Culture

Le carnet de lecture d’Adèle Charvet, mezzo-soprano

Auteur : Olivier Olgan
Article publié le 16 août 2023

Avec son tempérament de feu et sa voix de nacre, Adèle Charvet est déjà une valeur sûre de la scène lyrique et mélodique française. Mais si la mezzo-soprano trentenaire est recherchée par tous les scènes, elle ne veut ni brûler les étapes, ni renoncer à ses répertoires. Sa voix ductile fait des étincelles aussi bien dans la musique américaine (Long time ago) que vénitienne baroque (Teatro Sant’Angelo) (2 cd alpha). Depuis longtemps, Sir John Eliot Gardiner l’a adoubée : ils se retrouvent dans Les Troyens de Berlioz, les 22 et 23 août à La Cote Saint André, le 26 à Salzbourg et le 29 à l’Opéra de Versailles.

Savoir accepter sa voix

Dans le chant, tout entre en ligne de compte, insistait la grande Tereza Berganza pour brosser sa prodigieuse carrière : les dons naturels, la personnalité, le physique. Il y a ce que l’on peut apprendre (respirer, mûrir sa technique). Et plus le reste, tout ce qui arrive. Chanter, c’est savoir accepter sa voix. Comme elle est, comme elle devient.
Teresa Berganza, mezzo-soprano (1933-2022)

Les valeurs de la maturité

Adèle Charvet, mezzo soprano Photo DR

Les Prix ne sont rien (2015, elle reçoit le prix de la Mélodie du Concours International Nadia et Lili Boulanger, et 2016, le grand prix de Lied Duo du 51e
Concours International de ’s-Hertogenbosch, 2017, Prix d’Honneur « Yves Paternot » Festival de Verbier) si la lucidité pour respecter sa voix et mener une carrière avec maturité, n’est pas viscérale. Adèle Charvet en démontre avec humilité à chaque choix d’apparition, alors qu’elle est à peine trentenaire.
Depuis ses débuts en 2018 au Royal Opera House de Londres en Mercedes dans Carmen de Bizet, la mezzo volcanique a chanté ou est sollicitée par les grandes scènes lyriques mondiales. Voix de nacre et tête froide, si elle reconnait s’être jetée dans le bain lyrique très jeune, la jeune mère ne souhaite plus brûler les étapes.

Cette éthique, elle a appris à en assumer les conséquences : le refus des rôles trop lourds, malgré son rêve de chanter Werther, le refus de la facilité dans des répertoires soit dilapidés, soit trop resserrés. La fille du compositeur Pierre Charvet et de l’athlète Nadine Éwanjé-Épée nous montre qu’elle est de la trempe de ses grandes ainées (Teresa Berganza, Joyce Di Donato, Sara Mingardo), elle nourrit sa vie d’une exigence sans faille : Donner à chaque note son poids d’intégrité quels que soient les registres.

Préférer le silence à l’imperfection, même si ce n’est pas la vocation d’un rossignol !

En écoutant la charmeuse Adèle vous brasserait large : de son duo depuis 2015 avec le pianiste Florian Caroubi, né de leur passion commune pour le Lied et la Mélodie, à la musique baroque (Lully, Zingarelli, Pergolèse, …) et à la musique moderne ou contemporaine (de Debussy au Journal d’Hélène Berr, création de Bernard Foccroulle).
Inutile de préciser que les projets pour la prochaine saison se multiplient !

Aborder la musique de manière très rigoureuse tout en faisant fi de toute convention

Des cd-récitals reflètant sa personnalité

Hommage aux racines généalogiques.
D’abord, parce qu’ils en disent beaucoup sur sa volonté de ne rien s’interdire. Quoi de plus éloignés que la chanson américaine et mélodies anglaises : Long time ago, avec la pianiste Susan Manoff. Autour des essentiels Britten et Copland, le duo met en orbite Barber, Vaughan Williams, Heggie, Bolcom, Ives, Finzi, Dring et Quilter …. et  des airs vénitiens baroques, souvent inédits ?

Lorsque j’ai redécouvert ce répertoire américain, j’ai eu l’impression de le connaître depuis toujours, comme si je l’avais entendu alors que j’étais dans le ventre de ma mère. Ces musiques résonnent en moi comme quelque chose d’inné qui aurait traversé les âges, et qui me traverse moi aussi.
Adèle Charvet, livret de Long time ago, avec la pianiste Susan Manoff, cd Alpha, 2019   

Ensuite, parce qu’elle sait prendre son temps pour définir sa propre voie.
Aux pots-pourris d’airs rabattus, l’artiste a pris à chaque fois pour ces deux somptueuses anthologies, plus d’une année pour les confectionner, les nourrissant autant de résonnances intimes que de recherches érudites, veillant que le résultat soit tout autant un programme de disque que de récital.

Tisser ce programme nous a demandé presque une année entière. Nous avons brassé des heures de musique, puis avons procédé par élimination, en essayant de garder les pièces qui nous étaient essentielles. Long Time Ago s’est construit à tâtons, en testant de nombreuses combinaisons, de nombreux équilibres, car il fallait faire cohabiter des univers différents sans que ce soit trop abrupt ni incohérent
Adèle Charvet, livret de Long time ago

Des promesses tenues

A l’écoute, ses bouquets d’airs tiennent leurs promesses tant le mélomane passe avec gourmandise d’un style à l’autre – de folk songs au cabaret – du coté de New-York que du côté de Venise, des tubes vivaldiens aux pépites rares des Fortunato Chelleri, Giovanni Alberto Ristori, Giovanni Porta et Michelangelo Gasparini, tant le plaisir des interprètes est communicatif !

Loin des compils vivaldiens, Theatro Sant’Angelo réserve la surprise de beaucoup d’airs inédits. La mezzo voulait surprendre comme le fit en son temps Cécilia Bartoli, montrer que cette musique italienne qui semble si familière recèle encore des diamants bruts à découvrir. Pour creuser cet intarissable filon, elle a pu s’appuyer sur le musicologue Olivier Fourés, musicologue spécialisé de Vivaldi qui signe le lumineux texte du livret. La sélection s’est fait ensuite au feeling. La fête des sens et des vocalises est à son comble.

J’ai toujours voulu aborder beaucoup de répertoires différents pour ne pas m’enfermer dans une case et en même temps, ma voix appelle le répertoire baroque.
Adèle Charvet

Désormais mère, il n’est pas surprenant que sa voix a changé : « elle s’est ancrée, souffle -t-elle,  j’ai l’impression d’avoir pris racine, dans la vie comme vocalement. Ma voix a aussi traversé le bouleversement qu’est la maternité. J’ai la sensation que mes capacités respiratoires se sont ouvertes, que ma voix s’être élargie. »

En confiance

Bien entourée, sollicitée par les plus grands chefs de John Eliot Gardiner à Justin Taylor, de Julien Chauvin à Vincent Dumestre, Adèle Charvet n’a pas fini de nous épater. Par sa maturité, mais surtout par le plaisir de chanter qui l’anime, gouleyant un vaste répertoire, riche de soleil, et de parfums. De l’échappée joyeuse à une formulation plus ciselées, des plus simples épanchements, aux plus subtils dialogues lyriques …
Adèle est une nature, qui ne demande qu’à s’épanouir. L’éthique du chant en plus !

A chaque occasion, elle saura propulser vers l’avant sa lumière de sympathie ; les notes virevoltent dans des éclairs de fantaisie ; n’hésitant pas ici où là à glisser l’épine de la rose ou le duvet de l’édredon, soufflant dans

Elle sonne vrai et frais, et chacun peut se reconnaître dans ce miroir si suavement tendu.

#Olivier Olgan

Le carnet de lecture d’Adèle Charvet

San giovanni Battista, de Stradella par Le Banquet Céleste (Glossa)

Sublime oratorio d’un compositeur sulfureux, San Giovanni Battista frappe par sa grande force expressive son théâtre et son raffinement. La partition est servie par un casting de rêve, avec une mention spéciale pour Paul-Antoine Benos, touché par la grâce, et un ensemble instrumental merveilleux. Mon dernier choc musical. 

Requiem – Mozart – Castellucci, par Raphaël Pichon et l’Ensemble Pygmalion 

Spectacle d’une puissance inouïe, Castellucci utilise la musique de Mozart pour illustrer l’histoire de l’humanité et son extinction. Pourtant malgré le sujet, ce spectacle est baigné de lumière et d’espoir. 
Il donne aussi à voir un des meilleurs chœurs du monde à mon sens, Pygmalion, jouer, chanter, danser tout à la fois sans jamais perdre ce son d’ensemble absolument unique. 

Les fleurs du Mal, de Charles Baudelaire 

Que dire ? 
L’invitation au voyage, la vie antérieure, l’Albatros, l’Homme et la Mer…
y a-t-il poésie plus belle ? 

Bach, Mozart, Scarlatti, Schubert, par Dinu Lipatti

Le disque que j’emporterai sur une île déserte, musiques de mon enfance, en particulier le 3eme impromptu de Schubert. Et le génie de Schubert merveilleusement illustré par Lipatti par son jeu mélancolique mais serein, et dépourvu de tristesse. 

Par le sextant du soleil, Frédéric Jacques Temple (éditions Bruno Doucey) 

« Attention 
à ne pas éteindre 
en toi 
le soleil » 

Par le Sextant du Soleil est le dernier recueil de poèmes de Frédéric Jacques Temple (1921-2020).
Avec les années, sa poésie se fait de plus en plus concise et impactante. Ce poème me motive, me nourrit, me réconforte comme une sorte de mantra.

A Ceremony of Carols, de Benjamin Britten

C’est l’une des premières pièces que j’ai chantées en chœur, lorsque j’étais enfant, et j’ai beaucoup pratiqué sa musique dans le cadre de mon activité chorale. Je peux dire que Britten m’accompagne depuis toujours. Quant aux autres compositeurs, ce fut pour moi une vraie rencontre, très forte avec Copland, Barber et Ives – précisément parce que leur musique m’a semblée si familière.

Pour suivre Adèle Charvet

Le site d’Adèle Charvet
La chaine youtube d’Adèle Charvert

Agenda

Les Troyens, de Berlioz, dirigé par JE Gardiner, avec Adèle Charvet (Ascagne), Alicia Coote (Cassandre), Michael Spyres (Énée), Lionel Lhote (Chorèbe), Ashley Riches (Panthée) et Rebecca Evans (Hécube)

A écouter :

  • Teatro Sant’Angelo, Airs de Vivaldi, Chelleri, Ristori, Gasparini et Porta dont 12 inédits, avec le Consort, clavecin et direction Justin Taylor, Alpha Classics, 2023
  • Stabat Mater de Pergolèse, Julien Chauvin, Le Concert de la Loge, Alpha Classics.
  • Long time ago, Copland, Britten et Barber, accompagnée par la pianiste Susan Manoff, Alpha Classics, 2019
  • Journal d’Hélène Berr, la nouvelle création mondiale du compositeur belge Bernard Foccroulle.

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