Voyages
Musée National de l’Azulejo à Lisbonne, un trésor de faïences entre patrimoine et art urbain
Auteur : Baptiste Le Guay
Article publié le 2 janvier 2023
Quoi de plus représentatif de l’identité portugaise que l’Azulejo ? Ce carreau de faïence émaillée peint aux teintes bleutées qui envahit façades d’ immeubles, intérieurs d’églises ou habillages de murs incarne cinq siècles d’histoire portugaise. Niché dans un monastère, le Musée National de l’Azulejo à Lisbonne rend hommage à cet héritage culturel, véritable poétique des formes entre les arts qui perdure avec des artistes contemporains, comme Add Fuel et Onun Triguerios.
Un croisement de techniques
Issu du mot arabe al-zuleij, qui signifie « pierre polie », l’azulejo renvoie à une période où quasiment toute la péninsule Ibérique était sous domination musulmane et portait le nom d’Al-Andalus – une période qui a débuté en 711 et duré près de huit cent ans, jusqu’à la prise de Grenade, en 1492. Il désigne un carreau de faïence, soit un carreau de terre cuite recouvert d’un émail opaque. Le musée national qui lui est dédié à Lisbonne occupe depuis 1960 avec ses 7000 pièces l’ancien monastère de Madre de Deus, fondé en 1509 par la reine Léonor (1458-1525).
Dans ces deux pays, ce substrat arabe de la culture péninsulaire représente l’expression matérielle de ce croisement des cultures péninsulaires. A l’origine, la décoration des Azulejos est constituée de formes ou de motifs géométriques et de motifs, sous l’influence de la technique hispanique et mauresque, la peinture figurative étant interdite dans les préceptes de l’Islam sunnite. C’est au début du XVIème siècle, que les premiers carrelages figuratifs sont produits à Séville et Tolède en Espagne, puis se développe par la suite au Portugal.
L’azulejo, peut-être par sa nature de patrimoine ou la force de sa mémoire,
ne s’épuise pas dans une vision unique :
il renferme au contraire des approches multiples, singulières ou globales.
Rosário Salema de Carvalho.
L’azulejo portugais porte alors dans son double rôle d’élément de revêtement architectural et décoratif, des références à d’autres univers artistiques – du textile et de la joaillerie à l’art du métal et du verre, en passant par l’ébénisterie et l’architecture, ou la gravure et la peinture. Ils se caractérisent aussi par leur « sens décoratif et ornemental », comme en témoignent ceux de a Sé Velha de Coimbra, du Monastère d’Alcobaça et du château Leiria. Ce que ne manquent pas de remarquer tous les voyageurs européens.
« Pas de palais à cette époque qui n’eût, à I‘intérieur, un singulier fouillis de chambres et de corridors où abondait le faste ; dorures, marbres, boiseries ciselées, soies d’orient ; avec des recoins pleins de précaution et d’obscurité, d’autres pleins de lumière. C’étaient des galetas riches et gais ; des réduits vernis, luisants, revêtus de faïences de Hollande ou d’azulejos du Portugal » Victor Hugo, L’homme qui rit.
Au croisement des arts
« De l’ère nasride jusqu’au XVllle, I’azulejo rend compte des superpositions esthétiques et techniques circulant entre les ateliers européens et au-delà des mers, lesquelles font de ce carreau de faïence un véritable palimpseste » écrit Céline Ventura Teixeira dans L’azulejo au croisement des arts (Galerie Mendes, 2016) rappelant le grand nombre de modèles devenues sources d’inspiration inépuisables.
A travers le XVIIème siècle, l’Eglise va commander de nombreuses faïences avec un motif qui se répète sur plusieurs carreaux. Une solution efficace en termes décoratifs, car les carrelages couvrent des murs entiers dans l’intérieur des églises. Les Azulejos sont mis dans des motifs se répétant en 2×2, 4×4, 6×6 et 12×12, s’intégrant à un espace architectural bien défini.
En général, les motifs faits en petit volumes sont appliqués sur la moitié basse des murs, tandis que les compositions plus grandes sont réservées pour des surfaces murales plus approchées de l’œil du visiteur. Les couleurs varient en bleu, vert et jaune, même si le bleu sur un fond blanc domine.
L’art portugais inégalé dans toute l’Europe
En plus de ces sublimes motifs, à la fois trompe l’œil avec un effet visuel surprenant, l’art religieux va influencer la peinture de ces carrelages avec des symboliques, la représentation de saints et de scènes bibliques. La production se distingue entre sérialité « mécanique » et les compositions plus complexes où l’organisation de l’espace et de l’agencement des détails ornementaux témoignent d’un programme commandé et ordonné. Elle finit par se scinder et transparaitre de nouvelles aspirations, dynamisées au XVIIe siècle par une progressive prise de conscience du statut d’artiste.
Au début du XVIIème siècle, la peinture couvrant les devantures des lieux de culte à Lisbonne est faite d’oiseaux et de feuillages, notamment inspiré par le textile asiatique et le tissu indien. Ces compositions sont particulièrement associées à des significations symboliques comme la Résurrection, justifiant leur utilisation sur les autels catholiques.
Entre 1670 et 1715, plusieurs panneaux de carrelages sont commandés aux Pays-Bas aux maîtres comme Willem van der Kloet (1666-1747) et Jan van Oort (?-1699). Ces panneaux peints en bleu sur blanc sont inspirés de la porcelaine Chinoise, qui a été importé en Europe en premier lieu par les Portugais.
Pour faire face une demande et son pendant une concurrence croissante, davantage de peintres qualifiés ont commencé à travailler dans les ateliers portugais, assumant progressivement leurs statuts d’artistes et signant leurs pièces.
L’âge d’or : le « cycle des maîtres »
Une période d’or entre 1690-1730 fait triompher l’usage exclusif du bleu et du blanc et marque un renouveau esthétique de l’azulejo et initie le « cycle des maîtres ».
Parmi ces peintres, Gabriel del Barco dont la grande maitrise technique démontrée par l’application d’un sfumato azur et l’utilisation de pigments qui permettaient les nuances innovantes (actif entre 1691 et 1700), Antonio Pereira (entre 1683 et 1712), Manuel do Santos (de 1700 à 1725) ou encore Antonio de Oliveira Bernardes (1695-1778), tous signent leurs œuvres ce qui cristallise l’affirmation d’une reconnaissance tant artistique que sociale.
De l’Azulejo classique à l’art urbain
Le musée national montre chronologiquement cette double évolution : du carrelage seriel aux compositions sur mesure, de l’artisanat à l’œuvre d’art signée. L’azulejo reflète à la fois la constante incorporation, adaptation et interprétation de nouveaux modèles, et de véritables échanges entre différents domaines artistiques, du travail de l’orfévrerie à la gravure.
Cette aventure esthétique d’acculturation se poursuit toujours. Au premier étage, dans le cloître qui donne sur la cour, se trouve des Azulejos contemporains, prouvant que l’art de l’azulejo continue à se transformer et trouver des nouvelles formes d’inspiration.
Sans cesse, les artistes ont su réinventer cet artisanat médiéval, en renouvelant ses formes et ses représentations, figuratives ou non, incorporant parfois des éléments de la Pop-culture.
Une tradition qui se renouvelle de traverser les siècles
L’azulejo est toujours vivant, l’ancien comme le nouveau, n’a pas fini d’être un média de création ; surtout qu’il dispose de nouveaux ambassadeurs, comme Add Fuel ou Onun Triguerios. Dans son exposition baptisée Renascimento Street (Renaissance de la rue), Onun Triguerios joue des représentations urbaines, entre passé et présent, entre tradition et innovation.
Add Fuel joue des codes iconiques patrimoniaux de l’Azulejo et de ses effets ‘trompe l’oeil ‘: en déchirant la perspective de l’image, l’artiste urbain révèle de façon souvent spectaculaire qu’elle en en cache une autre,.
« Je déconstruis le matériel en rendant quelque chose de très rigide et dur en quelque chose de fragile, faisant croire qu’il a été déchiré à la main. Mon travail s’appuie sur l’héritage de la culture Portugaise, donc ce qu’il pourrait y avoir en dessous de la surface. L’effet 3D donne un effet de profondeur, comme s’il y avait le passé sous le mur » confiait-il à Singular’s à l’occasion de lors de son passage à l’Urban Week à La Défense en septembre 2022.
Une étape incontournable pour capter l’esthétique portuguaise
Ce musée ne peut être raté si vous voulez comprendre et mieux découvrir cet art qui transcende l’histoire comme les arts décoratifs aussi ancestral que bluffant de modernité.
Si vous y allez le matin ou dans l’après-midi, ne ratez pas un bon café avec une pastais de Nata (merveille pâtisserie locale), dans un décor charmant et qui vous mettra en bouche pour l’exposition.
#Baptiste Le Guay
Pour aller plus loin sur l’azulejo
Museu Nacional do Azulejo, Rua da Madre de Deus, n°4, Lisboa (quartier de Xabregas à l’est de l’Alfama)
Ouvert de 10 à 18h sauf le lundi. Gratuit jusqu’à 12 ans et 5 euros pour les adultes.
A voir :
Monastère de Saint Vincent, Lisbonne et son impressionnante collection de 220 panneaux ‘in situ’ conservés à leur emplacement d’origine.
A lire :
Azulejos du Portugal, de Rioletta Sabo. Citadelles & Mazenod, 219 p. 49€. Carreaux de céramique émaillée, les azulejos ornent les plus belles décorations d’architecture intérieure et extérieure du Portugal.
La variété de leurs motifs et l’éclat de leurs couleurs confèrent un charme singulier au patrimoine architectural portugais : églises, palais, villas, parcs et jardins que les azulejos embellissent depuis des siècles. Ce somptueux ouvrage en montre les exemples d’azulejarias les plus remarquables, spécialement à Lisbonne : des Palacio Nacional de Sintra ou dos Marqueses de Fronteira à la Quinta de Baca hoa, tout en en distinguant les styles, du mudejar aux ornements rocailles.
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