Culture
[Partage d’un mélomane] Le souffle émouvant de la contralto Sara Mingardo.
Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 7 novembre 2021
[Partage d’un mélomane] Le vocabulaire doit parfois reconnaître ses limites pour entourer, donner forme ou accompagner les sensations qu’un instrument ou une voix font pénétrer en soi et que l’on voudrait exprimer ou simplement partager. En tout cas, le registre rare de la contralto Sara Mingardo laisse littéralement le mélomane sans mot. Il lui reste tout simplement l’invitation au partage. Et d’attendre ses concerts Bach – Christus du 24 au 26 février 2022 à l’Auditorium de l’Opera de Bordeaux.
Automne 1849 – 2021
Frédéric Chopin est mort à Paris il y a cent soixante-douze ans, le 17 octobre 1849. Ce 17 octobre 2021, au cœur de Varsovie qui célèbre l’automne avec un festival de musique contemporaine particulièrement exigeant et apprécié, l’Institut Frédéric Chopin commémore son pianiste éternel en offrant au public le Requiem de Mozart (KV626), une œuvre dense et lumineuse tout autant que profonde, celle-là même qui avait retenti sous les voutes de la Madeleine lors des obsèques de Chopin.
La densité et la lumière sont encore réunies au cœur de la soirée polonaise d’aujourd’hui, sont même transfigurées par les interprètes brillants qui portent ce Requiem : Simona Saturova, Maximilian Schmitt, Jan Martinik avec le Collegium 1704 sous la direction de Vaclav Luck, et, avec eux, Sara Mingardo, contralto vénitienne consacrée par des interprétations inspirées et ardentes du répertoire baroque. Elle apporte au chorus de quatre solistes ses nuances de soleil couchant, de moirures automnales, de saveurs subtiles et parfumées ; sa voix profonde et diaprée habille les prières d’une carnation à la fois glorieuse et aérienne.
Juste pour toucher du doigt un instant ce Requiem, on peut disposer d’un fragment datant de 2013 avec le Lucerne Festival Orchestra sous la direction de Claudio Abbado, Sara Mingardo est parmi les solistes
Retour en arrière, de Mozart à Vivaldi
Cette voix, reconnue… « De torrente in via bibet propterea exaltabit caput… ». On s’éloigne en effet doucement de Varsovie et de Mozart, pour retrouver Sara Mingardo telle que sa voix nous a saisis des années auparavant lorsqu’elle donnait précisément chair aux psaumes de David que Vivaldi a habillés de musique sublime, à plusieurs reprises parfois, en offrant aux voix des registres différents, des tempos différents.
Parmi ces morceaux aériens et boisés, la huitième division du psaume numéro 110 « Dixit Dominus » (sous la référence RV 807 du catalogue des œuvres de Vivaldi, la partition étant datée de 1732), reçoit avec Sara Mingardo une interprétation fulgurante et évocatrice, un sens contemplatif et expressif mêlant (au risque de l’oxymore) puissance et retenue. Le vocabulaire latin dépouillé reçoit ici une coloration subtile et mystérieuse, la contralto donne avec cet andante en mi mineur toute la dimension d’une promesse mystérieuse à ressentir dans sa spirituelle quintessence.
La voix de Sara Mingardo est ce souffle émouvant qui porte avec ou pour le texte un sens libre et grave à la fois sans être écrasant. Texte, musique et voix comme en apesanteur en fait. Humainement, la contralto infuse un charme prenant et diffuse une envergure captivante.
Ce même fragment du psaume 110 est chanté par une soprano dans une des deux autres versions du compositeur vénitien (sous la référence RV 594 du catalogue des œuvres de Vivaldi, la partition étant datée de 1730), version plus connue dans laquelle on retrouve Sara Mingardo avec l’andante enserrant le verset « Tecum principium » dans un écrin de nuances exquises en mi mineur malgré un texte plus vivace ou moins méditatif. La raison d’une plus large diffusion de la version « 594 » du psaume par rapport à la version « 807 » résulte peut-être de son attribution tardive au génie d’Antonio Vivaldi (2005).
L’essentiel invisible
Sara Mingardo habite l’univers baroque avec une élégance naturelle mêlée de nuances chatoyantes. Son interprétation d’« Ombra mai fu » de l’opéra Serse (Xerxès, HWV40) de Georg-Friedrich Haendel donne le frisson avec noblesse, tout comme son aria « Lascia ch’io pianga » initialement composé pour soprano. Ce sont des œuvres rares, mais elles sont accessibles et accaparantes sans modération.
La virtuosité prend forme avec des doigts sur un clavier, avec un dialogue instrumental, se représente dans des gestes, se donne à voir. La voix est cette union du corps avec son art que seul le souffle invisible nous donne à percevoir. La virtuosité est toute à entendre avec Sara Mingardo. Son « Cum dederit » est une ardente incantation qu’on ne veut pas lâcher.
L’automne continue d’emplir les regards de ses prodigieuses déclinaisons moirées et la voix de Sara Mingardo déploie de façon aérienne des nuances aussi riches et aussi émouvantes, on pourra les goûter bien après l’équinoxe et le solstice tout au long du cycle des saisons (sans clin d’œil à Vivaldi).
En savoir plus sur Sara Mingardo
Vénitienne de naissance tout comme Antonio Vivaldi, Sara Mingardo est issue du Conservatoire Benedetto-Marcello de la Sérénissime puis de l’Académie Chigiana de Sienne. Sa présence énergique illumine la scène vocale et notamment baroque depuis 1987. De solides et chaleureuses amitiés accompagnent son inscription dans une discographie puissamment riche et déployée avec bonheur bien au-delà du baroque.
Prochain concert en France
- du 24 au 26 février 2022, Pygmalion, Bach – Christus, direction Raphael Pichon, Auditorium de l’Opera de Bordeaux, 9-13 Cours Georges Clemenceau 33000
Discographie sélective
- Vivaldi,Concerti e Cantate, Concerto Italiano, dir. : Rinaldo Alessandrini, Naïve, 2017
- Haendel, Vivaldi, Pergolèse, Monteverdi, Concerto Italiano, dir. : Rinaldo Alessandrini, Naïve, 2002
- Mozart, Requiem, Orchestre philharmonique de Berlin, dir. : Claudio Abbado, Deutsche Grammophon, 1999
- Berlioz, Béatrice et Bénédict, Orchestre symphonique de Londres, dir. : Colin Davis, 2000
- Haendel, Aci, Galatea e Polifemo (Serenata a tre), Teatro Carignano Torino, dir. : Antonio Florio, live DVD, Dynamic, 2009
- Rossini, Petite messe solennelle, dir. : Antonio Pappano (EMI), 2013
- Alessandro Scarlatti et Pergolèse, Stabat Mater, Concerto Italiano, dir. : Rinaldo Alessandrini, Naïve, 2014.
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