Culture

Guillaume Durand, Déjeunons sur l'herbe (Renaudot Essais 2022, éd. Bouquins)

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 22 décembre 2022

[Initiative de collectionneur] Le témoignage à fleur de regard de Guillaume Durand s’impose comme l’essai d’art de 2022 (Le jury Renaudot le couronne aussi), même si Singular’s en a aussi apprécié d’autres (Fabius, Logé, …). Déjeunons sur l’herbe (Bouquins) est un objet littéraire d’amoureux d’art moderne à nul autre pareil.  Cette confession aussi intime que visionnaire pour l’art comme ‘sortie de soi’ rayonne d’une expérience humble et érudite. Ecrit dans une urgence vitale, le journaliste collectionneur se révèle un passeur lucide pour les « artistes de combat » dans leurs secrets d’atelier. Et un rien rock & roll dans le ton. Au nom d’une seule cause, nourrir « notre pouvoir de regardeur ».

Décomplexer l’amour de la beauté

Mi critique d’art, mi biographique, entre le beau livre richement illustré et le livre de poche, Guillaume Durand a écrit Déjeunons sur l’herbe dans l’urgence d’une course incertaine contre la maladie ; celle de transmettre un amour pour la beauté, et d’inciter toujours à « considérer l’art avec deux yeux ». Loin des modes et des controverses.

Quand on aime la peinture,
on est parfois animé par un double besoin :
posséder et, ensuite éduquer.
Guillaume Durand.

Un objet littéraire d’utilité public

Ce qui distingue cet objet littéraire atypique écrit à la première personne parsemée de jolies formules et magnifiquement illustré, c’est qu’il rend compte sans fard ni calcul – plus de temps à perdre pour ne garder que l’essentiel – d’une aventure à la fois intime (hommage au père galeriste décédé en 2020) et viscérale (les forces de l’art sont les seules nourritures de l’âme).

Manet, Edouard. Le Déjeuner sur l’herbe, 1863 Musée d’Orsau Photo OOlgan

Au fil des pages se dessine un regard reconnaissant à la vie – et ceux qui y contribuent – d’être ébloui. La tentative crâneuse de suspendre le temps n’en est que plus émouvante puisqu’elle ne vise qu’à transmettre ce qui compte pour réussir sa vie et sa vue.

De tous les livres que j’ai écrits,
c’est celui que j’ai le plus envie que les gens lisent.
C’est le plus personnel.
Je crois sincèrement qu’il peut être utile.
Guillaume Durand.

L’urgence porte son écriture

Miquel Barceló, Grisailles (Thaddaeus Ropac Pantin jusqu’au 7 janvier 2023 Photo OOlgan

L’enquête journalistique sur Manet n’est qu’un prétexte érudit pour exprimer avec gratitude son admiration à ces « artistes de combat » qui comme le créateur du Déjeuner sur l’Herbe ont utilisé l’arme absolue : « la beauté contre le joli ». Et de balayer les hauts le cœur de certains pisses froids contre cet art contemporain dont l’exubérante liberté ‘de faire n’importe quoi’ leur fait sortir les révolvers.

La liberté, fût telle toxique n’est pas négociable.
C’est peut-être l’une des définitions de l’art.

Et dans son panthéon à coté de Manet, Guillaume Durand se fait un réel plaisir jouissif à citer pêle-mêle à l’occasion de portraits savoureux ou d’interviews plus d’une douzaine de stars de cet « art contemporain » même si le collectionneur reconnait à regret qu’ils sont désormais inaccessibles pour l’amateur : Jeff Koons, Miquel Barcelo, Robert Longo, Mery Laurent, Alain Jacquet, Roméo Mivekannin,  Jacques Monory, Lavier, entre autres … « Tous ont choisi un chemin différent pour sortir de la nuit et ne pas répéter le passé’.

Robert Longo, Untitled (After Dubuffet, Dhôtel nuancé d’abricto, 1947) 2022 The News Beyond, Ropac Paris Photo OOlgan

Aux critiques, Durand rétorque un enthousiasme sans faille mettant Manet à la barre (aux deux sens du terme, comme avocat et capitaine de la révolte : « Il incarne la preuve que l’art contemporain n’existe pas care le Déjeuner sur l’herbe est vivant pour l’éternité. Partout. »
Mais ne croyez pas qu’il mache ses mots contre le monde de l’art devenu selon lui très codifié, tellement compassé, « à la limite de l’hyperchiant ».  Et de revendiquer le droit d’avoir des admirations radicalement différentes « et d’assumer sa différence dans une véritable guerre du goût »

Informez-vous, passionnez-vous,
mais ne renoncer jamais à votre pouvoir de regardeur.

L’art c’est sortir de soi

Heureusement, le journaliste à survécu à son projet. Son histoire de l’art moderne de cœur et de tête nous appelle à la jouissance active et festive du regard. Nous incitant à vivre face aux toiles, et d’aller à la rencontre des artistes.
Et de revendiquer de « réparer l’injustice sociale de notre Nation à l’égard des peintres. »

Chiche Monsieur Durand. Vous avez encore le temps !

#Olivier Olgan

Une sélection de 10 essais sur l’art (sans œillères)

Pour sortir du pathétique constat ‘L’Art, c’est bien fini’ d’Yves Michaud (Gallimard) et des stéréotypes poisseux sur l’art contemporain (Benjamin Olivennes);  Singular’s garde tout sa confiance dans les artistes d’aujourd’hui.
En parallèle des Beaux Livres, nous avons retenus 10 essais qui ont le dénominateur commun de balayer les frontières temporelles de l’art. Chacun à sa manière contribue à « donner à voir » une autre histoire de l’art, en général et l’art au présent en particulier.
Et de faire réfléchir sur son devenir.

  • Elisabeth Couturier, Art contemporain, Ce qu’il doit aux chefs d’œuvres du passé (Flammarion, 224 p. 24.90€)
  • Sandrine Andrews, Big bang art, Le livre qui secoue les idées reçues (Flammarion, 240 p. 24.90€)
  • Guillaume Logé, Le Musée Monde, L’art comme écologie (PUF, 24€)
  • Laurent Fabius, Tableaux pluriels, Voyage parmi les polyptyques d’hier et d’aujourd’hui (Gallimard, 264 p. 28€)
  • Pascal Picq, Manifeste intemporel des arts de la préhistoire (Flammarion, 160 p. 29€)
  • Dominique Château, L’art autrement qu’art (PUF, 176 p. 14€)
  • Pierre Bayard, Et si les Beatles n’étaient pas nés ? (Les éditions de minuit) 192 p. 17€

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