Culture

Partage d’un mélomane : la fascinante quête de dépouillement de Valentin Silvestrov

Auteur : Jean de Faultrier
Article publié le 14 avril 2021

[Partage d’un mélomane] Quelques notes de piano à la fois fragiles et posées, un écho feutré de cordes enveloppantes, un instantané aux motifs cristallins, on tire le fil doucement et une terre se dévoile inconnue et familière, accueillante, rassurante. La musique de Valentin Silvestrov (né en 1937) révèle un compositeur comme Giya Kancheli en quête de dépouillement. Hélène Grimaud l’illustre dans deux programmes récents The Messenger et Mémory.

Bagatelle(s)

Valentin Silvestrov, cité par Hélène Grimaud, exprimait la transparence que doit avoir la musique afin qu’on « en voie le fond » ; là, dans la pénombre d’une large pièce, le piano montre cette transparence qui révèle derrière un mot léger :  Bagatelle, un fond intime et foisonnant. Expressif.

Il y a quelques années de cela, sous la voute de la belle salle Pleyel désertée, Hélène Grimaud parlait en effet avec grâce de son plaisir d’interpréter Silvestrov, encore largement méconnu alors. A l’automne 2020, elle a offert, et partagé, avec The Messenger (Deutsche Grammophon, 2020) ce plaisir en une courte évocation associée à Mozart.

Déjà son Memory (Deutsche Grammophon, 2018) ouvrait les pages du temps qu’elle y évoquait avec une première Bagatelle, puis une seconde.

Un froissement filé comme une ombre évanescente s’incruste, ce n’est ni un sourire triste ni une inquiétude joyeuse, c’est ce moment qui précède une variation qui lisse l’éphémère élégiaque et en dispose sans métrique dans une tonalité moelleuse sous les doigts du pianiste russe Alexei Lubimov, qui en restitue treize et une variation Bagatellen und Serenaden  (ECM Records, 2007).
Le fil est tiré, encore, doucement toujours, piano et cordes se confondent alors comme un seul instrument en retenue suave, en jeux de lumières aux rouages simples mais indescriptibles, tout cela atteste de la transparence appelée par le compositeur. Des Sérénades, donc, des mélodies, des lignes que l’on pourrait susurrer mais en prenant un risque de s’y perdre à force de distraction où foisonnent le silence, la tranquillité, la quiétude et le calme.

Des évocations courtes mais, comment dire ? …efficaces. Oui c’est cela, le mot est lourd sans doute mais la sensation d’une réponse à une attente inexprimée est tout à fait là.

Suivre le même fil …

….jusqu’aux œuvres plus sophistiquées, élargies pour ainsi dire à la voix ou au violoncelle, ici encore une musique qui se courbe un peu dans sa lumière qui vacille comme mordorée et qui s’apprivoise. Leggiero, Pesante (ECM New Series, 2002) où rien n’est léger, pesant, juste en apesanteur transparente selon le vœu même de Silvestrov.

Puis la voix, les voix, celles par exemple de « To Thee We Sing » (Ondine, 2015)

ou endeuillées dans l’hommage à l’épouse défunte « requiem pour Larissa » (ECM New Series, 2004).

Peu après, une symphonie, la 5ème par exemple (BIS, 2009) avant d’autres moments d’orchestration pleine, revenir ensuite à la simplicité du piano dans ses couleurs évocatrices. Suivre le même fil…

Hymnes et ailleurs.

Silvestrov ne nous parle pas de sa vie mais du regard qu’il porte sur son siècle, sur sa liberté de n’être pas toujours celui que l’on attend au centre d’une scène à la fois politique et musicale sans que l’accouplement de ces mots ne soient une vulgaire tentative d’éviter ce qui a été réel.

A travers cette foison d’œuvres créées discrètement, on voit se dessiner une âme, une âme qui nous donne un parfum de vie ou de feuilles ou de doute. Et rien ne se fatigue de ces retours incessants vers d’autres formes que celles par laquelle notre découverte s’est ancrée, la musique est là, ce qui sort d’elle en nous nous nourrit, nous accomplit, nous donne faim.

Oui, tirer ce fil ténu des Bagatelles de Silvestrov va nous conduire de plus en plus loin à la fois en nous-mêmes et en ce qui nous relie au monde que nous aimons quand il parle le vocabulaire de la musique.

En savoir plus sur Valentin Silvestrov

voir chaîne youtube très complète

Deux phases caractérisent le parcours de Valentyn Silvestrov (né à Kiev, Ukraine, le 30 septembre 1937)

  • années soixante : très logiquement investie dans l’avant-garde et habitée par des libertés inédites, des tonalités expérimentées, des courants jumelant des tendances complexes (dodécaphonisme, post sérialisme, conceptualisme)
  • après 1970 : il renouant avec des couleurs de mélodie, de l’expression, des nuances chromatiques autour d’un langage étiré.

Hommages d’Hélène Grimaud :

  • The Messenger, Deutsche Grammophon, 2020
  • Mémory, Deutsche Grammophon, 2018

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