenir parait prometteur
Dans la dynamique du projet, s’annoncent déjà les arrivées Fotini, sculpture de Saint-Clair Cemin (1951-) ou Anfiteatro Botânico de Thiago Rocha Pitta (1980-). L’Usina da Arte est déjà à elle seule une destination qui mérite de détour. Les sourires de Bruna et Ricardo Pessoa de Queiroz vous attendent. Que de bonnes raisons de se réjouir et d’aller découvrir le nord-est du Brésil !
Pour en savoir plus sur l’Usina de Arte
Le site Usina de Arte (attention, le site n’a malheureusement pas encore été actualisé )
Rodovia PE 99, Km 10, Água Preta – Pernambuco, Brasil
Instagram : @usinadearte
Une visite a son propre rythme
Pas de pavillon, seulement des œuvres à découvrir. Même s’il y a des petites voitures de golf pour vous promener, il est bien de prévoir deux jours de visite. Bruna aime bien l’idée que vous viviez au moins un coucher de soleil sur place. Cela fait partie de l’expérience et de la délicatesse de sa présentation. Tout est prévu pour rester sur place.
Liste des artistes présents : Marcio Almeida, , Frida Baranek, Joan Barrantes, Seu Barrau, Paulo Bruscky, Saint-Clair, Cemin, Flavio Cerqueira Liliane Dardot, Bruno Faria, Bené Fonteles, Hugo França, Carlos Garaicoa, Iole de Freitas, Vadim Karchenko, Georgia Kyriakakis, Arthur Lescher, Vanderley Lopes, Paulo Meira, Denise Milan, Juliana Notari, Ricardo Pessoa de Queiroz, Thiago Rocha Pitta, José Rufino, S. Shigley, Marcelo Silveira, José Spaniol, Ronaldo Tavares, Carlos Vergara, Julio Villani
Pour en savoir plus sur le premier commissaire artiste : http://www.joserufino.com/ et @institutojoserufino
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