Culture

Portrait masqué/démasqué de Logan Hicks, pochoiriste de rue

Auteur : Régine Glass
Article publié le 8 novembre 2021

[Artiste urbain d’aujourd’hui] Reconnu comme l’un des plus grands pochoiristes mondiaux, Logan Hicks vient de signer une fresque Paris to New York Portail au 38 rue de la Roquette, à la Bastille. A l’occasion d’un nouveau passage à Paris,  l’artiste new yorkais se confie à Singular’s sur son parcours, ses influences et l’amitié décisive de Shepard Fairey.

  

[Régine Glass] Comment avez-vous débuté dans le pochoir ?

Logan Hicks masqué, démasqué photo Logan Hicks

[Logan Hicks] J’ai une formation classique en Beaux-Arts et quand je suis sorti de l’école dans les années 90, j’ai senti que je n’étais pas spécialement le bienvenu dans le monde de l’art. J’ai commencé par travailler dans une société d’édition de produits sérigraphiés où j’ai réalisé des posters, des tee-shirt et des stickers. Très vite, je me suis rendu compte que la dimension commerciale prenait le pas sur l’artistique, que je n’ étais pas épanoui, Mon travail me frustrait, j’attendais autre chose de ma relation à l’art. Ce que je voyais alors dans les galeries n’inspirait pas. Parallèlement à mon travail alimentaire, j’ai alors débuté le travail du pochoir, qui ressemblait fortement à la sérigraphie.

Le pochoir m’a donné une liberté d’expression et en même temps je découvrais un média simple, adaptable et facile. Toutes ces raisons en ont fait un media de prédilection. Cependant, ma formation en beaux-arts venait me titiller, est -ce Monsieur Tout le monde peut en faire autant ?

A cette époque j’organise aussi des soirées expositions entre artistes dans mon entrepôt du Maryland et je fais là, la connaissance de Shepard Fairey (dit Obey Giant lire Singular’s) qui deviendra un ami proche…..

De faire à partir d’un media simple un produit hautement sophistiqué

Logan Hicks, Portrait au pochoir, San Diego

En 1996 j’ai déménagé de Baltimore à San Diego avec Shepard Fairey, pour rejoindre le mouvement Lowbrow, mouvement californien avant-gardiste sur le streetart et la culture underground. Ce voyage m’a permis de beaucoup échanger, avec Shepard. Quand je lui ai dit que je m’orientais vers le pochoir que je travaillerai en multi couches afin de donner du relief et de la profondeur à la façon des maitres classiques, il m’a encouragé. J’ai réalisé quelques pochoirs pour lui. Ce fut, le début de mon déclic artistique, j’avais trouvé mon mode d’expression. Mes premiers portraits seront des monochromies à partir de photographies. J’ai débuté avec des portraits d’amis.

Était-ce pour vous, une façon de donner des lettres de noblesse à un art si accessible ?

Logan Hicks, Musique, pochoir, San Diego

Si, la question de la légitimité artistique d’un sculpteur de marbre ne se pose pas, le pochoir lui,  accessible à tous, devait gagner une légitimité. Avec un travail minutieux de superpositions de couches d’aérosol, j’ai complexifié ce media pour l’ériger en art, pour donner une profondeur à l’œuvre au  niveau technique.  J’opère un travail d’épure pour garder ce qui résistera au temps, c’était mon défi personnel, c’est devenu ma signature.

C’est ma façon de donner une véritable dimension artistique au pochoir et de développer un véritable « savoir -faire » à la façon dont les grand maitres de l’impressionnisme ont modifié leur regard sur la peinture en y faisant entrer la lumière tout en décomposant les éléments touche par touche.  Je pense à Seurat, à Monet qui ont su capter la lumière et la nature dans un flou artistique que l’on doit beaucoup aux découvertes photographiques de l’époque. Mon travail aujourd’hui est très proche de celui de Monet . L’application de la peinture en aérosol sur la toile produit « un mélange optique» ; c’est une évolution moderne des courts coups de pinceau et de l’application fragmentée des couleurs de Monet. Je fais de l’impressionnisme urbain, et je me plais à imaginer le travail des impressionnistes avec les techniques d’aujourd’hui.

Quel fut la réception de cet art underground à San Diego ?

Logan Hicks, Portrait au pochoir, San Diego

J’ai réussi à hisser le plus haut possible cette façon de produire un art qui reste urbain et accessible à tous.

A cette époque à San Diego, avec Shepard Fairey on nous a proposé de déposer nos œuvres dans une boutique de mode. Cette petite exposition, au Matlab m’a permis d’exposer mes pochoirs photographiques. A partir de là j’ai développé et performé mon art.

L’architecture a quelques chose de commun avec la façon dont je travaille, je ne m’intéresse pas à l’architecture pour l’aspect construction mais pour l’émotion qu’elle inspire. Quand je dessine une ville, je ne dessine pas des bâtiments mais le sentiment que m’inspire la ville, je tente de reproduire des émotions. Je tente de décrire une personnalité au-delà de tout, je travaille souvent avec une caméra pour capter la réalité et avec mon œil je traduis l’émotion. Je fais un travail de transposition entre ce que j’ai filmé et ce que je vais dessiner sur le mur, je replace des éléments et j’en enlève d’autres comme un architecte je façonne l’espace pour traduire ce « mood », cette sensation que le lieu m’inspire.

Est-ce la raison de votre surnom « Photographer ‘eye » ?

Quand je dois faire un tableau je tente d’enlever tous les éléments non importants ou non significatifs de l’endroit, j’enlève les symboles, les affiches publicitaires qui ne s’inscrivent ni dans l’histoire, ni dans la ville.  Je capte l’émotion que j’essaye de retransposer dans mes tableaux. Je travaille avec la même précision que la photographie. Le rendu pictural se densifie avec les multi couches. Je peux travailler jusqu’à 25 épaisseurs pour avoir un rendu de très haute qualité.

Quelle est la source de votre inspiration en tant qu’artiste, Shepard Fairey donne à sa peinture une dimension très politique et vous ?

Logan Hicks The cleaner, GICLEE, 2019 Hommage à Monet

Certains peignent pour changer le monde, moi je peins la nuit, car le noir affecte notre perception et notre façon d’interagir avec les autres. J’essaye de capter cette interaction avec le monde.

Quand je peins, je prends mon inspiration dans le voyage pas forcément dans la politique et je me projette dans la ville idéale dans laquelle j’aimerai vivre. Je peins le monde comme j’aimerais le voir, avec une nature paisible et bienveillante. Mon travail est le fruit de cette interaction avec le monde et les gens. Il est assez intérieur quand celui de Shepard est plus tourné vers l’extérieur. A l’intérieur je suis comme un volcan ; à ce titre je suis très américain. Dans mon art je suis beaucoup plus proche des émotions, et des situations. Je me pose beaucoup de questions existentielles que tout le monde se pose ; comme pourquoi suis-je là, quelle est ma contribution sur cette terre, …. J’aime peindre la nature, elle me connecte au monde et à la ville. Mon inspiration vient de mes interactions avec les gens et les villes.

Quels sont les peintres qui vous inspirent ?

Caravage m’a toujours fasciné par l’emploi de couleurs sombres et sa façon unique d’y introduire la lumière.

 

Logan Hicks Entente, 2019 Hommage à Monet

Monet ensuite et toujours, pour sa maitrise de la couleur et son travail sur la distance de près et de loin comme l’œil du photographe qui joue avec la focale pour vous dévoiler à chaque fois une partie nouvelle du tableau. J’ai réalisé déjà 3 murs à partir des œuvres de Monet ( m1- m 2- m3). Son rapport à la nature à chaque heure de la journée pour peindre les nymphéas de son jardin est juste une source de paix et de beauté avec une dimension si personnelle, il m’émeut profondément. D’ailleurs sa peinture est celle qui a le plus inspiré mes murs. Mon voyage à Giverny en 2016 a été un éblouissement, j’ai reproduit sur le mur de New York Tunnel Vision le plus grand pochoir du monde 5800m² représentant le jardin de Giverny tel qu’il m’est apparu, j’ai travaillé durant 9 mois et le fresque sur plus de 9 m de hauteur et l’hommage grandeur nature que je dois à cet inspirateur de génie.

Puis Dali, il peignait un monde à l’intérieur de lui, un monde sans limite, sans fin, très onirique avec une conscience cosmique de sa peinture, cet aspect est assez fascinant.

Klimt a influencé très tôt ma façon de peindre, son art du motif et sa façon de remplir la toile a influencé ma façon de couvrir les murs et les surfaces et enfin

Shepard Fairey enfin, c’est grâce à lui que j’ai continué dans le monde de l’art, car ce que je voyais en sortant des beaux-arts, ou dans les galeries ne me donnait pas très envie, cela ne me parlait peu. Notre rencontre de 1996 a été décisive car j’ai rencontré en Californie une forme d’art disruptive et proche de mes centres d’intérêts. Une peinture qui enfin, me parlait rempli de références lifestyle, associant l’univers du skateboard, mais aussi des belles motos, du design graphique en pleine explosion avec l’internet, une forme d’art vivant et vibrant. Toutes ces univers qui me permettaient de me relier à l’art et de tracer ma voie. Shepard m’a également prodigué des conseils en matière de business et m’a introduit auprès de gens qui m’ont permis d’enclencher rapidement ma carrière.

Quels sont vos futurs projets ?

En novembre j’expose à Bruxelles des photos. Puis je travaille cet hiver à New York dans mon studio,
En juin, retour en France, où je serais à Laon en Picardie, puis à Reims

 

Propos recueillis et traduits le 28 octobre 2021 par Régine Glass

Pour suivre Logan Hicks

Le site officiel Logan Hicks

Partager

Articles similaires

Luiz Zerbini, Afinidades III, Cochicho (Museu Oscar Niemeyer Curitiba, Brésil)

Voir l'article

Le carnet de lecture de Sabine André-Donnot, plasticienne

Voir l'article

The infinite woman, Femmes Nabis, Cheval en liberté, Fontana, Lalique, Lavier, … six belles expositions en région à ne pas rater

Voir l'article

Front contre front, Ensemble, de Marie-Laure Viebel, Place Saint-Germain-des-Près

Voir l'article